Féminisation de l’extrême-droite. La comprendre pour mieux la combattre


Par Juliette Léonard*.

La publication de ce texte fait suite à l’intervention de Juliette Léonard lors des Journées de Mauprévoir, du 16 au 18 août 2024. Il a également été publié en mars 2024 dans le numéro « Extrême droite(s) » des « Cahiers du Libre Examen » (uniquement en version papier).

“Je vais diriger le pays en bonne mère de famille”

Marine Le Pen

Cette présente intervention résume l’analyse “Féminisation de l’extrême-droite : la comprendre pour mieux la combattre” publiée par le CVFE en décembre 2022 . Cette analyse visait à étudier la féminisation de l’extrême-droite sous différents aspects : en abordant les rôles que prône l’extrême-droite pour les femmes, l’appropriation de la défense des droits des femmes à des fins racistes par cette mouvance, ainsi que la participation de certaines femmes qui militent ou votent pour ces groupes. Nous allons résumer les différents constats qui y ont été posés, en ajoutant une attention plus marquée, non seulement sur les femmes, mais également sur les personnes LGBTQIA+.

Les femmes et le genre selon l’extrême-droite

Afin de comprendre la place des femmes dans les pensées d’extrême-droite, il est nécessaire de saisir que pour ces penseurs et penseuses, la famille est une composante centrale sur laquelle repose la nation – ou la civilisation. La famille doit être un pilier et un modèle pour les autres institutions. Dans cette famille fantasmée qui correspond au schéma “ un papa, une maman pour tous les enfants”, l’homme et la femme occupent différents rôles : la femme prend soin des enfants tandis que l’homme a un rôle protecteur et nourricier. Ces rôles attendus des hommes et des femmes découlent d’une compréhension biologique de ceux-ci : si les femmes doivent s’occuper des enfants, c’est parce qu’elles ont la capacité d’en faire. Les compétences associées aux femmes telles que la douceur ou encore l’empathie sont également perçues comme des capacités biologiques. Ces rôles permettent à la famille de fonctionner ainsi qu’à la nation. L’extrême-droite met donc une importance particulière aux notions de féminité et de masculinité qui sont, selon eux, complémentaires.

Par conséquent, tout ce qui transgresse les normes de genre dérange l’extrême-droite. D’autant plus que l’extrême-droite est, et a toujours été, une pensée pessimiste qui craint constamment la chute de sa civilisation, la perte de ses valeurs et de son authenticité en raison de la “modernité” et perçoit négativement tout changement. Le « métissage » et « l’indifférenciation des sexes » sont perçus comme des menaces suprêmes qui ébranlent la civilisation. De même que le féminisme, les idées égalitaires et constructivistes1 qui chamboulent l’ordre social sexué et sont même perçues comme une des causes du « grand remplacement »2. Les femmes ont donc un rôle crucial et valorisé pour l’extrême-droite puisqu’elles sont un moyen de faire face au déclin civilisationnel grâce à leur capacité reproductive qui permet la transmission de l’héritage – biologique et culturel – de la civilisation.

La pensée nationaliste peut ainsi se comprendre comme la convergence du racisme et du sexisme. En effet, cette pensée crée une “communauté nationale” et, de la sorte, inclut de force des membres à cette communauté – niant au passage les divisions de genre et de classe, les individu·e·s étant supposé·e·s se rassembler autour d’un même intérêt national – et exclut celles et ceux qui sont considéré·es comme n’appartenant pas à cette communauté.

Ainsi, toutes les femmes n’appartiennent pas à cette communauté aux yeux de l’extrême droite et ne sont pas incluses les femmes trans, difficilement les lesbiennes et les femmes issues de l’immigration sont tantôt fantasmées tantôt rejetées. Ne sont pas non plus incluses les familles qui s’éloignent du modèle familial nucléaire hétérosexuel considéré européen.

Plus qu’une non-inclusion, la simple existence de certaines identités et populations opprimées telles que les personnes trans est perçue comme un danger par l’extrême droite. L’extrême droite a d’ailleurs fait de la lutte contre l’existence des personnes trans un de ses combats en avançant, par exemple, la défense des enfants face au lobby trans qui forcerait les “mutilations génitales” et les transitions. De nombreuses attaques ciblent également les Drag queens.

Notons que ces discours ne sont pas sans rappeler ceux des « TERF »3, qui, a plus d’un égard, ont des accointances idéologiques avec l’extrême-droite comme l’obsession pour le sexe biologique ou la peur du déclin en raison de l’indifférenciation des sexes. Il n’est donc pas étonnant que de nombreux médias d’extrême droite invitent régulièrement Dora Moutot et Margaret Stern qui devraient s’alarmer d’être présentes sur VA+ plutôt que sur Médiapart.

Ajoutons que, concrètement, lorsque l’extrême-droite est au pouvoir, nous observons l’application de ces théories sur l’ordre sexué à travers la mise en place de différentes mesures. Nous pouvons ainsi observer, en plus de la mise en place de politiques racistes et antisociales, des attaques systématiques envers le droit à l’avortement, les communautés LGBTQIA+, les études de genre. Sont également menées des tentatives de renvoi des femmes vers le foyer et leur rôle procréateur à travers différents incitants et politiques natalistes.

L’extrême-droite est loin d’être un groupe homogène et est traversée par différents débats, différentes tendances, stratégies et mouvances. Il en est de même dans leur rapport au féminisme. Si certains groupes et penseurs rejettent catégoriquement le féminisme, d’autres ont une position plus souple : par exemple Marine Le Pen se déclarait “quasi-féministe” depuis son divorce – ce que nous devons bien évidement mettre en lien avec ses volontés électoralistes. Parmi ces différentes tendances, nous observons l’émergence de groupes tels que Némésis qui se revendiquent d’un féminisme identitaire et qui visent à dénoncer les violences faites aux femmes uniquement lorsqu’elles sont commises par des personnes d’origine étrangère. Insistons sur le fait que ces groupes sont totalement décriés par d’autres franges de l’extrême-droite en raison de leur engagement “féministe”.

Quand l’extrême-droite se pare d’un visage plus doux

Défense des femmes et des « LGB »

Malgré cette vision conservatrice des rôles de genre, certains courants et partis d’extrême droite se positionnent comme les défenseurs des droits des femmes – comprenez des femmes blanches qui correspondent à leur vision de ce que doit être une femme. Cette défense se fait à travers deux discours, distincts, mais intimement liés. Premièrement, l’extrême-droite se saisit des violences faites aux femmes dans l’espace public – faisant fi de la majorité des violences qui ont lieu dans le cadre du foyer – et clame que celles-ci sont principalement le fait d’hommes issus de l’immigration africaine et/ou d’hommes musulmans. Ainsi, défendre les femmes, c’est contrôler l’immigration et renforcer la sécurité. Deuxièmement, l’extrême-droite reprend à son compte, non sans aucune honte, les mouvements féministes passés – en profitant, au passage, pour tacler le “féminisme contemporain” qui s’éloignerait de ce que doit être le féminisme – afin de présenter ceux-ci comme une caractéristique civilisationnelle. Nous aurions ainsi une civilisation européenne évoluée qui respecte les femmes face à une civilisation africaine/musulmane arriérée et misogyne. Faisant appel à l’imaginaire colonial, ils et elles présentent de la sorte la femme blanche comme libre et ayant su se battre pour ses droits en opposition à une femme musulmane opprimée et soumise qu’il faudra sauver.

Nous observons une logique similaire en ce qui concerne les droits « LGB » – pratiquement jamais « T+ » – qui ne sont défendus que lorsqu’il s’agit de les protéger d’un islam rétrograde qui aurait le monopole de l’homophobie. A nouveau, les discours et actes homophobes sont présentés comme étant majoritairement le fait de musulman·es et de personnes issues de l’immigration.

En défendant les femmes et les personnes LGB(T+) de la sorte, l’extrême droite déploie son discours raciste tout en réaffirmant qui sont les personnes qu’elle considère comme étant dignes d’être défendues : seulement certaines femmes et seules les personnes correspondant à l’image du bon LGBT. C’est-à-dire « LGB » plutôt que « T », blancs/blanches, pas trop folles, pas trop « butch », surtout pas « communautaires » et prêt·es à affirmer que la sexualité c’est de l’ordre du privé. L’extrême-droite divise ainsi ces communautés entre les respectables et les non-respectables. Et les non-respectables font régulièrement l’objet d’attaques virulentes de leur part.

Ces positionnements, en faveur des droits des femmes ou des personnes LGB(T+), ont fait l’objet d’une conceptualisation par deux autrices : Jasbir Puar qui a développé « l’homonationalisme » et Sara Faris qui a ensuite repris ce concept pour élaborer celui de « fémonationalisme ». Plus que des discours racistes, ces concepts désignent les mesures et politiques racistes appliquées sous prétexte de la défense des droits des minorités. Et si ces mesures existent au niveau national, ces concepts désignent également les politiques impérialistes et les interventions militaires dans d’autres pays, toujours au nom des droits des minorités.

Des militantes à des postes clés

Ces visions sexistes n’empêchent pas certaines femmes de rejoindre et militer au sein de l’extrême-droite. Précisons d’ailleurs que des femmes ont toujours été présentes dans ces mouvances, y ont eu des rôles actifs et cruciaux – bien que rarement dans des hautes fonctions – et ont participé à la diffusion des idées réactionnaires. Néanmoins, depuis les années 2010 nous remarquons une plus grande visibilité de ces femmes dans les partis, groupes et groupuscules d’extrême-droite. Cette plus grande visibilité résulte de différents facteurs : de manière générale, nous observons de plus en plus de femmes en politique et les femmes d’extrême-droite ont également pu se saisir de cette place – ce qui a impliqué de nombreuses batailles contre leurs partis misogynes. Cette plus grande visibilité fait également suite à une volonté des partis et groupes d’extrême-droite d’adoucir et de moderniser leur image. En effet, les femmes procurent une image plus rassurante et différents profils sont mis en avant : divorcées, travailleuses dans des hautes fonctions, entrepreneuses… Nous sommes bien loin de la femme au foyer traditionnelle. Cette image est toutefois très travaillée et correspond toujours aux rôles attendus des femmes, il ne s’agit pas de transgresser ou subvertir les normes de genre.

Si les femmes ont cette plus grande visibilité, ce n’est pas forcément le cas pour les personnes LGBT. Bien que quelques figures se soient faites remarquer, cela reste extrêmement minoritaire et à nouveau avec un contrôle de l’image extrêmement fort.

Les votes des femmes et des LGBT+ pour l’extrême droite

Posons-nous désormais la question du vote de certain-e-s femmes et personnes LGBTQIA+ pour l’extrême-droite. Notons que, initialement, les études électorales se concentraient principalement sur les facteurs de classe et religieux pour tenter de comprendre pourquoi les individus votent comme ils et elles votent. Ce n’est que dans les années 70 avec l’arrivée des gender studies qu’a été intégrée la dimension genre – et ce dans une compréhension binaire – révélant ainsi que les hommes et les femmes votent différemment. Il a fallu attendre encore plus longtemps pour que ces études commencent à s’intéresser, frileusement, aux votes LGBT+. Et si l’étude du vote des minorités sexuelles et de genre se fait doucement une place aux États-Unis, c’est loin d’être le cas en Europe et dans la littérature francophone.

En ce qui concerne le vote des femmes, ces études démontrent qu’elles ont pendant longtemps été réfractaires à l’idée de voter pour l’extrême-droite – et de manière plus générale votent, et cela est observé mondialement, plus à gauche que les hommes. Néanmoins, nous observons depuis quelques années l’effondrement de ce qu’on appelait le Right Radical Gap Gender dans différents pays (par exemple en France, Finlande, Luxembourg, Italie) où désormais les femmes votent de la même manière que les hommes pour les partis d’extrême-droite.

En ce qui concerne le vote LGBTQIA+, les quelques sources se concentrent sur le vote « LGB » et il existe très peu d’informations sur les votes intersexes, trans… Or, nous pouvons raisonnablement supposer que leurs votes diffèrent de celui des LGB. Au sein même des LGB, différentes tendances se dessinent : les lesbiennes ne votent pas comme les gays, les bi·es ont également un vote à part et votent différemment selon leur genre. Néanmoins, à l’instar des femmes, les LGB ont pendant longtemps été plutôt marqué·es à gauche et réfractaires à l’extrême-droite, bien que nous observons également une érosion de ces tendances dans certains contextes nationaux4. C’est le cas notamment en France où, depuis les dernières élections présidentielles, Marine Le Pen a su conquérir une partie de cet électorat.

Ces constats posés, rappelons que ceux-ci varient selon les élections et les contextes locaux, nationaux et qu’il existe de fortes variations au sein de ces groupes qui sont traversés par des intérêts divergents. De manière générale, il est difficile d’expliquer pourquoi les individus votent comme ils et elles votent et différents facteurs entrent en jeu : le vote est complexe et motivé par des facteurs sociaux, géographiques, économiques, etc. et nous sommes bien loin d’un vote “non éduqué” ou “non-déconstruit”5.

Dans l’analyse “Féminisation de l’extrême-droite” différentes pistes explicatives, non-exhaustives, ont été explorées pour expliquer le vote des femmes pour l’extrême-droite. Il nous a semblé pertinent d’en mettre deux en avant afin de mieux comprendre le vote pour l’extrême-droite des femmes ainsi que des LBG. Le premier facteur concerne le contexte de banalisation des idées d’extrême-droite dans lequel nous baignons. Différents partis (majoritairement de droite) jouent un jeu dangereux en s’appropriant des thèmes chers à l’extrême-droite comme la sécurité, l’immigration ou encore le “wokisme” comme nous en fait régulièrement la démonstration le MR et leur centre d’étude Jean Gol.

Le deuxième facteur suggère que, bien que toutes les classes sociales – blanches – votent pour l’extrême-droite, force est de constater qu’une partie importante des classes populaires soutient également ces partis, notamment en France où le vote pour le RN est majoritairement ouvrier. Ce constat doit nous interpeller en tant que personnes de gauche. Il est nécessaire de comprendre que si ces populations se tournent vers l’extrême-droite, ce n’est pas en raison d’une adhésion totale envers leurs programmes et idées mais, notamment, suite à un sentiment d’abandon par la politique et, pire, par la gauche. En effet, suite au manque de représentant·es issu·e·s des classes populaires, à l’application de politiques libérales, à l’abandon des discours de classe et des pratiques militantes collectives ainsi qu’à un décalage entre les préoccupations quotidiennes et les thèmes mis en avant par ces partis, trop de personnes issues des classes populaires ne se sentent plus représentées par les partis de gauche.

L’histoire nous a montré et nous montre encore que l’extrême-droite se nourrit des vides politiques et il est nécessaire que la gauche ne laisse pas se créer ces vides et reprenne du terrain. Face à l’extrême-droite, il est plus qu’urgent de continuer à démontrer que la gauche a un horizon désirable à offrir. Pour conclure, cette analyse sur la féminisation de l’extrême-droite nous apprend que, quelle que soit la mutation de ses discours, l’extrême-droite est et a toujours été l’ennemie des femmes et des minorités de genre. La haine qu’elle porte à tout ce qui chamboule et transgresse l’ordre social sexué est inscrite dans son ADN, à l’instar du racisme et de son caractère antisocial.

Pourtant, malgré ces discours, de multiples facteurs complexes amènent de plus en plus de personnes à se laisser séduire par ces idées. Plus que jamais, il nous faut rappeler, chaque jour, que l’extrême-droite au pouvoir est une catastrophe, non seulement pour les personnes racisées, mais également pour les femmes, les minorités de genre, ainsi que pour la classe travailleuse dans son ensemble. Plus que jamais, il nous faut démontrer que jamais l’extrême-droite n’a permis d’améliorer le quotidien de toutes ces personnes et que seule la gauche est vectrice de progrès sociaux et sociétaux.

Pour aller plus loin

Travaux de Nonna Mayer sur le RRGG en France, Marine Le Pen et le RN, et l’article de Durand, M., & Mayer, N. (2017), « Genre, sexualité et vote” qui retrace les études électorales sur les questions de genre et sexualité.

Travaux de Valérie Dubslaff sur les femmes d’extrême droite en Allemagne.

Bard, C. (2000). Claudie LESSELIER, Fiammetta VENNER (dir.), L’Extrême droite et les femmes.

Farris, S. R. (2017), In the Name of Women’s Rights. Duke University Press.

Jasbir Puar (2012), Homonationalisme.

Travaux de Della Sudda, M. et notamment Les nouvelles femmes de droite afin de saisir les différentes composantes “féminines” de l’extrême droite française contemporaine.

Vidéo Médiapart “François Ruffin face à Thomas Piketty et Julia Cagé. Ranimer la gauche, mais comment ?” : https://www.youtube.com/watch?v=zYoPYLqWcp4


*Juliette Léonard est membre du Collectif contre les violences familiales et l’exclusion – Belgique.

  1. Dans le sens où les faits et comportements humains sont compris et analysés comme le résultats de mécanismes, structures et interactions sociales et sociétales. ↩︎
  2. En effet, pour certain·es, le féminisme est une des causes du « grand remplacement » en raison des chamboulements qu’il crée au sein de l’institution familiale, notamment en promouvant le divorce et le droit à l’avortement. Chamboulements qui seraient responsables d’une baisse de la natalité qui entraînerait un appel à une immigration massive. ↩︎
  3. Les « TERF » (trans-exclusionary radical feminist) sont des féministes qui excluent de leurs combats les femmes trans (considérées comme des “hommes déguisés en femmes”) et font de la “menace trans” leur combat principal. ↩︎
  4. Pour plus d’informations, voir l’article “Quand les nuages tentent de s’entremêler à l’arc-en-ciel” de Romain Biesemans. ↩︎
  5. À ce sujet, voir “Une histoire du conflit politique: élections et inégalités en France, 1789-2022” de Julia Cagé et Thomas Piketty. ↩︎

Image d’illustration : « Marche contre les violences sexistes et sexuelles à Paris, 23 novembre 2019 », par Jeanne Menjoulet (CC BY 2.0)


Share via
Copy link
Powered by Social Snap