Un compromis ? Mais pour qui ?


Par Patrick le Hyaric.

Cet article du 27 août 2024 est extrait de la lettre hebdomadaire de Patrick Le Hyaric. Cliquez ici pour lire la lettre de la semaine, et ici pour vous y abonner.

Quelles sont les raisons de ce coup d’État de velours ! Il a pourtant tout essayé : dissoudre l’Assemblée nationale, prétendument pour obtenir une clarification, alors que l’extrême-droite frôle les 40 % aux élections européennes ; convoquer en urgence des élections législatives afin de court-circuiter le débat démocratique, diviser les forces de gauche et de l’écologie politique, tenter d’empêcher la constitution d’un « Front républicain », y compris contre l’avis de son Premier ministre.

En vain. Le peuple a déjoué tous les funestes plans du président de la République.

Ne devant son élection à deux reprises qu’au Front républicain, sans jamais en tenir compte lors de ses mandats, E. Macron devrait aujourd’hui mesurer le haut niveau de discrédit voire de « délégitimation » dont il est l’objet.

Rien n’y fait ! Il refuse d’admettre qu’à l’Assemblée nationale, le bloc des gauches et écologistes est le plus important et qu’en toute logique, il devrait choisir un·e Premier·e ministre en son sein. La décision lui en a été facilitée avec le choix de Lucie Castets. Il s’agit là, de sa part, d’un comportement politique bien peu républicain. Il l’est d’autant moins quand son propre groupe à l’Assemblée nationale, déjà, affaibli, disposerait de 48 députés de moins sans la mobilisation claire de la gauche pour les faire élire et réduire le poids de l’extrême-droite.

Depuis le 7 juillet, le prétexte pour ne pas permettre la constitution d’un gouvernement des gauches et des écologistes était le refus de voir des ministres issus de La France Insoumise siéger au gouvernement. Ce paravent s’est effondré quand Jean-Luc Mélenchon a fait sauter ce verrou en déclarant qu’il n’y aurait pas de ministre issu de son mouvement si le président acceptait la formation d’un gouvernement de Lucie Castets. Il a ainsi déchiré le petit rideau de fumée des prétextes hypocrites. Subitement, droite, extrême-droite et macronistes, de concert avec le syndicat du grand patronat, ont avoué leur véritable problème. Ce n’est pas LFI, c’est le Nouveau Front populaire en son entier. C’est le programme de pouvoir vivre mieux qu’il présente.

Autrement dit, macronistes, droite, extrême-droite et Medef avouent qu’ils ne sont en rien favorables à l’amélioration du sort des 3,1 millions de salariés du secteur privé payés au Smic. Sans compter les salariés agricoles, de nombreux agents publics et des travailleurs précaires ou mal déclarés, exclus de ce chiffrage.

Certes, ils bégaient des mots creux avec une mine déconfite sur les services publics, mais ils ne veulent absolument pas améliorer l’accès aux soins, à l’éducation, au logement, à la tranquillité publique ou aux transports publics au nom de leur sacro-saint « prélèvement obligatoire » ou « déficit public » qu’il faut diminuer. Évidemment, ils ne veulent à aucun prix d’un nouveau gouvernement qui remette en cause leur contre-réforme des retraites. Le Nouveau Front populaire est même prêt à se conformer à l’injonction de la Commission européenne réclamant la réduction du déficit d’au moins dix milliards d’euros. Il choisirait une autre méthode que celle de l’austérité. Il propose d’augmenter la participation des puissances d’argent à l’effort commun. « Inadmissible ! », clament en cœur les donneurs de leçons de gestion. C’est le peuple qui doit payer. Voilà les nœuds du problème. Voilà les enjeux de classe qui sont posés. Soit un gouvernement au service de la minorité des privilégiés et des détenteurs du capital lucratif, soit un gouvernement au service de l’intérêt général.

Comme dans une république bananière, les droites et extrême droite coalisées sous l’égide du président de la République ne veulent en aucun cas respecter l’aspiration au changement alors qu’ils n’ont aucune majorité dans le pays pour appliquer leurs politiques au service des milieux d’affaires. Les décrets macronistes de « trêve Olympique » de « décantation » et la diabolisation de la France Insoumise sont destinés à créer une ambiance lourde et insécurisante autour d’une situation de blocage justifiant que le président ait les mains libres.

Le sordide groupuscule des personnes en débandade qui dirigent la France au nom des forces de l’argent cherche donc des adjuvants politiques pour justifier leurs décisions : culpabiliser les citoyens qui auraient mal voté ; faire croire que le pays a besoin de compromis pour être gouverné au « centre » par un bloc central qui réunit prétendument des contraires afin de camoufler des choix de plus en plus droitiers. La comédie des consultations des groupes parlementaires ne visait pas à choisir un·e Premier·e ministre, mais à écarter celle proposée par le Nouveau Front populaire, Lucie Castets. En réalité, E. Macron ne veut délibérer qu’avec lui-même. Même ses ministres ont été réduits au ridicule statut de « non-ministres ».

Il se prétend maître dans « l’art de gouverner » pour dissimuler son esprit de manager, appliquant à la lettre la grammaire des milieux d’affaires. Ceux-ci comptent sur lui pour être ferme, malin et capable d’élargir la base sociale pour faire accepter le système malgré les profondes souffrances qu’il génère.

C’est le rôle dévolu au RN/FN qui constituera une force charnière à l’Assemblée nationale pour accélérer les politiques antisociales et anti-démocratiques. Celui-ci se réjouit : il sait que le cadre qu’impose le président de la République lui profite. Macron décrète qu’il n’est pas le grand vaincu des élections. Son groupe parlementaire influencera grandement les choix gouvernementaux dès lors que la gauche serait neutralisée.

La stigmatisation de LFI va de pair avec l’organisation d’une sévère pression sur la nature du Parti socialiste appelé à rompre l’union des gauches et des écologistes. L’invocation du retour de la social-démocratie est un leurre. En vérité, le capital et ses mandataires ne cherchent pas à relancer un parti réformiste prônant un compromis capital/travail, mais le social-libéralisme dont on sait qu’il n’a rien de social pour accompagner les projets du capitalisme financier mondialisé.

Les milieux d’affaires et les marchés financiers avides de suraccumulation du capital considèrent qu’ils n’ont plus rien à partager. Leur souci est de transférer vers le capital toujours plus de richesses issues du travail. Entraîner le Parti socialiste et d’autres dans la compromission, c’est organiser leur perte et élargir encore les lits des extrêmes-droites. La propagande en faveur d’un gouvernement de compromis ou d’un gouvernement qui n’aurait de technique que le nom est une tromperie contre les classes populaires pour approfondir le remodelage de la France aux canaux du capitalisme jusqu’à la contraindre à se séparer de sa souveraineté étatique. En ce sens, que mon parti, le Parti communiste puisse être cité pour être partie prenante d’un compromis avec les macronistes et la droite est une insulte à sa nature même pour l’affaiblir encore. Au vrai, le système ne cherche pas de compromis. Il cherche une soumission totale à ses diktats. Le président du Medef vient de le clamer haut et fort : « Il faut poursuivre les politiques pro-business ». Il a ainsi averti les classes populaires qu’elles vont encore plus souffrir. Voyons l’ampleur de la bataille en cours !

Les grandes multinationales ; les marchés financiers et les secteurs de la banque-assurance ; les géants du numérique essentiellement à base nord-américaine veulent imposer une gouvernance algorithmique aux États, aux citoyens, aux activités économiques ; l’entretien des guerres qui ne bénéficient qu’aux seuls conglomérats militaro-industriel ; la constitution d’oligopole du médicament et de la chimie ; l’intégration toujours plus grande de la France au sein du bloc capitaliste occidental, sous l’égide de l’Otan, pousse à la désintégration de l’État-Nation poussant les dirigeants à s’affranchir de la souveraineté populaire et de la souveraineté étatique. Tels sont les ressorts de la crise en cours qui minent les entrailles des institutions de la Ve République. Il s’agit d’une lutte de classe violente pour écraser tout projet de réforme progressiste aussi modeste soit-il. Le compromis que recherche la bourgeoisie n’est pas entre une gauche réformiste et les tenants du pouvoir, mais entre les diverses variantes des droites avec les extrêmes droites.

Le combat est loin d’être terminé. Les classes populaires ne continueront pas longtemps à accepter ainsi d’être méprisés, dominées, exploitées alors que leurs votes sont jetés par-dessus bord quand ils ne coïncident pas avec la volonté des laudateurs du cercle de la raison capitaliste. Le mouvement populaire devra reprendre de la vigueur sous diverses formes. Le Nouveau Front populaire doit se mettre à son service, affermir son unité, se déployer dans tout le pays, organiser des actions unitaires au parlement et dans la rue jusqu’à utiliser tous les dispositifs constitutionnels pour mettre en échec ce coup d’État de velours contre la volonté des urnes. La Fête de l’Humanité qui s’ouvre dans quelques jours devrait être le lieu du renforcement de cette unité populaire incluant partis, syndicats et associations et l’espace de la préparation des victoires permettant de répondre aux aspirations sociales, démocratiques, écologiques, féministes, antiracistes. La Fête de l’Humanité peut rimer avec maturation et marche en avant du Nouveau Front populaire.


Image d’illustration : « Emmanuel Macron et Pascal Cagni, le président de Business France, jeudi soir lors de la French Soirée organisée à Davos. », photographie du 18 janvier 2024 par Ivan Letessier (CC BY-SA 4.0)


Share via
Copy link
Powered by Social Snap