Après la dissolution : enjeux immédiats, enjeux de long terme


Le parti-pris de Nos Révolutions, discuté le 22 juin 2024.

Depuis la soirée du dimanche 9 juin, la crise politique française connaît une brutale accélération. À l’issue des élections européennes, dont personne ne pensait qu’elles n’influeraient significativement sur l’avenir du pays, le pouvoir politique a été soudain remis en jeu par le président de la République.

Forçant chacun·e à se positionner dans l’urgence, la dissolution a donné lieu à une réorganisation politique générale, qui a parfois pris des formes surprenantes. On a vu Philippe Poutou cohabiter avec François Hollande au sein du Nouveau Front populaire, Éric Ciotti insulter Dominique de Villepin de « fidèle soutien du Hamas », Emmanuel Macron fustiger « l’immigrationnisme » ou encore Jordan Bardella appeler à dissoudre le GUD… Il y a de quoi perdre ses repères.

Pourtant face aux chocs à venir – dont les événements actuels ne sont que le prélude – la gauche a besoin de militant·es lucides, capables de s’orienter dans le brouillard, capables d’adopter à chaque étape la bonne position, au bon moment, auprès des populations. C’est ce à quoi nous souhaitons contribuer avec ce parti-pris.

Comprendre la nature des forces en présence

L’effritement du macronisme, entamé aux législatives 2022 et poursuivi aux européennes, semble à peu près certain le 30 juin. Après l’écrasement des Gilets jaunes, la brutalité de la séquence Covid et le saccage des services publics, ce sont finalement la réforme des retraites et le passage en force du 49-3 qui, imposés au peuple dans la colère et l’amertume, se paient comptant un an plus tard. Confronté à un tel niveau de détestation, le petit socle électoral de millionnaires, de retraité·es aisé·es et de cadres supérieur·es ne suffit plus au parti présidentiel pour prétendre rester aux affaires.

Dès lors, deux principaux blocs politiques prennent le relais et sont candidats à la majorité parlementaire.

Le premier, le Rassemblement national (RN), tente d’allier son socle populaire, patiemment construit depuis l’accession de Marine Le Pen à la tête du parti, aux secteurs de la bourgeoisie acquis à l’idée du basculement nationaliste et autoritaire. Cela implique, de la part de Jordan Bardella et Marine Le Pen, un double langage permanent pour solidariser – et en fait, subordonner – une partie du prolétariat des campagnes et des zones désindustrialisées à la bourgeoisie conservatrice et réactionnaire. L’alliance avec Ciotti, et l’abandon de la retraite à 64 ans qui en était la condition, est symptomatique de cette trahison des classes populaires qui soutenaient le RN, au profit de la bourgeoisie.

Parce que le camp présidentiel n’a plus l’ambition ni les moyens de l’affronter, que les résultats des européennes renforcent sa dynamique et qu’il bénéficie d’un appui médiatique sans précédent, le RN est, à ce stade, donné favori de cette élection. Cependant, le patronat reste encore hésitant sur l’attitude à adopter. Sa principale organisation le MEDEF reste en soutien au bloc macroniste, quand d’autres franges (CPME, U2P) ne se sont pas encore prononcées.

À mesure que les jours passent, Jordan Bardella égrène les gages qui rendraient attractifs son arrivée au pouvoir pour le patronat : recul sur la réforme des retraites, engagement de réduire la dépense publique à la suite d’un audit, nouvelle suppression d’impôts de production1… Surtout, le RN entend contester la place de « parti de l’ordre » au déliquescent bloc macroniste, en se présentant comme le rempart face à l’arrivée du bloc populaire qui reste la première menace pour le patronat2.

Pourtant tout peut encore changer et le troisième bloc, le Nouveau Front populaire, peut lui aussi accéder au pouvoir. Constituée au lendemain des européennes par les directions des quatre principaux partis de gauche, l’alliance a été scellée sous la pression populaire, sur le modèle méthodologique de la NUPES (candidatures uniques dans chaque circonscription et programme partagé).

Elle se caractérise toutefois par un important recentrage à droite, qui n’a jamais été explicitement formulé depuis sa création. Cela se traduit par l’abandon de certaines mesures du programme de la NUPES, le renoncement à la rupture avec l’ordre international actuel (comme sur l’OTAN et la guerre d’Ukraine), et l’investiture d’un nombre important de candidatures sociales-libérales, en particulier par le PS et Place Publique – ne citons que François Hollande ou Aurélien Rousseau, par exemple. Ce recentrage contente une partie des catégories moyennes et supérieures, électrices et électeurs de Macron en 2017-2022, soutiens de Glucksmann en 2024 ; mais aussi quelques patrons effrayés par l’étatisme du RN et ne pouvant plus compter sur les macronistes pour lui faire barrage, à l’image de Matthieu Pigasse.

Dans le même temps, le Nouveau Front populaire peut prendre appui sur le mouvement syndical, associatif, féministe, antiraciste ainsi que sur l’émergence de nombreux collectifs citoyens.  Ces forces, à l’origine des principaux mouvements sociaux depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron en 2017, demeurent les principaux moteurs de changement progressiste. Cela génère donc une forte dynamique militante sur le terrain, et un espoir important dans le peuple, chez les travailleurs pauvres (56% des Français·es gagnant moins de 1 000 euros par mois souhaiteraient voter pour l’alliance3) et les intellectuel·les précaires.

En revanche, le NFP est confronté à une campagne de déstabilisation médiatique extrêmement agressive. De BFM à CNews en passant par LCI, la haine suinte de toutes parts, les éditorialistes bourgeois·es ne prenant même plus la peine de singer une vague neutralité. Si ces médias peinent à convaincre sur le manque de crédibilité économique du programme,  ils remplissent en revanche partiellement leur mission de diffamation du Nouveau Front populaire sur la question de l’antisémitisme. En effet, bien que la coalition soit la seule à porter dans son programme la lutte contre tous les racismes et l’antisémitisme, elle paie le manque de solidarité ces derniers mois des dirigeants des partis de gauche, face aux diffamations médiatiques4 et à la criminalisation du soutien au peuple palestinien.

Se préparer à toute éventualité

Avant, pendant et après ces législatives, tout peut donc se produire. En mai 2023, nous titrions notre premier parti-pris « Macron doit être le dernier président de la Cinquième République »5. Cette hypothèse, qui pouvait paraître osée il y a un an, est mise aujourd’hui au cœur du débat public tant la Constitution du 4 octobre 1958 apparaît abîmée par la crise actuelle.

La vie politique que nous avons connue, ponctuée de grands rituels électoraux annoncés à l’avance, organisée par des camps politiques bien identifiés et reposant sur une totale certitude quant à la permanence des institutions, n’est plus. Pour les militant·es de la gauche, il s’agit désormais d’être prêt·es à faire face le plus rapidement possible aux nouvelles conditions du combat politique, quelles qu’elles soient.

En cas de majorité pour le RN – qu’elle soit absolue ou bien acquise après des négociations avec une partie des élus LR – le risque le plus immédiat, pour les forces progressistes, réside dans l’effet psychologique du basculement à l’extrême-droite. Dans un contexte de confusion générale, en plein mois de juillet et à la veille des Jeux Olympiques, le mouvement social pourrait être atteint par la sidération, le désarroi et la paralysie. Les uns s’accuseraient mutuellement d’être responsables de l’arrivée du RN au pouvoir, quand d’autres s’éloigneraient pendant de longs mois du combat politique. Dans le même temps, nous vivrions les effets très concrets du basculement à l’extrême-droite : reculs du droit de manifestation, de la liberté d’expression, hausse des violences policières… Cette situation dangereuse n’appellerait pas à se morfondre, mais à adapter rapidement les méthodes de lutte. Il serait donc essentiel qu’après le choc, la gauche se relève immédiatement et s’organise pour résister au nouveau gouvernement, en s’appuyant sur l’ensemble des forces regroupées autour du Nouveau Front populaire, partis, syndicats, associations et citoyen·nes.

Le Nouveau Front populaire aurait pour enjeu d’incarner durablement l’opposition, et d’en prendre définitivement le leadership à la macronie. Il devrait aussi s’adresser sans relâche aux déçu·es du lepénisme, qui ne manqueraient pas d’affluer après quelques mois de gouvernement au service des puissants. Enfin, le risque de se complaire dans des postures minoritaires devrait être évité à tout prix, l’enjeu face au RN étant avant tout de contribuer à des rassemblements majoritaires pour les chasser du pouvoir le plus vite possible.

Cela suppose d’aider l’alliance à gagner en cohérence, d’en muscler le programme et de le porter dans la durée. L’hypothèse d’un éclatement rapide du NFP devra donc être empêchée. Les municipales 2026 auront de ce point de vue un rôle majeur. D’autant que, comme nous l’ont montré les expériences internationales, les communes peuvent constituer des bases de résistance essentielles face au fascisme. Pour les communistes, perpétuer le Nouveau Front populaire devra aussi nécessairement passer par le renforcement de son aile gauche, la plus constante et déterminée dans le combat antifasciste.

L’arrivée d’une majorité du Nouveau Front Populaire à l’Assemblée est le second scénario possible, qu’il faut renforcer et concrétiser en mobilisant l’électorat populaire d’ici le 30 juin puis le 7 juillet. Cependant, aucune victoire électorale ne permettra à elle seule de sortir de la dangereuse impasse dans laquelle se trouve le pays. Si le Front populaire arrive au gouvernement, il faudra anticiper le renforcement des attaques des deux blocs bourgeois, avec la radicalisation du bloc d’extrême-droite et la probable recomposition du bloc libéral.

Le Nouveau Front populaire serait aussi soumis à l’intense pression des marchés financiers et des institutions internationales ainsi qu’à celle, en interne, de ses éléments les plus influencés par le social-libéralisme. Cela appellerait à une intense mobilisation du peuple français pour obtenir les avancées incluses dans le programme, et aller même au-delà.

Le Rassemblement National, toujours en embuscade en vue de l’élection présidentielle de 2027 (si celle-ci n’est pas provoquée avant par une démission de Macron), sauterait sur la moindre contradiction de la gauche au pouvoir pour raffermir encore son emprise sur certaines franges de l’électorat populaire. Aussi, si l’influence de l’aile gauche n’est pas suffisante et que les conditions d’application du programme ne sont pas réunies, il est essentiel que la gauche radicale applique un soutien parlementaire sans participation gouvernementale. Ne se liant pas les mains, les militant·es révolutionnaires pourront ainsi offrir une alternative crédible à l’extrême-droite en 2027.

Le troisième et dernier scénario, parfois présenté comme le plus probable, est l’absence de majorité absolue, voire de majorité tout court, à l’Assemblée. Cette situation ouvrirait la voie à toutes les combines politiques possibles. Macron tenterait évidemment de casser le Nouveau Front populaire pour reconstruire un bloc centriste, en séparant ses éléments les moins radicaux de LFI. Quant à l’extrême-droite, elle serait toujours en position de force et disposerait sans doute d’une ou deux centaines de député·es prêt·es à saisir le pouvoir à la moindre occasion. D’autant qu’avant 2027, deux nouvelles dissolutions pourraient encore être déclenchées par le président !

Dans ce contexte, les militant·es révolutionnaires auraient à éviter le principal écueil guettant le Nouveau Front populaire : le détachement de sa frange sociale-libérale, parallèlement à l’isolement de ses éléments radicaux. Se prémunir de ce risque suppose de lancer dès maintenant la bataille pour l’hégémonie au sein du Nouveau Front populaire, c’est-à-dire pour l’influence politique, culturelle et sociale des seconds sur les premiers. Dans cette bataille, le mot d’ordre de la 6e République doit jouer un rôle central, car c’est bien lui qui permet de contester le monopole de la bourgeoisie sur le pouvoir politique. La convocation d’une Constituante mandatée pour y mettre un terme est en effet le seul moyen de sortir par le haut, par le progrès social, de la crise de régime actuelle. De fait, il se peut que nous nous approchions du pouvoir le 7 juillet, mais nous ne l’aurons pas encore conquis. Le chemin restera long et difficile pour y parvenir, chasser les représentants du patronat des sommets de l’État et en finir avec l’institutionnalisation de l’injustice.

Signataires

Josselin Aubry
Aurélie Biancarelli
Hugo Blossier
Hadrien Bortot
Sophie Bournot
Marie-Pierre Boursier
Alexan Colmars
Emmanuel Deleplace
Manel D.
Rosa Drif
Anaïs Fley
Juan Francisco Cohu
Nadine Garcia
Laureen Genthon
Antoine Guerreiro
Marie Jay
Noam Korchi
Helena Laouisset
Colette
Nuria Moraga
Martine Nativi
Basile Noël
Philippe Pellegrini
Hugo Pompougnac
Lola Sudreau
Clément Vignoles


  1. Suppression de la CVAE et C3S, annoncée le 20 juin lors de l’audition des organisations représentatives et associations de dirigeants d’entreprise. ↩︎
  2. Déclaration de Patrick Martin dans son interview au Figaro le 19 juin « Le programme du RN est dangereux pour l’économie française, la croissance et l’emploi, celui du Nouveau Front Populaire l’est tout autant voire plus » ↩︎
  3. Sondage Cluster17 du 19 au 21 juin 2024 ↩︎
  4.  Nous sommes des camarades ! – (alternative-communiste.fr) ;  Réponse collective à une infamie : sur l’accusation d’antisémitisme portée contre LFI https://linsoumission.fr/2024/06/19/tribune-lfi-antisemitisme-infamie/ ↩︎
  5.  https://nosrevolutions.fr/2023/05/17/crise-democratique-macron-doit-etre-le-dernier-president-de-la-cinquieme-republique/ ↩︎

Image d’illustration : « Ouverture d’une urne électorale, élection régionale 2021 », par Aeroceanaute (CC BY-SA 4.0)


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