Cet article du 21 juin 2024 est extrait de la lettre hebdomadaire de Patrick Le Hyaric. Cliquez ici pour lire la lettre de la semaine et ici pour vous y abonner.
« En général quand une catastrophe privée ou publique s’est écroulée sur nous, si nous examinons, d’après les décombres qui en gisent à terre, de quelle façon elle s’est échafaudée, nous trouvons presque toujours qu’elle a été aveuglément construite par un homme médiocre et obstiné qui avait foi en lui et qui s’admirait. »
Victor Hugo
Quel déferlement ! Le cercle de la raison capitaliste se déchaîne sans vergogne, parfois avec haine, contre la plateforme économique, sociale, écologique et démocratique du Nouveau Front populaire. Votre chiffrage, crient-ils en cœur. Le texte du conseil national de la résistance ne comportait aucun chiffrage, pas plus que celui du Front populaire de 1936 lancé par Maurice Thorez. Ce sont pourtant les progrès sociaux ont permis les progrès économiques.
Ceux-là même qui ont plombé le pays de 3 000 milliards de dettes publiques, aggravé le déficit commercial donnent aujourd’hui des leçons en incompétence économique. Leurs agences de notation dégradent la note du pays, et la Commission européenne blâme la France et six autres pays pour « déficit excessif », autrement dit, c’est leur système qui les critique. Les problèmes économiques ne sont pas pour demain. Ils sont là, produits par ce pouvoir.
Pire encore, ils s’appuient sur leur terrible bilan pour expliquer qu’il n’y a pas d’autre politique possible. Ils ont repris le mot d’ordre de Mme Thatcher qui criait « il n’y a pas d’alternatives ». Cela ressemble au même déchaînement que lors du débat sur le traité européen en 2005. En clair les tenants du pouvoir expliquent qu’au fond il n’y a pas besoin d’élection car il n’y a qu’une politique possible. Celle qui sert les intérêts des milieux d’affaires. En creux, ils appellent les citoyens a accepter leur sort et le tour de vis austéritaire en préparation.
C’est de leur politique en faveur du capital et contre la rémunération du travail et les services publics dont souffre l’immense majorité de nos concitoyens.
Ils avouent ainsi qu’ils ne comptent pas améliorer la vie des gens. On comprend que les 500 plus grosses fortunes sont vent debout contre le nouveau front progressiste et citoyen. Elles disposaient de 200 milliards d’€ il y a 10 ans. Elles en ont aujourd’hui 1200 milliards. Mille deux cents milliards d’euros. Un petit prélèvement de 2 % rapporterait 40 milliards d’€ sans les mettre sur la paille. De quoi maintenir et rénover des maternités, des hôpitaux, des écoles et des lignes SNCF.
Si depuis l’année 2017, les finances publiques sont si dégradées, c’est parce que le pouvoir n’a cessé d’ajouter des cadeaux fiscaux et sociaux aux grandes entreprises sans bénéfice ni pour l’emploi stable et le progrès social, ni pour l’environnement.
Le programme du Nouveau Front populaire se fixe l’objectif de combiner efficacité budgétaire, efficacité économique et efficacité sociale pour une bifurcation humaine et écologique. Il existe, en effet, des alternatives aux lois économiques « immuables » qui obligeraient les travailleuses et les travailleurs à toujours subir, à toujours souffrir, à toujours être dominé et exploité.
Ce sont ces orientations qui sont massivement rejetées. Et le choix de dissoudre l’Assemblée nationale s’explique par l’absence de majorité pour appliquer cette politique antisociale au service des puissances d’argent.
La bataille est acharnée, car l’objectif de cette dissolution est de tenter de retrouver une majorité parlementaire, afin d’avoir les coudées franches. Pour cela, il faut souder le bloc bourgeois capitaliste représenté par la droite, les prétendus Centristes et macronistes. S’ils le jugent nécessaire, cette soudure peut aller jusqu’à l’alliance institutionnelle avec le bloc national-capitaliste de l’extrême-droite. Tous les coups sont permis avec un cortège de tentatives de division médiocres et des chapelets de mensonges grossiers contre le Nouveau Front populaire. Ils utilisent « le lexique de l’effroi ».1
Les leçons d’économie du camp macroniste et de la droite traduisent bien leur position de classe, alors que le RN/FN a multiplié ces derniers mois les réunions avec les représentants du Medef et l’essentiel des dirigeants des entreprises cotées en bourse pour rassurer le grand capital. Ils appellent cela la « dédiabolisation ».
Aidons à dissiper l’illusion selon laquelle ils soutiennent les gens de peu, les travailleurs pauvres, les précaires, le monde rural. À leur programme : ni hausse des salaires, ni indexation sur les prix, mais lancement du scud final contre la Sécurité sociale avec la suppression des cotisations sociales qui constitue un immense cadeau au grand patronat et une baisse du pouvoir d’achat des travailleurs qui devront se payer leur retraite et aux assurances sociales privés qui lorgnent depuis si longtemps sur ces 400 milliards d’euros.
Comme dans d’autres pays, à l’image de l’Argentine, l’Italie, la Hongrie, le Royaume-Uni, les puissances d’argent considèrent que l’union du bloc bourgeois capitaliste et nationaliste est à l’ordre du jour, comme garantie pour sauver leurs intérêts. C’est une nouvelle phase politique qu’ils peuvent ou veulent entamer pour sauver le système et aplanir les contradictions intra-capitalistes notamment entre le capitalisme industriel et le capitalisme financier.
La plateforme du Nouveau Front populaire ne constitue pas une révolution, mais un programme keynésien de rupture visant à rééquilibrer la distribution de richesses et à impulser l’investissement par la demande avec l’augmentation des salaires et une dépense publique réorientée vers les services publics et la bifurcation écologique facteur d’un nouveau développement créateur d’emploi.
Il est, en effet, urgent de s’engager dans la reconstruction de deux services publics essentiels : la santé et l’éducation nationale. De même, une loi démocratique de planification écologique permettra un bond en avant dans l’isolation des logements, l’accélération des rénovations des bâtiments publics, et l’amplification du développement des transports publics à un prix accessible.
Le contrat de législature de la diversité des forces constituant le Nouveau Front populaire tient compte de la situation économique et sociale qui appelle dans un premier temps à réparer le pays et améliorer la situation des familles populaires. Cela commence par l’abrogation de la dernière contre-réforme des retraites et celles de l’assurance-chômage, le blocage des prix des biens de premières nécessités, notamment l’alimentation, l’électricité et les carburants, l’augmentation du minimum vieillesse, l’augmentation du SMIC à 1 600 € net et la revalorisation de 10 % du point d’indice des agents de la fonction publique. Puis une conférence sociale sur les salaires, l’emploi et la formation se tiendrait d’ici la fin de l’automne en même temps que serait décidée une indexation des salaires sur l’inflation. C’est une garantie minimale de protection du niveau de vie des travailleurs et des retraités. Une telle disposition permettant de commencer à relancer la consommation condition pour ouvrir des débouchés supplémentaires et du travail pour nos entreprises, particulièrement les PME et les artisans dans une multitude de secteurs.
Le soutien permanent au capital depuis quatre décennies a conduit à une baisse de la productivité en privilégiant des emplois peu productifs au profit d’importations plus grandes et à une nouvelle prolétarisation notamment dans le développement de la logistique, les transports et le capitalisme de plateforme. C’est l’amélioration des salaires, un grand plan pour la formation, l’incitation à de nouveaux investissements publics pour la reconstruction de filière industrielle, le développement de services publics démocratisés et modernisé, le soutien à une agriculture paysanne grâce à des prix rémunérateur planchers à la production qui permettront le retour des gains de productivité favorables à l’économie générale. Cette stratégie peut être soutenue par des aides et crédits publics conditionnés à des critères de progrès social et environnemental.
Le financement d’une telle bifurcation passe par une réforme progressiste de la fiscalité visant la lutte contre les inégalités, la taxation des transactions financières, le rétablissement de la taxe sur les plus-values de cession d’entreprises qui permettent les délocalisations, la mobilisation des banques dans le cadre d’un pôle public bancaire pour un nouveau crédit utile aux projets économiques utiles et au travail. De ce point de vue, une bataille devra s’engager pour obtenir que la banque centrale européenne permette d’accéder à un crédit à taux nul et au refinancement de la dette en dehors des prédateurs que constituent les marchés financiers.
Un tel contrat ne peut réussir sans un considérable renforcement du pouvoir des travailleurs au sein de l’entreprise et sans une mobilisation citoyenne permanente.
Ne nous faisons aucune illusion, la lutte des jours prochains sera rude. Elle sera tout aussi rude après une victoire du Nouveau Front populaire. Le grand capital, les marchés financiers et les forces de la réaction vont mener la bataille par tous les moyens. Il faudra rester unis et cultiver l’implication populaire. En permanence, il conviendra de rester fidèle au texte du contrat de législature qui affirme vouloir s’appuyer sur « un lien constant avec la société mobilisée, notamment les syndicats, associations, collectifs ».
Autrement dit, loin des expériences passées, la nouvelle coalition gouvernementale doit être placée en permanence sous le contrôle des citoyens, des travailleurs et de l’ensemble des forces populaires.
C’est la condition de l’alternative au macronisme et à l’extrême droite. Bien plus, c’est la condition pour empêcher le compromis entre le libéral-capitalisme autoritaire et le fascisme. Ce mot choque désormais. Bien sur l’extrême droite contemporaine n’est ni Hitler, ni Mussolini. Cependant, il est pertinent d’analyser le fascisme qui s’avance comme l’autoritarisation nationaliste de l’espace politique comme solution de recours des forces capitalistes. Il vise la continuation du capitalisme par temps de crise. Ses caractéristiques sont toujours les mêmes : rejet des droits humains, mise en cause des libertés individuelles, du droit international, des corps intermédiaires et des contre-pouvoirs, recherche du monopole des moyens de communication de masse, haine de la culture, rejet de l’étranger ou du supposé tel, combat contre le communisme.
Le moment est plus sérieux, plus grave, plus inquiétant que ne le laisse entrevoir les endormeuses propagandes. Chaque minute compte pour empêcher le pire en ouvrant nos mains et nos cœurs à toutes celles et ceux qui cherchent les lumières de l’espoir.
- « Lexique de l’effroi », expliqué par Théodore Adorno dans Le nouvel extrémisme de droite, éd Climat 2019
Voir aussi les titres de la presse économique et celui de l’éditorial du Figaro des 15-16 juin sur « l’horreur économique ». ↩︎
Image d’illustration : « 15 juin, Marche parisienne contre l’extrême-droite » par Jean-Paul Romani – Photothèque du mouvement social