Front populaire contre la nausée brune


Cet article du 8 juin 2024 est extrait de la lettre hebdomadaire de Patrick Le Hyaric. Cliquez ici pour lire la lettre de la semaine et ici pour vous y abonner.

Ce n’est ni un pari, ni un coup de poker, mais une décision mûrement réfléchie, préparée depuis un moment.

La décision du président de la République, omniprésent devant micros et caméras, comporte plusieurs objectifs. Certes, il tente de sortir de la crise politique dans laquelle il est empêtré, sans majorité parlementaire. Il devenait presque certain que le gouvernement serait renversé au moment du vote de nouveaux cavaliers budgétaires ou du prochain budget. Mais, plus fondamentalement, il cherche au nom du grand capital – boursouflé de contradictions et en pleine guerre interne – à trouver une majorité politique et parlementaire qui puisse sécuriser le système. Le président sait très bien que l’extrême-droite est aux portes du pouvoir. Il décide donc aujourd’hui de lui permettre de mettre un pied dans la porte.

Plus il s’est engagé personnellement en faveur de la candidate de son camp lors des élections législatives, plus celle-ci a perdu des voix. Il mesure donc le niveau de discrédit voir de détestation dont il fait l’objet.

Il sait – et ses députés le disent – qu’il peut perdre de nombreux sièges avec ces « élections législatives-TGV »

Il sait aussi que le RN/FN s’est déjà qualifié dans 200 circonscriptions au premier tour des législatives de 2022. Et la dynamique des élections européennes permet à l’extrême-droite d’espérer de meilleurs résultats encore à la fin de ce mois. M. Macron a donc décidé de s’exonérer de toute introspection, de toute critique, de toute interrogation, de toute remise en cause sur son attitude, comme sur sa politique qui fait tant souffrir les travailleurs et bouche l’avenir à la jeunesse. La raison en est simple : les intérêts qu’il est chargé de défendre sont plus puissants que l’intérêt du pays et de l’immense majorité du peuple. Pour pouvoir mettre en œuvre sa politique, il n’a pas changé de cap : rechercher les conditions d’une union sacrée autour des intérêts du grand capital qu’il tente de faire confondre avec les intérêts du pays. C’est tout l’objectif des promesses faites aux députés de droite et d’autres leur garantissant de ne pas leur opposer de candidats macronistes s’ils se rallient au panache de la majorité présidentielle.

Mais, pour s’offrir une assurance tous risques, les puissances d’argent ne mettent pas tous leurs œufs dans le même panier.

C’est le sens de l’initiative de M. Ciotti appelant son parti à une alliance avec l’extrême-droite. Ne croyons pas, là non plus que M. Ciotti agit sur un coup de tête. Il faudra se remémorer le parcours de cette droite depuis l’élection municipale de Dreux, en passant par les alliances Droite/FN aux élections régionales jusqu’à la sortie du même Ciotti lors des dernières législatives affirmant qu’il pourrait voter pour Zemmour. Les médias racontent que les cadres de LR résistent. Tout est relatif. Ils veulent à court terme tenter de défendre leur boutique et leurs positions au Sénat. Mais quand Xavier Bellamy leur tête de liste aux Européennes indique qu’en cas de second tour opposant un candidat du Front populaire et un candidat du RN/FN, il voterait pour ce dernier.

Comme le raconte notre consœur Raphaëlle Bacqué dans son journal Le Monde, la décision de ce ralliement a été prise lundi lors d’une dernière rencontre entre le président des LR et M. Bolloré militant de « la défense de l’occident chrétien » et… de sa fortune. Pour que le tableau soit totalement complet, il faut noter la multiplication des rencontres entre le couple Le Pen – Bardella et le Medef ou les grands chefs d’entreprises du CAC 40 depuis des mois. Ainsi une partie de la droite et la macronie font du RN/FN le pilier de la vie politique. Autrement dit, la reconfiguration du bloc bourgeois capitaliste s’accélère comme ce fut le cas en Italie, en Hongrie, en Argentine ou aux États-Unis.

Dans un tel contexte, il convient de saluer avec enthousiasme la naissance du nouveau Front populaire constitué des forces de la gauche politiques, sociales, culturelles qui ont pris en compte la dangerosité de la situation et écouté – enfin – les millions de leurs sympathisants prêts à se mobiliser dès lors que l’unité revient. Né de la demande populaire, il doit rester propriété citoyenne et agir en osmose avec l’expression des intérêts populaires et nationaux.

Les gauches ont la responsabilité d’agir avec audace et tracer ensemble le seul chemin d’espoir possible. Seules les forces sociales et progressistes sont en situation d’empêcher le pire. Rien ne dit que les manœuvres du pouvoir fonctionneront, tant nos concitoyens ne supportent plus une politique qui sécurise les profits et les dividendes et sème toujours plus d’insécurité de vie dans les classes populaires.

Cette union populaire et progressiste en construction peut constituer un espoir pour le quatrième bloc dont personne ne parle. Celui des abstentionnistes souvent dégoûtés de la politique, des divisions et des vaines polémiques tout autant que des engagements de gauche non tenu par le passé. Mobiliser ces abstentionnistes qui manquent à la gauche peut permettre l’élection d’une majorité de députés du Front populaire et la formation d’un nouveau gouvernement de ce front progressiste et citoyen. Cela implique de mener campagne sur la plateforme de législature et de ne pas tomber dans tous les pièges tendus par le bloc bourgeois et ses médias comme par exemple la désignation d’un Premier ministre et de fustiger les procès en incompétence économique. Notre pays ne souffre pas d’un manque d’argent. Il souffre de son accumulation à un pôle de la société contre l’immense majorité. C’est ce système que veut préserver le bloc bourgeois capitaliste prédateur prêt à toutes les combinaisons politiques pour y parvenir.

Discrédité, mais soucieux de garder une part importante du pouvoir dans le cadre d’un présidentialisme exacerbé, M. Macron et les droites travaillent depuis des mois à une recomposition politique avec l’objectif de construire une union nationale pour le capital.

Pour cela, ils ne reculent plus devant rien. Ne sous-estimons pas le point de bascule auquel ils travaillent. Et ils veulent le faire en une vingtaine de jours après avoir fait beaucoup pour cultiver des dissensions à gauche. Ils en sont pour leur frais.

Après avoir organisé son numéro de duettiste avec l’extrême droite, après avoir installé ses représentants dans des postes institutionnels à l’Assemblée nationale, après les avoir blanchis de leur antisémitisme en marchant à leur côté, après avoir repris des bribes de leur programme jusqu’à flirter avec le concept de « préférence nationale », voici que M. Macron n’exclut plus de gérer les intérêts des milieux d’affaires avec l’extrême-droite. Depuis les élections présidentielles de 2017, la macronie, les droites et le RN/FN sont en osmose sur une question fondamentale : substituer au rapport de classe, à la lutte des classes, un autre logiciel. Celui d’un combat entre populistes et progressistes, souverainistes et mondialistes, élite contre le peuple. Derrière cette stratégie, se cache un enjeu fondamental à un moment où les contradictions du capitalisme sont telles qu’en miroir maturent les idées autour d’un monde commun de partage des pouvoirs, des savoirs et des richesses, d’un dépassement du capitalisme.

L’ennemi commun des droites et des extrêmes-droites est la gauche partageuse, contestant l’ordre social injuste, combattant un système économique qui détruit les femmes, les hommes et le vivant, portant en bannière un racisme décomplexé, la haine des jeunes, des chercheurs et des associations engagés dans les combats contre toutes les dominations, la survie de la planète, le féminisme. Il fallait écouter attentivement le ministre de la Justice dépêché pour faire le tour des débats post-électoraux dimanche soir, répétant en boucle qu’en donnant les clés au RN/FN, preuve sera faite de leur nullité qui les discréditera pour l’avenir. Il n’a sans doute pas lu Goebbels noircissant ces mots dans son journal : « Nous entrons et nous n’en sortirons plus, sauf mort ». Les fabricants élyséens d’éléments de langage ne veulent pas non plus qu’on ouvre les yeux sur ce qui se passe en Hongrie, en Italie ou, à nouveau, en Autriche ou en Allemagne ou même en Israël et en Argentine.

Le grand capital est arrivé au moment où il sait ne plus pouvoir avancer sans sa dernière béquille. L’extrême droite épouse ses intérêts fondamentaux : le marché capitaliste, les choix antisociaux, anti écologistes, la guerre économique et monétaire, et la guerre militaire comme moyen de relance.

Des conquis de la Libération et du Front populaire, ils veulent tout faire disparaître. Les puissances d’argent considèrent qu’un rapport de force électoral plus favorable à l’extrême droite peut par exemple accélérer la privatisation de l’audiovisuel public, détruire plus facilement le statut de la fonction publique, l’assurance-chômage et la sécurité sociale. La manœuvre est habile.

On fait croire aux citoyens qu’on peut augmenter le salaire net en supprimant les cotisations sociales. C’est en réalité le plus court chemin pour augmenter les profits et assécher la solidarité sociale afin d’ouvrir la voie à la retraite par capitalisation et aux assurances privées. C’est la fin de la prise en charge des maladies, des accidents du travail et de la vie par la sécurité sociale universelle et solidaire.

Les plans macronistes peuvent être déjoués par une grande mobilisation populaire dans la rue, dans de multiples réunions, dans la construction de comités locaux du Front populaire et dans les urnes le 30 juin. Il conviendra d’éviter les chausse-trappes et certains arguments qui, à nos dépens, peuvent parfois crédibiliser les pires scénarios.

Le front qui se réalise entre forces de gauche et écologistes, mouvement syndical et associatif, mouvements féministes et antiracistes, organisations de défense de l’environnement, les mondes de la culture, de l’université et des sciences, des secteurs importants de la presse et de la justice, est de haute portée.

Seul ce front unitaire, populaire et progressiste peut faire battre l’extrême droite, conquérir une majorité au Parlement et construire un gouvernement d’union pour abroger les contre réformes des retraites et de l’allocation chômage, améliorer les petits et moyens salaires, lancer un plan audacieux de rénovation et de développement des services publics dans les quartiers comme à la campagne, en portant un grand effort pour l’école et les services de santé, empêcher la cure d’austérité qui s’annonce en recherchant de nouvelles recettes budgétaire en faisant payer son dû à la solidarité nationale par le capital.

Avec un candidat unique du Front populaire dans chaque circonscription, l’espoir renaît. Le temps est court. Mais suffisant pour renverser la table et répondre au désir majoritaire de nos concitoyens qui rêvent d’autre chose que de start-up nation, d’individualisme forcené, du rejet de l’autre et des divisions, de la concurrence et de la compétition permanente, des dévastations du monde et du saccage du vivant. Ils ont à leur disposition le moyen de rejeter la nausée brune et de rêver des lumières.


Image d’illustration : Logo du Nouveau Front populaire (Domaine public)


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