Europe, pour un avenir à gauche


Le parti-pris de Nos Révolutions, discuté le 6 avril 2024.

Le 9 juin les Français·es sont appelé·es aux urnes pour élire leurs représentant·es au Parlement européen, et une fois de plus la gauche va partir divisée. Cette stratégie de « comptage » semble assez largement partagée à gauche, chacun appuyant sur les divergences apparues au cours de l’année écoulée.

Si les instituts de sondage pinaillent sur la deuxième décimale pour classer les partis politiques de gauche dans la marge d’erreur, ils convergent tous pour annoncer des taux d’abstention records, particulièrement au sein des classes populaires. Cette abstention permet, d’une part, de faire monter de façon mécanique les scores des candidats d’extrême-droite qui contestent le pouvoir aux libéraux et, d’autre part, à une “gauche” libérale et atlantiste de dominer le débat avec, Glucksmann (PS/Place publique), flanqué de Toussaint (EELV) qui est sur une ligne voisine.

Face à cette approche, Aubry (LFI) fait le pari de l’internationalisme avec l’accent mis sur la candidature de Rima Hassan et espère faire voter les quartiers populaires, et Deffontaines (PCF) fait le pari du souverainisme en espérant faire voter les populations en déclassement tentées par le RN. Ainsi dans ce triptyque extrême-droite/libéraux/gauche de transformation sociale, c’est bien cette dernière force qui n’arrive pas à émerger en France comme dans le reste de l’Europe. Face à ces dangers et sans nier ni nos désaccords stratégiques, ni nos désaccords théoriques, les gauches nationales et européennes doivent trouver les chemins de la solidarité. En effet l’éclatement et les querelles de chapelles ouvrent la voie à la consolidation des forces conservatrices au sein des gouvernements, mais aussi à l’hégémonie des idées d’extrême-droite sur le continent européen. 

Dès lors, interrogeons-nous sur la situation européenne et les enjeux stratégiques que nous devons affronter. Il nous faut, malgré ces difficultés, saisir l’occasion de ces élections européennes pour élever le niveau de conscience des populations, débattre, informer et rassembler. En effet, un nouvel effondrement de la gauche sociale, progressiste et écologiste aggraverait la situation de toutes celles et tous ceux qui, dans le monde et en Europe, ont intérêt à la transformation sociale. Mais quelle Europe voulons-nous ? Quelles mobilisations des peuples européens pourraient devenir le socle de la prise de pouvoir ? Dans ce Parti-pris, nous faisons le choix de nous interroger sur ces questions complexes sans avoir la prétention d’y apporter des réponses définitives.

L’Europe : un projet politique ?

Pour avancer il s’agit de poser, aussi, un constat lucide sur l’histoire de la construction européenne fondée, depuis de nombreuses années, sur le mythe d’une paix retrouvée après la Seconde guerre mondiale grâce à la construction de l’Union européenne sur la base d’un marché commun de concurrence libre et non faussée.  C’est sur cette idée d’une paix durable que s’est construit le mythe européen ; une « paix » définie de façon bien limitée comme l’absence de conflit. Les traités européens successifs rappellent que le développement économique, en particulier répondant aux critères néolibéraux du consensus de Washington, est la condition de cette paix. 

Ainsi une partie des capitalistes soutient que la redistribution des richesses est la garantie de la paix sociale, nécessaire pour poursuivre leur business, mais aussi la garantie de la paix internationale, qui est l’une des conditions de la mondialisation de l’économie et du développement des marchés. C’est le ruissellement défendu par la sociale-démocratie européenne. Or nous ne voulons pas de ce ruissellement imaginaire des riches vers les pauvres. Nous voulons que les richesses appartiennent à toutes et tous pour garantir l’émancipation !

Pourtant au cœur de cette Europe, si prospérité il y eut, elle n’a pas profité à grand-monde, ni parmi les peuples européens, ni à l’échelle du monde. Ce mythe est ainsi mis à mal, le 24 février 2022 lors de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et avant cela avec  la guerre en ex-Yougoslavie. La construction européenne fondée sur l’économie de marché, n’éloigne pas en réalité la guerre. Les différents pays européens ont en fait été souvent en guerre, souvent sous la tutelle de l’OTAN et donc des États-Unis d’Amérique, souvent hors du territoire européen. 

La guerre en Ukraine a été rendue possible par l’organisation des rapports de forces imposés par les États-Unis et l’OTAN depuis la chute de l’URSS. Pour construire une Europe de paix et de solidarité entre des peuples libres, égaux et associés, l’une des premières étapes consisterait à dissoudre cette alliance construite par et pour les intérêts de la bourgeoisie impérialiste et la survie de son système. 

Dans ce contexte, devrions-nous défendre l’idée de contribuer au remplacement d’une domination par une autre ? Il y a trois alternatives, et aucune n’est préférable à l’autre : domination des État-Unis d’Amérique, domination russo-chinoise ou formation d’un bloc impérial strictement européen, autour de l’Allemagne et de la France. Ou bien, au regard des défis écologiques, sociaux, démocratiques et même de civilisation posés à l’humanité tout entière, devrions-nous agir et contribuer à l’émergence d’une nouvelle organisation internationale, libérée des rapports de domination et fondée sur le partage des richesses, la promotion des intérêts des forces du travail et de la création, l’exigence de sécurité collective et de sécurité humaine globale, et l’émancipation des peuples des logiques capitalistes ?

Il ne s’agit pas tant de devenir un pays « non-aligné », mais que la France joue son rôle au regard de l’histoire et récuse l’organisation du monde en blocs impérialistes opposés. Une telle organisation internationale sera nécessairement le fruit du changement politique dans les différents membres, la révolution en Europe passera par les révolutions françaises, espagnoles, allemandes, … 

A travers ses trois fonctions (législatif, de surveillance et budgétaire) le Parlement européen, élu au suffrage universel direct, peut jouer un rôle structurant, y compris de contre-pouvoir au Conseil européen et à la Commission européenne. Pour autant, les dernières années nous le montrent, le combat pour le progrès humain en Europe ne saurait se réduire au combat parlementaire. Les peuples doivent se faire entendre au parlement, mais aussi – et surtout – en dehors !

Les politiques européennes sont le résultat d’un consensus ou d’un rapport de force imposé par les peuples, entre ces différentes institutions et donc avec les gouvernements des États membres. Nous voulons faire le pari du rapport de force, car une évolution de ces politiques ne sera donc “que” le résultat d’une prise de pouvoir des peuples tant nationale qu’européenne. Amplifier la conscience et l’action commune des peuples européens requiert d’entrer en action :

– Pour affronter ce que l’UE a de monstrueux, comme les politiques migratoires européennes qui font de la Méditerranée un véritable cimetière marin.

– Pour amplifier les aspirations progressistes qui s’y forment, comme celles relatives au droit à l’IVG qui, de l’Irlande à la Pologne en passant par la France, est mise au premier plan des luttes européennes.

Les grandes luttes qui mobilisent nos préoccupations les plus universellement humaines, à l’image de la lutte pour la paix ou de la lutte contre le réchauffement climatique, peuvent également être mises au premier plan. Face aux multiples défis qui se posent à nous, l’échelle européenne est pertinente pour construire des réponses démocratiques en Europe. 

Pour une Europe des peuples, libres, égaux et associés

C’est de l’absence de réponses sociales et démocratiques que se nourrissent les extrêmes-droites européennes comme françaises. Ainsi, le débat français sur les formes que devraient prendre le soutien français à l’Ukraine est une fois de plus de nature à cristalliser les positions. Non, nous ne sommes pas en état de guerre mais la banalisation du conflit sur le sol européen accompagnant la volonté de passer en économie de guerre, de livrer toujours plus d’armes à l’Ukraine, d’appuyer toujours plus sur les mécanismes qui creusent les inégalités sociales, nous y conduira à plus ou moins long terme.

Nous affirmons donc l’urgence du retour au politique et à l’impératif démocratique avec pour première tâche de combattre les causes des conflits : les inégalités sociales, la mise en concurrence, les spoliations et spéculations, c’est-à-dire l’accaparement des ressources. Notre volonté doit être de construire une Europe des peuples, unis et solidaires pour construire les chemins politiques du progrès social, écologique et démocratique. Cela implique une lutte d’ampleur mondiale, multilatérale, pour la protection des ressources naturelles et des matières premières. 

Mais avec qui et comment, par quels processus et initiatives, porter le fer sur le multilatéralisme. Quelle nouvelle étape de l’internationalisme devons-nous ouvrir pour fermer la porte aux nationalismes et à la guerre ? Comment faire gagner l’exigence d’états et d’institutions respectueuses de la souveraineté de leurs interlocuteurs, disposés à nouer des coopérations diverses et mutuellement avantageuses, sans prétention hégémonique ni raidissement bipolaire ? Ce nouvel âge des relations internationales, véritablement multilatéral, est à l’ordre du jour, et l’intégration européenne peut y jouer un grand rôle. Quel rôle peut et doit alors avoir l’intégration européenne ?

Ces questions sont d’autant plus difficiles à traiter que ces 20 dernières années ont mis un coup d’arrêt brutal à l’élargissement de l’Europe : la succession du Non au TCE (2005), l’écrasement de la Grèce (2015) et le Brexit (2020) ont mis un terme au processus d’intégration européenne. Il existe pourtant des expériences que les peuples européens ont regardées avec espoir.

On peut par exemple penser à l’expérience grecque : la victoire de Syriza ouvrait la voix à une nouvelle articulation entre les politiques nationales des États membres et les politiques européennes mises en œuvre. La défaite européenne de la Grèce a mis un coup d’arrêt aux espérances des peuples pour construire une Europe sociale des peuples, la Troïka a battu les espoirs populaires, Tsipras a échoué et il ne faudra pas reproduire les mêmes erreurs.

Comme l’a montré le déclenchement de la guerre en Ukraine, puis celui de la guerre à Gaza, l’Europe diplomatique et politique s’est effondrée : l’Union Européenne n’est plus qu’un marché dominé par deux gros poissons, la France et l’Allemagne, et un espace politique vassalisé par les USA à travers l’OTAN. Nous pourrions alors reformuler les questions posées un peu plus haut de la façon suivante : est-ce que les travailleurs reprennent à leur compte l’intégration européenne à laquelle la bourgeoisie a renoncé ? Si oui, pourquoi et comment ?

Signataires

Lilli Attanasio
Josselin Aubry
Jean-Jacques Barey
Chloé Beignon
Aurélie Biancarelli
Hugo Blossier
Hadrien Bortot
Sophie Bournot
Marie-Pierre Boursier
Juan Francisco Cohu
Nicolas Defoor
Manel Djadoun
Anaïs Fley
Nadine Garcia
Laureen Genthon
Antoine Guerreiro
Marie Jay
Noam Korchi
Colette
Nuria Moraga
Frank Mouly
Anne-Marie Mugica Lefumat
Martine Nativi
Philippe Pellegrini
Hugo Pompougnac
Lola Sudreau

Pour signer : contact@nosrevolutions.fr


Image d’illustration : Rawpixel (CC0 1.0)


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