Par Hugo P.
Aya Nakamura, dont il est question pour le spectacle d’ouverture des Jeux Olympiques à Paris, fait l’objet d’une agitation furieuse. Le RN, Reconquête et les électeurs qu’ils représentent sont aux premiers rangs de la polémique. Il n’y a rien d’étonnant à ce fait, et du reste, au-delà de sa dimension raciste évidente, leur animosité ne se limite pas à la couleur de peau ou à la double nationalité de la chanteuse.
Cette dernière, en effet, est une figure positive dans la vie des classes populaires et de la jeunesse, un reflet cosmopolite, optimiste et dansant de leurs préoccupations quotidiennes. Les partis qui assument le porte-parolat de classes à l’agonie observent donc ce genre d’objet avec effroi et avec mépris : “ça ne raconte rien”, puisque ça ne raconte pas les histoires de déclin de la France avec lesquelles ils bercent leurs enfants ; “ça n’est pas du français”, puisque c’est du français populaire. Les mourants n’aiment pas ce qui vit. Ils n’apprécient que ce qui gît dans du formol ou dans une crypte.
À l’inverse, le président de la république, et avec lui le gouvernement, semblent beaucoup tenir à cette prestation d’Aya Nakamura. Depuis le début de l’année, ils se jettent sur tous les symboles qui leur permettent de s’ériger en parangons d’humanisme : au-delà de l’anecdote Aya Nakamura, il y a la panthéonisation de Missak et Mélinée Manouchian, la constitutionnalisation du droit à l’IVG, le projet de loi fin de vie, et sans doute ont-ils en réserve d’autres petits fanions progressistes à agiter entre deux lois ultra-réactionnaires.
Des fanions, oui : les honneurs rendus à Manouchian n’empêchent pas la France de maltraiter les migrant·es (ni de criminaliser les actes de résistance), la réforme constitutionnelle n’empêche pas la destruction méthodique de l’hôpital public et des centres IVG, le spectacle d’Aya Nakamura n’empêche pas la poursuite, par le Ministère de l’Intérieur, d’artistes ou d’intellectuels jugés “anti-républicains”.
De toute évidence, le gouvernement cherche l’apaisement avec les forces progressistes du pays, notamment le prolétariat banlieusard, les intellectuels pauvres et les travailleurs néo-ruraux. Ces populations, en effet, ont été collectivement choquées par sa dérive à l’extrême-droite, qui s’est notamment manifestée cet automne et cet hiver :
1- Par l’interdiction des manifestations en faveur de la paix
2- Par la tentative d’inscrire la préférence nationale dans la loi française.
L’ambiance générale de brutalité policière qui plane sur le pays depuis le mouvement des Gilets Jaunes en 2018/2019, et que la crise consécutive à la mort de Nahel Merzouk a porté à son paroxysme à l’été 2023, vient compléter le tableau.
Ainsi, Macron cherche à redevenir “tolérable”, un président de la république avec lequel on n’est pas d’accord mais que l’on accepte de subir parce qu’il est un moindre mal. Stop ! Cet esprit conciliateur anesthésie au sein du peuple, y compris du peuple de gauche, au moment même où il faudrait le préparer à la lutte. On l’a vu récemment, dans les mouvements sociaux, mais aussi lors des rendez-vous électoraux.
De fait, il faut bien que Macron soit acceptable à leurs yeux pour qu’en 2022, certaines directions de partis, appuyées par de petits segments de l’électorat, aient choisi de se disperser dans des candidatures anecdotiques. En conscience, elles ont mis en œuvre une stratégie menant directement à un second tour Renaissance/RN. Cinq années supplémentaires de macronie (ou pire) ne devaient pas les déranger outre-mesure !
Au-delà de la politique intérieure, elles ont aussi démontré leur complicité avec Macron lors de l’éclatement de la guerre en Palestine (et avant cela, en Ukraine), en joignant leurs voix à celles de la majorité pour dénigrer les défenseurs du droit international. Les mêmes, quelques mois auparavant, cherchaient à obtenir un accord avec le gouvernement sur les politiques de tri migratoire. Bref : il est essentiel de démasquer et de dénoncer, aussi systématiquement que possible, ces rapports de complaisance avec le pouvoir.
En effet, l’épreuve des faits nous a montré que Macron est effectivement intolérable et n’a rien d’un barrage à Marine Le Pen. Le président de la république et son ministre de l’intérieur se sont même réfugiés dans les jupes de cette dernière pour faire face à l’échec initial de la loi Immigration.
Bien sûr, il est inutile de prétendre que Renaissance et le RN sont identiques, ou représentent des catégories sociales identiques ; ce n’est pas le cas. Par contre, il est clair que le premier est prêt à confier les rênes du pouvoir au second (ou bien à mettre en œuvre son programme par procuration), puisque cela permet la réalisation des intérêts supérieurs de la bourgeoisie. Un barrage ? Plutôt un tremplin ! Macron peut désormais accorder toutes les concessions symboliques qu’il voudra : cette leçon durement acquise, nous ne l’oublierons plus. Nous savons désormais que la défaite de l’extrême-droite passe nécessairement par celle de l’extrême-centre.
Image d’illustration : « Aya Nakamura attends dinner Parisfashionweek at Fouquet’s » par other viewnews (CC BY 4.0)