Refuser la guerre militaire et la guerre sociale


Par Patrick Le Hyaric.

Cet article du 9 mars 2024 est extrait de la lettre hebdomadaire de Patrick Le Hyaric. Cliquez ici pour lire la lettre de la semaine et ici pour vous y abonner.

Particulier ce moment. Un de ces moments où tout peut basculer. Comme des somnambules oublieux de toutes les tragiques leçons de l’histoire sortent des studios confortables de quelques télévisions, les affreux échos d’une nouvelle guerre qui pourrait embraser l’Europe. Pendant ce temps à Gaza, un pouvoir israélien d’extrême droite tue, affame, humilie tout un peuple avec méthode dans le quasi-silence des chancelleries occidentales et des mêmes médias qui pressent nos soldats à préparer leurs treillis pour aller faire la guerre sur le sol ukrainien.

C’est ce temps aussi où le gouvernement et l’Union européenne déploient une incroyable artillerie idéologique et politique pour faire avaler de nouvelles pilules d’austérité. Guerre militaire et guerre sociale vont de pair. D’un côté 12 milliards de réductions de dépenses sociales cette année auxquels s’ajouteront 25 milliards l’année prochaine. 37 milliards donc en 2025.

Ce moment où les peuples doivent dire : Nous ne voulons ni de vos guerres ni de votre austérité. Progrès social et paix ne peuvent que voyager ensemble.

Macron, dangereux aventurier

L’immense majorité de nos concitoyens ont nettement réprouvé les propositions de M. Macron d’expédier des troupes au sol en Ukraine formulé le 26 février dernier. Un certain nombre de gens se sont demandés s’il s’agissait d’une bévue ou une provocation. Le président de la République leur a répondu le 29 février en assurant que chacun de ses mots a été « pesé » et « mesuré ».

Les services de la présidence ont même demandé à la presse de bien relire la déclaration qui confirme que ce sujet a bien été évoqué au cours de la réunion des chefs d’État et de gouvernement, précisant que les discussions concernaient seulement l’envoi de troupes « de manière officielle, assumée et endossée ».

Bien lire ce membre de phrase, c’est disposer d’un éclairage inquiétant. Il veut exactement dire qu’il y a déjà des militaires occidentaux sur place. Le journal « The New York Times » a révélé, le 25 février, que depuis 2014 la CIA a implanté douze bases secrètes en Ukraine et formé les services ukrainiens à l’espionnage à grande échelle de la Russie tout en faisant exécuter des responsables russes ou séparatistes.

Des sources militaires ukrainiennes révèlent que « tous les États alliés sont présents en Ukraine ».

Les aveux du chancelier allemand

C’est ce qui conduit le chancelier allemand à refuser, pour l’instant, de livrer des missiles Taurus d’une portée de 500 kilomètres, car il faudrait selon lui accompagner cette fourniture, des militaires pour les faire fonctionner. Dans une déclaration à une agence de presse allemande, il fait ce terrible aveu : « Ce qui est fait concernant le ciblage de la part des Britanniques et des Français ne peut pas être fait en Allemagne ».

Il sous-entend donc que les deux alliés seraient déjà présents sur le sol ukrainien.

N’oublions pas l’autre proposition de M. Macron : partager l’arme nucléaire française avec les autres pays européens. Il n’a pas précisé si chacun des 28 chefs d’État aurait accès au bouton déclenchant le feu nucléaire. Quel dangereux aventurier ! L’arme nucléaire n’existe que pour un État-nation, pour la dissuasion et pour n’être utilisé que si ses intérêts vitaux sont menacés. Les intérêts vitaux de l’Estonie ou de Chypre ne sont pas les mêmes que ceux de la France ou de la Grande-Bretagne. À ceci il faut ajouter le traité de sécurité signé sans consultation de la représentation nationale laissant entendre que l’Ukraine est quasi membre de l’Union européenne voire de l’OTAN. Du reste le programme de réarmement présenté par la Commission européenne fait aussi de l’Ukraine un membre associé de l’Union européenne.

L’escalade Poutinienne

Nous sommes ici à la limite de la co-belligérance. Les répliques du maître du Kremlin aux déclarations de M. Macron sont cinglantes, violentes et très inquiétantes. « Les conséquences de telles interventions seraient tragiques » a-t-il menacé. « Les dirigeants occidentaux doivent comprendre que, nous aussi avons des armes capables d’atteindre des cibles sur leurs territoires. Tout ce qu’ils inventent en ce moment, en plus d’effrayer le monde entier, est une menace réelle de conflit avec utilisation de l’arme nucléaire et donc de destruction de la civilisation ». Glaçant ! Effarant et effrayant !

Le fait que la presse chinoise ait relevé « le ton inhabituel de Poutine » sur l’utilisation de l’arme nucléaire ajoute encore à l’épouvantable caractère de ces déclarations. La simple menace de l’utilisation de l’arme nucléaire est un enjeu sérieux dans les relations internationales, puisque les conventions internationales garantissent une sécurité absolue contre les attaques nucléaires. Comment les peuples pourront accepter plus longtemps d’être sous la menace atomique destructrice de l’humanité. Ce sont ces armes qu’il faut détruire et non pas la vie sur Terre ! Et, ce jeudi les services du Kremlin sont revenus à la charge en accusant la France d’être toujours « plus impliquée » dans le conflit. Laisser monter ces tensions de part et d’autre est irresponsable et dangereux.

La France a autre chose à faire et à dire de plus constructif, plus au service du bien commun. Le premier de ces biens est la paix.

Attention : Un plan de réarmement massif de l’Union européenne est en discussion

Il y a donc urgence à appeler à la désescalade et à rechercher une voie pour le cessez-le-feu et la paix. Les États-Unis ne le feront pas, car ils savent que cette abominable et injustifiable guerre qui tue blesse et mutile des Ukrainiens, bouche l’avenir des enfants, troue la peau de jeunes Russes, affaiblit l’Union européenne, leur permet d’affaiblir l’Union européenne, de la maintenir sous leur coupe et dans une situation de dépendance économique, politique et militaire. Celle-ci est sommée de verser 50 milliards à l’Ukraine, alors que la précarité et la pauvreté y battent des records.

Une cohorte d’anciens militaires de haut rang à la retraite et de journalistes déguisés en spécialistes qui, après avoir expliqué que la grande offensive ukrainienne devait avoir lieu au printemps dernier, puis à l’automne mettrait La Russie à genoux, nous abjure aujourd’hui de suivre le président de la République dans sa croisade guerrière au nom de « nos valeurs » européennes. En vérité, il s’agit plutôt des « valeurs » sonnantes et trébuchantes des forces du capital qui investissent partout dans l’armement, engraissant des dividendes de la guerre les oligarques de part et d’autre.

Ils croient pouvoir contenir les dramatiques effets de l’austérité et de la destruction des capacités de production en développant l’industrie d’armement dont les cotations boursières sont au zénith.

C’est le sens du plan d’investissement pour renforcer l’industrie d’armement en Europe présenté cette semaine par la Commission européenne sous le nom de « stratégie industrielle européenne de défense ».

À cette occasion les services de la Commission européenne ont dû révéler que 75% des armes et munitions achetées par les États membres de l’Union européenne l’ont été en dehors de l’Union européenne. Plus des 2/3 venant des États-Unis. Autrement dit le surarmement profite bien au complexe militaro-industriel nord-américain. Les commis politiques de celui-ci ne sont pas prêts à réclamer la paix.

Les institutions européennes ne trouvent jamais de moyens pour le développement social et environnemental, mais elles envisagent un fond de 100 milliards d’euros pour le développement militaire.

À « l’économie de guerre » opposons une nouvelle économie de paix

Elles ne trouvent aucun moyen pour avancer de l’argent aux industries civiles aux projets, elles ne peuvent, parait-il, jamais lever d’emprunts communs et voilà que l’argent sera avancé aux industriels de l’armement qui bénéficieront de subventions. Une industrie d’armement dont il faut rappeler qu’elle dépende de la commande publique.

De son côté le pouvoir russe développe la même stratégie mortifère aggravant du même coup les conditions de vie des travailleurs et du peuple russe.

Ces armes sont bien destinées à servir et à nourrir la guerre d’usure engagée par la Russie contre l’Ukraine et désormais de l’OTAN contre la Russie. Les seules victimes de cette course à l’abîme sont les peuples sommés d’accepter le concept « d’économie de guerre ».

S’y soumettre reviendrait à subir de nouvelles souffrances sociales et de nouveaux risques pour les libertés publiques. Voici que certains cercles influents des milieux d’affaires proposent en plus de « l’impôt de sang » envisagé par M. Macron de lever « un impôt de guerre ».

Face aux névroses guerrières des fondés de pouvoir du grand capital, il est urgent de toutes nos forces de faire primer le combat pour la vie, le combat pour la paix. S’il y a une valeur à défendre, c’est celle de « l’économie de paix ». Celle d’un monde de justice et de paix. L’absurde thèse selon laquelle « il faudrait se battre jusqu’au dernier Ukrainien » n’est que la plongée dans l’obscurité du premier acte du drame fatal qui peut survenir à tout moment.

Il n’y a pas de sécurité dans le surarmement et la guerre

Alors qu’il y a tant à faire pour sauver le climat et gagner le bien-être humain et animal, éradiquer la famine et les maladies. L’Europe doit cesser d’être un supplétif des États-Unis et leurs projets de domination, utilisant le droit international selon leurs volontés hégémoniques, dans une totale hypocrisie, comme on le voit dans leur soutien et la fourniture d’armes au pouvoir d’extrême droite israélien qui étouffe et détruit Gaza. Portons le combat pour une Union européenne facilitatrice de paix et de sécurité commune.

Le devoir de la France, puissance nucléaire et membre du conseil de sécurité de l’ONU n’est pas de s’aligner sur les intérêts américains. Elle doit prendre la tête d’une coalition pour la paix et la sécurité en commençant par mettre sur la table les demandes et les intérêts des deux parties en lien avec l’ONU tout en élaborant des garanties mutuelles de sécurité, sans se priver de l’audace de consulter les populations. Ajoutons, le cœur serré que notre pays ne peut non plus continuer à être affaibli, moqué, raillé, ridiculisé par les positions changeantes du président de la République sur cette guerre comme sur celle que livre le pouvoir israélien au peuple palestinien.

Les travailleurs, les citoyens, les créateurs doivent faire entendre de puissantes voix pour le cessez-le-feu et la paix à Gaza, en Ukraine ou au Congo et ailleurs.

Réclamer la paix n’est pas être un suppôt de Poutine. C’est refuser de marcher comme des somnambules jusqu’à la guerre totale.

Ce sont nos mobilisations qui obligeront la France à s’engager dans la construction d’une coalition pour la paix en lien avec la Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud et tant d’autres avec le possible parrainage du Pape, en s’appuyant sur le droit international et la souveraineté territoriale.

Au lieu de laisser le char de la guerre passer sur nos corps, et ainsi ouvrir les voies du chaos, il est temps de s’atteler avec l’ONU et quelques pays non européens à dresser la table des négociations et envisager la construction d’un mécanisme garantissant la sécurité de tous les pays européens dont la Russie et l’Ukraine qui ainsi n’aurait aucune raison d’entrer dans l’OTAN. Organisation militaire agressive qu’il faudra bien dissoudre.

Pour obtenir la paix, il faut préparer la paix. Absolument.

Écrit le 7 mars 2024


Image d’illustration : Photographie du 19 mai 2016, par le Ministère de la Défense ukrainien (CC BY-SA 2.0)


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