« Ils étaient vingt-trois Étrangers et nos frères pourtant »


Par Patrick Le Hyaric.

Cet article du 24 février 2024 est extrait de la lettre hebdomadaire de Patrick Le Hyaric. Cliquez ici pour lire la lettre de la semaine et ici pour vous y abonner.

En creux, cela pose une question pour aujourd’hui. La nation doit au Parti communiste sa capacité à accueillir, à former, à solidariser, à donner de grandes responsabilités à ces « étrangers et nos frères pourtant ».

Fort de cette expérience, de cette richesse historique vivante, pourquoi, dans les conditions nouvelles de la lutte des classes et des nouvelles migrations avec les enfants et petits-enfants des femmes et des hommes venus des anciennes colonies faire fonctionner nos usines durant les prétendues « Trente glorieuses », le Parti communiste ne se donnerait-il pas l’objectif de travail, de lutte et d’organisation de toutes les travailleuses et travailleurs immigrés d’aujourd’hui et de leurs enfants devenus Français , qui constituent une part importante de la classe ouvrière, voire d’un nouveau prolétariat ?

Historiquement, il est également utile de rappeler qu’à partir des années 1938 en France, les centristes, les libéraux et la droite qui mirent fin au Front populaire, chassèrent les réfugiés juifs, les immigrés, ceux-là mêmes qui à l’époque étaient indispensables à l’industrialisation de la France. Les Républicains espagnols qui combattaient Franco et les Italiens en lutte contre Mussolini connurent le même sort.

L’histoire bégaie parfois. Faisons réfléchir aujourd’hui sur le fait que Manouchian et ses camarades comme des milliers d’autres Résistants ne sont pas morts pour les lois « séparatisme », la loi « immigration » et la tentative de remise en cause du droit du sol, la casse minutieuse des services publics et du statut de la fonction publique, l’explosion des inégalités.

Il n’est pas inutile d’ouvrir les yeux et les oreilles face aux récidives actuelles. Il ne suffit pas de prononcer un discours un soir, sous la voûte du Panthéon, pour être fidèle à celles et ceux que la République honore. Voilà pourquoi, d’œil et d’oreilles grand ouvert pendant un discours, dénonçant les contradictions ; soufflant pour dissiper l’épais brouillard que le haut de l’état et de grands médias injecte dans les esprits nous savons qu’il ne suffit pas de scander « Est-ce ainsi que les hommes vivent » pour ne pas y répondre. Oui, nous savons comment vivent les êtres humains sous le capitalisme mondialisé et ses guerres économiques qui écrasent le travailleur des usines et des bureaux comme celui des champs.

Que nous diraient aujourd’hui celles et ceux qui ont sacrifié leur vie de ce qui se passe aujourd’hui ?

Ces abominables propos tenus à quelques mètres du cercueil de Mélinée et Missak Manouchian.

Non contente de s’être sans vergogne présentée au Panthéon la chef de l’extrême droite, celle dont le parti a été fondé par des collaborateurs et même des nazis s’est précipitée sur le micro de France 2 qui lui était tendu pour proférer une abomination mélangeant le mot « étranger » à celui de « Légion étrangère ». « Vous savez a-t-elle dit, j’ai évidemment quelques liens familiaux avec la Légion étrangère, donc que des étrangers soient venus tout au long de notre histoire se battre pour défendre notre pays est une évidence ».

Personne, ni la journaliste qui faisait l’entretien ni sur le plateau ne releva cette odieuse provocation. La chef du RN/FN traçât ainsi dans le silence de cette nuit d’hiver un trait d’égalité entre la résistance communiste, juive, étrangère avec la sanglante carrière de son père Le Pen engagé dans un régiment « étranger parachutiste » lors des guerres coloniales en Indochine puis en Algérie. Il a été documenté que lors de ses activités sanglantes il attaque une famille – la famille Moulay – dont il tortura le père de famille jusqu’à la mort. On trouva en ces lieux oublié par l’assassin un poignard des jeunesses hitlériennes dont la lame était grave au nom de « J M Le Pen 1er REP ».

Peut-être que l’audace de Mme Le Pen a été décuplée par la drôle d’idée de faire porter les deux cercueils par des légionnaires. Il aurait été préférable et fort de symbole de les faire porter par des militants, par des travailleurs étrangers qui font la richesse de la France. Ainsi on peut faire un beau discours, on peut même trouver indésirable la présence des chefs de l’extrême droite et lui dérouler le tapis percé de cette fameuse dédiabolisation qui leur permet de tenir d’odieux propos à quelques mètres du cercueil. La machine à fabriquer le brouillard tourne à plein. Il faut garder les yeux et les oreilles grands ouvert.

Internationaliste

À cette occasion, des contresens et du fiel ont été une nouvelle fois lâchés contre le Parti communiste. Passons sur la rengaine défraîchie et simpliste sur une prétendue entrée tardive en résistance des communistes, qu’après la fin du « pacte de non-agression germano-soviétique ».

En revanche, il est utile d’étudier et de partager la signification de « l’Affiche rouge » – qui se voulait tâche de sang – placardée sur les murs par les services nazis et leurs complices de Vichy, qualifiant non pas de libérateurs, mais « d’armée du crime » de « terroristes » Missak Manouchian et ses camarades.

Ceci visait, déjà et comme toujours, à désigner les juifs, les communistes et les étrangers comme responsables des malheurs de la France. Il ne pouvait pas être selon la propagande pétainiste et nazie des résistants.

Ce sens a longtemps été occulté par une certaine propagande et quelques histoires qui se voulaient officielles, y compris gaulliste, jusqu’à conceptualiser « la Résistance française ». Or, ce sont des étrangers qui ont été fusillés. La Résistance n’était donc pas que… française. Elle était nationale, mais pas nationaliste. Elle était internationaliste. Elle désignait l’ennemi des peuples.

La phrase de Missak Manouchian dans sa dernière lettre à Mélinée le dit admirablement, « je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand ».

Il fait la distinction entre le nazisme, la collaboration et le peuple allemand. La propagande nazie et celle des pétainistes voulaient que les combattants FTP-MOI ne fussent pas aux yeux des Français des « Résistants » et encore moins des « Libérateurs » du pays puisque ce n’était pas le leur.

Ils justifient ainsi leur arrestation et leur exécution au nom même de la tranquillité et de la liberté des Français.

Il est un autre contresens sciemment véhiculé à partir d’une strophe du grand poème, « Strophes pour se souvenir » paru pour la première fois dans l’Humanité, superbement mise en chanson et en musique par Léo Ferré, en accord et avec le soutien de son auteur, le poète Louis Aragon.

Les deux mots « français de préférence » ont été tous ces derniers jours sortis du texte et du contexte par certains à dessein. La phrase exacte est « Nul ne semblait vous voir français de préférence » ce qui signifie que malgré la propagande nazie et vichyste, personne ne s’est dit en voyant l’affiche, qu’il eut été préférable que ces visages soient ceux de Français au lieu de ceux « d’étrangers » pour être ceux d’authentiques Résistants. Au contraire. Louis Aragon le dit ensuite « Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant », autrement dit, ils faisaient mine de ne pas vous connaître pour ne pas vous dénoncer aux miliciens et à la Gestapo. « Mais à l’heure du couvre-feu, des doigts errants avaient écrit sous vos photos “Morts pour la France”.

Il y eu aussi, cette volonté de diviser. Lors d’une revue de presse l’Humanité, a été attaqué parce qu’elle n’aurait pas écrit « juif », derrière un nom de combattant. Nous conseillons à l’auteur de lire le Hors-série de L’Humanité en son entièreté. Ce petit procès a sa petite importance puisque c’est le même reproche fait à Louis Aragon qui n’a pas écrit le mot « juif » dans son poème.

On devine en ces temps où la critique du gouvernement israélien est accusée d’antisémitisme à quelle manipulation l’on veut en venir. Les communistes sont internationalistes et promeuvent la laïcité. Beaucoup des Résistants étaient juifs et communistes. De grands militants et Résistants communistes ont protégé des Juifs pendant la déportation et dans les camps de la mort. Pourquoi ces insinuations fielleuses depuis le confort de studios de radio ou de plateaux de télévision ?

Un ami, Bernard Vasseur, me rappelle ces jours-ci que Louis Aragon est le premier et le seul de toute la littérature française à citer Auschwitz et la Shoah dès 1943 dans son recueil, le Musée Grévin :

« Aux confins de Pologne existe une géhenne
Dont le nom siffle et souffle une affreuse chanson

À Auschwitz À Auschwitz Ô syllabes sanglantes
Ici l’on vit ici ici l’on meurt à petit feu
On appelle cela l’exécution lente
Une part de nos cœurs y périt peu à peu

Limites de la fin limites de la force
Ni le Christ n’a tenu ce terrible chemin
Ni cet interminable et déchirant divorce
De l’âme humaine avec l’univers inhumain

Ce sont ici des Olympiques de souffrances
Où l’épouvante bat la mort à tous les coups »

Notre devoir est d’être digne d’eux.


Image d’illustration : Fresque Missak Manouchian dans le XXe arrondissement (recadré), par Jeanne Menjoulet (CC BY 2.0)


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