Pourquoi ce silence sur cette directive austéritaire ?


Par Patrick Le Hyaric.

Cet article du 22 janvier 2024 est extrait de la lettre hebdomadaire de Patrick Le Hyaric. Cliquez ici pour lire la lettre de la semaine et ici pour vous y abonner.

Il est curieux qu’à quelques encablures des élections européennes, la codification du grand retour du corset budgétaire sur les États s’opère dans un grand silence médiatique. C’est pourtant ce qui se négocie en ce moment entre le conseil européen et le parlement européen. Une majorité de celui-ci vient de voter le 17 janvier une prétendue réforme du pacte de stabilité » qui prendrait désormais le nom de  « nouveau cadre de la gouvernance économique ». Une nouvelle directive très opaque, qui donne les pleins pouvoirs à la Commission européenne pour contraindre les États membres de l’Union européenne à mener une politique budgétaire « d’ordre » selon les mots choisis des puristes de l’Europe libérale.

Alors que les traités de Maastricht et de Lisbonne fixent le seuil du déficit budgétaire à 3% des richesses produites par pays, ce nouveau texte oblige à descendre à 1,5%. La Commission européenne s’octroie le droit de fixer les programmes budgétaires pour chaque pays dont l’endettement dépasse 90% des richesses produites (PIB) en leur imposant de réduire leur niveau d’endettement d’au moins un point chaque année durant au moins quatre ans. Cette « trajectoire soutenable » des comptes publics peut être prolongée jusqu’à sept années si les États membres consentent à de « nouvelles réformes structurelles ».

Dans la bouche de la Commission de Bruxelles, ceci veut dire : réduire encore le périmètre de l’État social avec de nouvelles privatisations et la réduction des moyens des services publics, de nouvelles attaques contre le droit du travail et de la protection sociale. Une petite astuce a été inventée à l’occasion de l’élaboration de cette nouvelle directive : exclure « les dépenses primaires » des calculs. Ceci signifie que le service de la dette, donc le niveau des taux d’intérêt et ce qui est baptisé « les effets fiscaux », seront exclus du calcul du niveau de la dépense publique. Autrement dit, les cadeaux fiscaux au capital et le service de la dette qui alimente allègrement les rapaces des marchés financiers seront absous. Il n’en sera évidemment pas de même des investissements sociaux dans l’éducation, la santé ou ceux indispensables à la transition écologique ou encore au développement numérique ou de la recherche. Il s’agit donc bien d’une nouvelle directive pour le capital et contre le monde du travail et de la création.

C’est aussi une directive qui affaiblit l’Union européenne qui risque de subir un important choc récessif alors que les États-Unis ont décidé de s’endetter massivement pour soutenir leurs industries. Cette stratégie nord-américaine se combine avec leur retour sur le territoire européen et la mise sous une dépendance accrue de pays comme l’Allemagne au pétrole et au gaz américains à la faveur de la fermeture du robinet russe. Cette offensive aura de lourdes conséquences sur plusieurs grands secteurs industriels. Parallèlement, les États-Unis et l’OTAN demandent aux pays européens de dépenser plus en armements, de préférence pour acheter leurs matériels militaires. Dans ces conditions, les discours macronistes sur « la souveraineté européenne » ne sont qu’une enfilade de mots creux pour camoufler l’alignement de la construction européenne au service du capital dominé par les États-Unis.

Le choc risque d’être rude pour les familles populaires qui souffrent déjà de la stagnation des rémunérations et des hausses de prix. La Confédération européenne des syndicats (CES) estime que la France se verra imposer 26 milliards de réductions budgétaires chaque année. C’est avec ce chiffre en tête qu’il faut comprendre l’annonce de Bruno Le Maire, lors de ses vœux, sur la nécessité de trouver immédiatement 12 milliards d’euros d’économie.

On comprend mieux aussi, l’opération d’enfumage du président de la République sur la hausse de 10% du prix de l’électricité dû à l’augmentation des taxes à la consommation ; le doublement du reste à charge porté à 1 € sur les médicaments ; la fin de la défiscalisation du gas-oil d’usage agricole et pour les bateaux de  pêche ; le maintien des prix élevés des carburants, comme ceux de l’alimentation, qui permettent l’augmentation des prélèvements indirects par la TVA et les taxes sur les produits pétroliers ; ou encore le projet de modification du congé de naissance.

C’est aussi à cette aune qu’il faut situer les contre-réformes de l’assurance chômage, la réduction de la protection des seniors au chômage, la transformation de l’Unedic, la tentative de mettre fin à l’aide médicale d’État pour les immigrés, la pression à la baisse sur les aides au logement, l’étranglement des collectivités locales, le projet de « rémunération au mérite » des agents publics contre le statut de la fonction publique, le trait d’égalité mis entre école publique et école privée,  l’effacement progressif des engagements publics en faveur de la transition écologique au profit des incitations aux investissements des capitaux privés.

Or, on ne peut à la fois financer les forages pétroliers de grandes firmes et prétendre lutter contre les modifications climatiques. On ne peut pas, non plus, s’afficher comme protecteur de la biodiversité, de l’eau ou empêcher les inondations avec des politiques de réduction de crédits publics. Ces doubles langages doivent être dénoncés avec force et des stratégies alternatives progressistes doivent être mises en débat.

Faute de le faire, ce sont les extrêmes droites, aidées une nouvelle fois par de telles directives, qui prendront le pouvoir. La refondation du projet européen passe par le respect de chacune des nations libres de mener ses politiques dans le cadre d’une union des nations et des peuples à la fois souverains, s’associant pour des projets sociaux, industriels, numériques, agricoles, environnementaux communs, dans des formats qu’ils choisiraient eux-mêmes pour permettre aux travailleurs et aux familles populaires de mieux vivre , d’accéder à un travail émancipé et souverain sur les  productions, afin de  garantir à la fois progrès social et humain et transition environnementale.

Souhaitons que le débat ait lieu. C’est de la vie quotidienne de chacune et de chacun qu’il s’agit.


Image d’illustration : Siège de la Commission européenne à Bruxelles, par Fred Romero (CC BY 2.0)


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