« Rupture avec SYRIZA : La société n’a pas besoin d’une « gauche » néolibérale et autoritaire »


Appel de 19 membres de la jeune génération de SYRIZA-PS, provenant de différentes organisations locales du parti à travers le pays.

Ce texte, initialement publié en grec le 17 novembre 2023 sur le site Commonality, témoigne des mouvements à l’œuvre au sein des gauches européennes ; c’est en ce sens que nous le publions. Traduction Anaïs Fley.

« Nous nous sommes organisés et mobilisés à gauche avec une seule préoccupation : être proches de la société, nous rendre utiles. Nous avons suivi la voie de la gauche radicale, guidée par l’idéologie de gauche marxiste et les principes de la démocratie, de la liberté et de la solidarité, que la gauche traduit dans la politique, le discours public et les actions.

Dans la première décennie du XXIe siècle, SYRIZA-PS (Progressive Alliance) s’est transformé en un « parti-mouvement », participant aux mouvements sociaux sans jamais essayer de les patronner, portant leurs revendications au Parlement, étant le parti le plus démocratique et axé sur les droits de l’homme du pays. Pendant la crise, il a été « récompensé » pour sa position en tant que parti-mouvement, mais aussi pour sa proposition de gouvernement de gauche.

Malgré le fait que le gouvernement SYRIZA ait été contraint de signer un mémorandum, empêchant ce gouvernement de réaliser ce que le parti voulait d’un point de vue programmatique, nous avons estimé qu’il valait la peine de continuer à soutenir notre parti pour ce qui a été réalisé (négociation avec les créanciers qui a abouti au référendum, arrêt de la crise humanitaire, sortie des accords de mémorandum avec une régulation de la dette, restauration de la négociation collective et des contrôles du marché du travail, gouvernance selon des principes modernistes et sans corruption, accord monumental de Prespes). Les gouvernements SYRIZA ont maintenu la société sur pied. Nous reconnaissons bien sûr qu’il y a eu des erreurs et que de nombreuses choses auraient pu être faites et ne l’ont pas été.

Depuis la défaite aux élections nationales de 2019, beaucoup aurait pu être corrigé et beaucoup aurait pu être fait. Mais rien de ce qui s’est finalement passé n’était écrit. Tous les développements du parti ont été le résultat de luttes politiques. La direction centraliste, le gouvernementalisme, le déploiement et l’expansion du parti non pas vers les électeurs, mais vers des politiciens et des dirigeants politiques échoués d’autres arènes politiques et de partis mainstream, ainsi que vers des « membres du parti » qui viennent simplement voter pour le président puis rentrent chez eux : tous ces choix politiques ont prévalu.

La dégradation du véhicule politique SYRIZA s’est accompagnée de l’adoption d’un discours politique et programmatique flou, qui tentait de plaire à tout le monde, rendant le parti de moins en moins fiable (alors que nous disposions de données brutes des sondages depuis 2016 indiquant que nous manquions de crédibilité). Au cours des quatre années (2019-2023) que SYRIZA a eu pour définir ce qu’est un parti de gauche au pouvoir, il a simplement remplacé le militantisme d’un parti-mouvement par une polémique constante autour des scandales de la droite avec les méthodes d’un « parti télévisé ». Il a été dominé par des dénonciations incessantes, alors qu’il aurait dû à ce moment-là investir dans un récit positif, avec un discours et un programme visionnaires.

Nous ne portons pas tous la même part de responsabilité dans cette évolution. En ce qui nous concerne (les signataires de cet article), en tant qu’opposition en prévision des élections nationales de 2023, nous avons mené une bataille politique au sein de SYRIZA pour la démocratie interne du parti, pour définir son identité politique, sa stratégie, ainsi que son discours programmatique. Ni nous ni l’opposition de gauche (la tendance qui se nomme « Ombrelle ») ne sommes responsables des choix désastreux d’A. Tsipras, qui ont conduit au double échec électoral de mai-juin 2023.

Nous ne partageons pas tous la même part de responsabilité dans l’effondrement de SYRIZA, l’élection de Stefanos Kasselakis comme chef de parti et la transformation d’un parti de gauche en un parti post-politique, populiste, sans démocratie interne ni discours programmatique de gauche. L’élévation d’une personne absolument inconnue et sans aucun lien avec la gauche, son idéologie et sa culture, jusqu’à la position de président, simplement parce qu’il semble jeune, séduisant, inébranlable et ne porte aucun fardeau lié à la douloureuse gouvernance de SYRIZA, et qu’il pense qu’il va vaincre Kyriakos Mitsotakis (l’actuel Premier ministre), a montré à quel point le parti est devenu vulnérable.

Les récentes élections locales sont un exemple typique de l’échec de la stratégie politique du « pot-pourri ». Dans ce domaine, SYRIZA-PS aurait pu promouvoir des idées modernes de gauche radicale, telles que les communautés énergétiques, le budget participatif et le logement social, sur la base desquelles une nouvelle alliance sociale aurait pu être construite pour briser le front anti-SYRIZA dans la société. Au lieu de cela, une stratégie fourre-tout peu inspirée a été mise en avant, qui en tentant d’attirer tout le monde n’a finalement attiré personne, et avec pour résultat, outre le fait de réduire encore la crédibilité politique du parti, de faire s’écrouler nos forces même là où des alliances victorieuses existaient.

Nous pensons que SYRIZA a bouclé la boucle, car il est complètement discrédité et méprisé. La manière dont le président a été élu par toute la base du parti (tous les membres du parti, même des personnes devenues membres le jour même de l’élection présidentielle du parti), mais aussi la nécessité de renouveler SYRIZA, ont amené à la barre un opportuniste qui aurait pu appartenir à n’importe quel parti, simplement parce qu’il débordait d’énergie juvénile, de confiance et qu’il faisait un usage décomplexé des réseaux sociaux (campagne centrée sur lui-même à travers des stories sur Instagram, des vidéos TikTok, etc.).

En vain, ses soutiens ont insisté sur le fait que ces éléments sont actuellement essentiels en politique et que l’identité de gauche ne suffit pas à toucher les audiences de masse d’aujourd’hui. Malheureusement, ils sont arrivés dans SYRIZA, en la personne de Kasselakis, non pas pour enrichir SYRIZA, mais au contraire pour abolir ce qu’il y a de bon dans SYRIZA. Et les problèmes de SYRIZA (message politique flou, discours toxique, direction centraliste et autoritaire) au lieu d’être résolus, sont devenus incontournables. Le manifeste néolibéral de Kasselakis à la Fédération des industries grecques, son ignorance sur toutes les questions et son discours antidémocratique au Comité central des 11-12 novembre, qui nous a rappelé celui du PDG d’une entreprise multinationale, ne laissent aucune place au redressement de SYRIZA, ni au fait de rester dignement au sein du parti, jusqu’à ce que Kasselakis parte. Un dirigeant qui, par des actions convulsives et autoritaires, entend transformer un parti coordonné et organisé en sa cour personnelle, en son armée personnelle, qui, tant qu’il reste, déshonore tout idée de gauche.

Mais la grande défaite pour ceux d’entre nous qui ont milité avec des camarades pendant des années est que les mêmes camarades qui occupaient des postes de responsabilité dans le premier gouvernement de gauche, ouvrent le feu contre leurs propres camarades et déconstruisent, diffament et déforment les actions du gouvernement d’A. Tsipras, tout en louant hypocritement son nom et en l’instrumentalisant quotidiennement dans leurs propres intérêts. Malheureusement, le front anti-SYRIZA est intégré au sein même de SYRIZA et lance des attaques odieuses contre le travail de son gouvernement, armé de théories du complot et de mensonges, en faisant du pied à ceux qui cherchent un bouc émissaire pour leurs échecs et leurs frustrations. Mais la toxicité ne peut pas dissimuler la pénurie politique.

Pour toutes ces raisons, nous quittons donc SYRIZA-PS. Nous tenterons de contribuer de toutes nos forces à la reconstruction de notre espace politique et à la coopération avec d’autres forces de la gauche, les mouvements sociaux, le féminisme et l’écologie. La gauche que nous sommes appelés à servir doit être intersectionnelle. Nous ne pouvons, par exemple, traiter efficacement et selon nos valeurs des effets du changement climatique si nous ne comprenons pas comment chaque groupe socio-professionnel en est affecté. Nous ne pouvons pas proposer un modèle d’État-providence sans comprendre que les femmes actives et au chômage sont laissées pour compte en termes de revenus et d’avancement professionnel parce que, dans les circonstances actuelles, le fardeau des soins aux enfants et/ou aux personnes âgées leur incombe. Nous ne pouvons pas lutter pour la paix dans notre région sans combattre également l’exploitation minière en Méditerranée orientale.

La gauche a toujours cru que la vie pouvait être changée en mieux par l’action du peuple lui-même. Nous servirons cette possibilité à partir d’une nouvelle perspective, sans crainte, mais avec force et passion. »

Le 23 novembre a eu lieu une deuxième vague de départs massifs de SYRIZA, l’équipe autour d’Effie Achtsioglou. Elle marque la fin de SYRIZA tel que nous le connaissions. Au total, 11 députés ex-membres de SYRIZA pourraient former un nouveau groupe parlementaire.


Image d’illustration : graffiti reproduisant le logo de Syriza en 2015, photographie par thierry ehrmann (CC BY 2.0)


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