Par Patrick Le Hyaric.
Cet article du 22 novembre 2023 est extrait de la lettre hebdomadaire de Patrick Le Hyaric. Cliquez ici pour lire la lettre de la semaine et ici pour vous y abonner.
Il aura fallu un mouvement mondial pour la justice et la paix au Proche-Orient, de puissantes marches et l’action sans relâche des familles d’otages israéliens ou d’autres nationalités pour que, enfin, l’affreux Hamas et le pouvoir suprématiste de Tel-Aviv décident d’un processus compliqué de libération de celles et ceux qui sont détenus dans les caches des groupes terroristes aux ordres du Hamas en échange d’enfants et de femmes palestiniennes détenues dans les geôles israéliennes.
Nous sommes de celles et de ceux qui s’en réjouissent. Mais nous ne sommes pas dupes de la tromperie israélienne en cours. Comment sont choisis les prisonniers palestiniens libérés ? L’armée israélienne a enfermé depuis 7 semaines à peu près 3 000 jeunes et travailleurs Palestiniens. Des travailleurs qui exerçaient leur activité dans des entreprises israéliennes arrêtées, torturés puis enfermés. C’est sur ces 3 000 arrestations que le gouvernement israélien choisira peut-être 150 prisonniers libérables ? Laissons-nous faire sans rien dire ? On ne le devrait pas !
À cette occasion, d’ailleurs, nombre de nos concitoyens découvrent que le pouvoir israélien emprisonne des enfants palestiniens sans jugement. Cet échange, accompagné de quelques petites journées de trêve, quatre au demeurant, constitueront un précaire répit pour les citoyennes et citoyens de Gaza et les personnels des ONG encore sur place. Ce temps doit impérativement être mis à profit pour obtenir un cessez-le-feu définitif et poser la question de la libération de tous les prisonniers politiques palestiniens, y compris Marwan Barghouti qui constitue l’une des personnalités-clés d’une perspective politique pour le peuple palestinien tout autant que pour le peuple israélien qui a intérêt à l’édification d’un État palestinien.
Dans les palais gouvernementaux, aux États-Unis, en Europe et en France, on évoque à nouveau la solution à « deux États ». On s’en réjouirait s’il ne s’agissait de formule rhétorique. Que de temps perdu, que de morts et de souffrances.
Si le président Macron reconnaissait officiellement, au nom de la République française, l’existence de l’État palestinien, cela pourrait tout changer. Il se dit ici ou là qu’il « pourrait le faire », mais que « le moment n’est pas venu ». Précisément si ! Le moment est venu.
Il n’y a rien à gagner à s’aligner en permanence sur l’imperium nord-américain qui conduit le monde au désastre, au nom des seuls intérêts des États-Unis. M. Joe Biden, pourtant de plus en plus contesté au sein même de l’électorat démocrate pour son soutien inconditionnel au pouvoir israélien, vient de le confirmer samedi dernier dans sa tribune au journal Washington Post : « Aujourd’hui, le monde est confronté à un point d’inflexion, ou les choix que nous faisons – y compris dans les crises en Europe et au Moyen-Orient – détermineront l’orientation de notre avenir pour les générations à venir. », a-t-il écrit. Précisant sa pensée, il poursuit ainsi :« L’Amérique, y compris les États-Unis, est la nation essentielle. » Et « essentielle » signifie ici que les seuls intérêts des États-Unis doivent déterminer la politique du monde entier.
Quel intérêt a notre pays à suivre cette route, sauf à être ravalé au rang de subalterne, de supplétif, de porte-serviette de l’impérialisme étasunien en perte de vitesse ? La guerre intra-capitaliste conduit sans doute une partie non négligeable de la bourgeoisie française à refuser d’être ravalée au rang d’un pays de seconde zone, soumis et dominé par l’imperium. Quant aux travailleurs et aux retraités, ils ont tout à perdre de ces guerres économiques et commerciales qui provoquent pression sur les salaires, augmentation de l’inflation, alignement de la plupart des coûts du crédit sur les décisions de la Réserve fédérale américaine – sans compter avec la survalorisation du dollar qui revient à faire payer le surarmement américain par les autres pays.
Combien encore de tués faut-il ajouter aux plus de 11 000 morts, parmi lesquels la moitié d’enfants, aux 30 000 blessés de Gaza pour que, enfin, la raison l’emporte ? Combien faut-il ajouter d’engins de mort aux 40 000 tonnes de bombes déversées sur la bande de Gaza pour que cesse l’immonde ? Les otages servent aujourd’hui à de macabres marchandages et les enfants de Gaza tremblent de peur et d’effroi, leurs rêves et leurs joies ensevelis sous le déluge de fer et de feu. Le refus de les considérer comme des citoyens du monde dans un État indépendant ne peut que les conduire à venger leurs blessures et la mort de leurs parents dans un autre matin blême ressemblant à celui que des civils israéliens innocents ont connu le 7 octobre dernier. Le dire n’est pas « justifier » des crimes à venir ni « prédire l’inéluctable » ; le dire, c’est prévenir, c’est chercher à rompre cet infernal cercle de haine et de violence dont tirent profit les esprits les plus étroits et les plus belliqueux. L’attaque inhumaine du Hamas a surgi de ce trou noir de la désespérance, du blocus et des violences quotidiennes infligées aux Palestiniens par l’administration et l’armée israéliennes.
Ni le Hamas ni les groupes djihadistes n’ont été détruits. Les principaux dirigeants continuent de bien vivre dans les beaux quartiers de Doha, tout en exhortant leurs jeunes miliciens à se faire trouer la peau alors que, eux, négocient le sort des otages. Et le peuple israélien, les travailleurs israéliens se verront demain présenter, par leur gouvernement, la lourde facture de la guerre. Il faut que cela cesse !
C’est pour excuser sa faillite sécuritaire du 7 octobre, puis pour obtenir un blanc-seing des chancelleries occidentales et bombarder indistinctement les populations et les équipements publics de Gaza que le pouvoir de Tel-Aviv a artificiellement surévalué les capacités militaires du Hamas.
Il a réduit le nord de Gaza en champ de ruines. Cette terre brûlée empêchera pour longtemps les habitants d’y revenir.
Par contre, la guerre sert à préparer de plus vastes projets, notamment dans la guerre de l’énergie accélérée, entre autres depuis la guerre en Ukraine. Le gaz liquéfié au large de Gaza peut être source de juteux profits pour des compagnies israéliennes, égyptiennes ou nord-américaines. Elle est aussi le moyen de tester, de déployer l’armement le plus sophistiqué, produit en Israël, aux États-Unis ou en Allemagne, par des firmes qui, chaque jour, s’engraissent tant et plus sur le malheur de populations aux mains nues.
L’extrême droite israélienne n’hésite même plus à commander à l’armée d’utiliser ces engins de mort contre les hôpitaux, n’entendant qu’à peine le chuchotement de tous leurs complices qui leur demandent bien poliment : « Un peu de retenue, messieurs les bourreaux. »
Les soldats israéliens sont entrés sans résistance dans l’hôpital Al-Shifa, présenté tour à tour comme « bastion » puis « centre de commandement » du Hamas. Ils n’y ont, semble-t-il, pas trouvé grand-chose. En revanche, ils y ont détruit des machines à dialyse, ils ont fait exploser les réserves d’eau, ils ont mis hors d’état des scanners, ils ont rendu le maigre stock restant de médicaments inutilisable, tout en terrorisant le personnel médical et les patients, et en mettant encore plus en danger la vie de nourrissons prématurés.
L’objectif « stratégique » qu’aurait été l’hôpital Al-Shifa commence de plus en plus à ressembler à la fiole des « armes de destruction massive », brandie en 2003 par l’administration Bush pour justifier la seconde guerre du Golfe qui a provoqué le chaos en Irak. Comment les tribunaux internationaux pourront-ils qualifier ces assauts contre des équipements servant à soigner les corps et les esprits, et à préserver la vie humaine ? L’Organisation mondiale de la santé a relevé 137 attaques contre des établissements de santé qui ont fait 521 morts et 686 blessés, dont 16 morts, et 38 blessés parmi le personnel soignant.
Ainsi le pouvoir d’extrême droite israélien sème la mort, provoque l’amputation des corps puis empêche de les soigner. Et nos grands dirigeants auront laissé faire ce grand crime. Il ne se sera trouvé que deux personnalités internationales, le secrétaire général de l’ONU et le pape François, pour en appeler à la responsabilité d’ordonner la paix et de sauver la vie des Gazaouis.
Aux médias qui organisent la conversation sur ce qu’ils appellent « l’après », les ministres israéliens, tel que, sur NBC News le 14 novembre, le ministre de l’Agriculture M. Avraham Dichter, membre du parti de M. Netanyahu et, par ailleurs, ancien chef du service de renseignement intérieur israélien (le Shin Beit), répondent aussi clairement que violemment : « Nous lançons la Nakba de Gaza. » Ainsi cette guerre que le Premier ministre israélien veut « continuer » après la libération des otages sert à vider Gaza de ses habitants dans la perspective du « grand Israël ».
L’humanité commande de faire cesser tout cela
L’humanité et la politique doivent primer sur les intérêts géopolitiques, géostratégiques et la gourmandise des marchands d’armes israéliens et nord-américains. Comme à d’autres périodes, la jeunesse américaine ne peut supporter qu’un président1 issu du Parti démocrate soutienne à ce point une guerre, une colonisation, un nettoyage ethnique menés par un pouvoir d’extrême droite alors qu’ils militent pour empêcher Donald Trump de revenir à la Maison-Blanche. Ils ne peuvent supporter que le sang des enfants palestiniens permette de faire augmenter de plus de 10 % les actions du fabricant de l’avion-F 16 et F 35, et des missiles Hellfire ou de rassasier les appétits du grand fonds financier BlackRock qui vient d’investir plus de 12 milliards d’€ dans les principales sociétés d’armement américaines dont celles qui utilisent à Gaza les armes interdites comme le phosphore blanc et la bombe à fragmentation.
Le capitalisme international se nourrit de la souffrance et de la mort. Les peuples du monde ne l’acceptent plus. De partout, désormais ils agissent, les gouvernements des pays dits du « Sud global » appellent à la paix et, au sein de l’occident capitaliste, des voix s’élèvent pour faire cesser le massacre et rechercher une solution politique : celle à deux États.
L’urgence est d’opposer une voie de paix à cette entreprise de mort et de destruction. Cette paix ne peut pas jaillir du massacre massif de Palestiniens à Gaza et de Cisjordanie où des communautés de Palestiniens sont rayées de la carte, englouties dans la colonisation. N’en déplaise au Hamas, la libération des Palestiniens ne s’est jamais fondée sur le massacre de civils israéliens dont une grande partie aujourd’hui se situe dans l’opposition à l’extrême droite et, de plus en plus, dans l’action pour la coexistence de deux États.
L’alternative politique à la guerre et à la haine est pour une large part déjà écrite dans les résolutions de l’Organisation des Nations unies, réitérées ces derniers jours par son secrétaire général et nombre de représentants des pays du Sud : permettre aux Palestiniens de vivre sur leurs terres en paix et dans leur État.
Les intérêts des travailleurs israéliens, palestiniens, étasuniens, européens, russes, iraniens ou libanais sont totalement antinomiques avec la course à la mort dont ils paient déjà la facture en pillage des richesses de toutes sortes sur l’ensemble de la planète sans parler de l’immense mal causé à la nature avec les émissions de gaz carbonique et la pollution des sols pour longtemps.
La paix est en soi, un projet politique, un projet pour la vie
Les enfants de Gaza ont besoin des manifestations monstres qui se déroulent dans une multitude de pays du monde. Ils auront peut-être besoin, qu’en lien avec les travailleurs israéliens, la campagne internationale « boycott-désinvestissement-sanctions » prenne de l’ampleur. Pourquoi des sanctions sont-elles imposées à la Russie et à l’Iran au nom du respect du droit international alors que le pouvoir israélien bénéficie de l’impunité totale ?
Cette amplification de l’action internationale jusqu’au refus par les travailleurs de livrer des armes peut beaucoup compter dans les prochaines heures. La trêve humanitaire ne peut pas se transformer en dernier repas servi au condamné à mort !
Nous sommes toutes et tous concernés car tant que la Palestine ne sera pas libre, le monde restera prisonnier de la haine.
- Selon le journal USA Today, la cote de popularité de Joe Biden a chuté de 11 % en un mois auprès des électeurs démocrates. ↩︎
Image d’illustration : Mohamed Hassan sur PxHere (CC0)