La justice fait prendre l’eau aux bassines


Par Hugo Blossier.

Dans la bataille contre l’accaparement de l’eau engagée autour des mégabassines en Poitou, aucune modalité d’action n’est négligée par le panel d’organisations et collectifs militants qui luttent. C’est du côté des actions en justice, notamment portées par les associations de protection de l’environnement que sont venues tout dernièrement quelques bonnes nouvelles pour enrayer la machine agro-capitaliste.

Fin août, alors même que la préfète coordinatrice du bassin Loire-Bretagne recevait à Orléans une délégation du convoi de l’eau, venu en vélo et en tracteur depuis Sainte-Soline pour obtenir un moratoire… le troisième chantier de bassine, sur les 16 en projet sur le bassin de la Sèvre-Niortaise, était engagé à Priaires dans le marais poitevin. Rarement le pouvoir macroniste permet la négociation, quand il le fait c’est à coup de tractopelle.

Mais les irrigants porteurs des projets, toujours certains de parvenir à leur fins grâce à l’appui du pouvoir d’État, n’ont même pas le souci du respect des procédures. C’est ainsi que le 30 octobre, le tribunal administratif de Poitiers a ordonné l’interruption du chantier en suspendant le permis d’aménager signé par la maire de la commune… qui n’est autre que la dirigeante d’une des trois exploitations qui doivent bénéficier de la bassine !

De cette situation de conflit d’intérêts, le tribunal reconnaît « un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté contesté. ». Cette décision est symboliquement forte car c’est la première fois qu’est officiellement reconnu le fait que les intérêts privés de l’agro-industrie sont aussi très largement présents et actifs dans les institutions décisionnaires, des petites mairies des Deux-Sèvres jusqu’au ministère de l’Agriculture en passant par les agences de l’eau.

Mais c’est aussi une victoire sur le calendrier, car la bassine était espérée par ses promoteurs pour la campagne d’irrigation 2024. L’interruption des travaux risque fort d’empêcher sa construction et son remplissage à temps. Un coup dur pour les irrigants qui craignent sans le dire l’appel toujours en cours devant le Tribunal administratif de Bordeaux concernant les bassines des Deux-Sèvres… et qui cherchent donc à construire le plus possible avant qu’elles soient possiblement rendues illégales (comme c’est le cas de bassines dans le département voisin de la Charente).

Et ce ne sont pas les décisions du 3 octobre du tribunal administratif de Poitiers qui peuvent les rassurer. Les arrêtés concernant 15 bassines ont en effet été annulés (6 sur le sous-bassin de la Pallu dans la Vienne, 9 sur le sous-bassin Aume-Couture en Charente, Charente-Maritime et Deux-Sèvres). Là encore la victoire est de taille pour les opposants à ces réserves dites de “substitution”, présentées comme miraculeuses car stockant de l’eau l’hiver pour réduire les prélèvements d’été. En effet le tribunal reconnaît enfin qu’il s’agit là d’addition et non de substitution, qu’il y aura bien une augmentation des prélèvements pour l’irrigation avec ces infrastructures, mettant en grand danger les milieux naturels et l’approvisionnement en eau potable. La scandaleuse désinformation relayée depuis des années par les irrigants porteurs de projet et l’État est enfin révélée.

Plusieurs arguments essentiels des opposants viennent donc d’être validés par la justice alors que d’autres procédures judiciaires sont encore en cours, pour la plupart des projets de bassines (et celles dont les chantiers ont été lancés) malgré ce que laissent entendre les autorités. Mais le combat n’est pas terminé puisque les préfets référents ont fait appel des décisions. Le pouvoir d’État, qui assume de plus en plus bafouer la loi au service d’intérêts particuliers, souhaite aussi prendre sa revanche au travers d’autres décisions de justice.

Le 7 novembre se tenait à Poitiers le procès concernant les subventions publiques accordées à l’association Alternatiba par la mairie de Poitiers et la communauté urbaine de Grand Poitiers, pour l’organisation d’un festival des alternatives. Le préfet de la Vienne, s’appuyant sur le fameux « contrat d’engagement républicain » issu de l’odieuse loi Séparatisme, les avait annulées en mettant en cause un atelier sur la désobéissance civile non-violente. Espérons que la justice ne viendra pas valider l’utilisation fort justement crainte de cette loi, comme un outil de police politique et de grave restriction des libertés associatives d’expression, de réunion et de manifestation… dirigé ici contre une association pourtant reconnue d’utilité publique.

Car dans le contexte local, ce qui est ciblé c’est évidemment la lutte contre les mégabassines dans laquelle l’association et la mairie écologiste de Poitiers sont ouvertement engagées… avec, en face, un préfet qui met toute son énergie et son pouvoir pour faire avancer les projets. Au grand soulagement des représentant·es d’organisations nationales telles que la LDH, Greenpeace, Attac, la Cimade, présent·es ce jour et inquièt·es d’une telle jurisprudence, la rapporteure publique a proposé aux juges de rejeter les référés du préfet, considérant que « les personnes présentes n’ont en aucun cas été incitées à mettre en œuvre des actions violentes […] contraires aux valeurs de la République ».

Une bonne nouvelle à confirmer, qui fut suivie le même après-midi d’un nouveau camouflet pour le pouvoir par une autre décision très attendue, celle du conseil d’État concernant la dissolution des Soulèvements de la Terre. Après la suspension du décret du gouvernement fin août, le rapporteur public avait, à la surprise générale, proposé le maintien de la dissolution lors de l’audience du 27 octobre. Ses arguments validaient ceux du ministre de l’intérieur Darmanin dénonçant « les éléments radicalisés » ou encore la « provocation » à des atteintes aux biens et arguant que « aucune cause ne justifie de porter atteinte à l’ordre public ».

Si la décision du conseil d’État était allée en ce sens, un nouveau tournant autoritaire aurait été pris, menaçant toutes les luttes dès que le ministre déciderait qu’elles constituent une provocation. Mais les magistrats du conseil d’État ont estimé que « aucune provocation à la violence contre les personnes ne peut être imputée aux Soulèvements de la Terre » et que la dissolution « ne constituait pas une mesure adaptée, nécessaire et proportionnée […] au vu des effets réels qu’ont pu avoir leurs provocations à la violence contre des biens ». Peut-être se doutaient-ils que toute autre décision serait inapplicable au vu du soutien populaire dont bénéficient les Soulèvements de la Terre, et à travers eux les mobilisations écologistes radicales qu’on ne peut pas évidemment pas dissoudre. Cet épisode confirme que ce type de résistance civile est pertinent, et aura paradoxalement fait grandir sa médiatisation et sa démocratisation.

Le 18 novembre, se jouera enfin la seconde partie du procès des 9 prévenus de Niort. En effet après la répression sanglante de la seconde manifestation d’ampleur à Sainte-Soline, l’État tente aussi de déstabiliser le mouvement en s’en prenant directement à ses figures, porte-paroles du mouvement et responsables départementaux de syndicats. La première partie le 8 septembre avait réuni près de 3 000 personnes en soutien aux militants ciblés par ce véritable procès politique, fourre-tout de prévenus, de dates et de faits non caractérisés qui s’est révélé impossible à mener correctement et dans les temps. La Confédération paysanne, la CGT, Solidaires et la FSU, des organisations politiques de gauche, des associations… étaient ici réunies autour de la lutte contre les mégabassines, la défense des libertés et de l’eau comme bien commun.

Malgré des revers judiciaires importants, les intérêts agro-industriels soutenus par tout le pouvoir d’État ne désarment pas. La bataille sera prochainement parlementaire avec la loi d’orientation et d’avenir agricoles, dont un avant-goût bien amer a déjà été donné avec la proposition de loi « pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France » adoptée au Sénat fin mai. Proposée par des sénateurs LR, MODEM et PS et taillée sur mesure pour la FNSEA, on y trouvait notamment une modification du Code de l’environnement donnant automatiquement le statut d’« intérêt général majeur » à toute retenue d’eau à usage agricole…

La paix de l’eau ne pourra qu’être l’œuvre des habitant·es elles et eux-mêmes. Une rude épreuve est engagée, elle se jouera aussi très concrètement sur le terrain. Une prochaine mobilisation internationale vient d’être annoncée pour l’été 2024 (lire l’appel), d’autres plus locales se tiendront d’ici là… alors que des actions de sabotage des infrastructures des irrigants sont déjà de plus en plus fréquemment relevées dans la presse.

No Bassaran !


Image d’illustration : Photographie par Bru-nO (utilisation gratuite sous licence de contenu Pixabay)


Share via
Copy link
Powered by Social Snap