De Gaza à Tel-Aviv, faire vivre l’inconditionnelle humanité


Par Patrick Le Hyaric.

Cet article du 11 novembre 2023 est extrait de la lettre hebdomadaire de Patrick Le Hyaric. Cliquez ici pour lire la lettre de la semaine et ici pour vous y abonner.

« Car un enfant qui pleure qu’il soit de
N’importe où est un enfant qui pleure
Car un enfant qui meurt au bout de vos fusils est un enfant qui meurt
Que c’est abominable d’avoir à choisir
Entre deux innocences
Que c’est abominable d’avoir pour ennemis, les rires de l’enfance »

Barbara in Perlimpinpin, 1972

Pour qui comme moi s’est rendu à de nombreuses reprises à Gaza et garde en mémoire ces visages de travailleurs ingénieux, de femmes aussi courageuses que souriantes et accueillantes, de jeunes femmes et hommes cultivés et d’enfants agiles dans les allées grouillantes des villes et des camps de réfugiés ou dans les champs, ces visages de créateurs et d’intellectuels aux impressionnantes connaissances, de dévoués responsables d’agence de l’ONU ou d’institutions européennes, la douleur et la tristesse sont immenses, les larmes sans fin, le cœur et les poings serrés.

Aucun crime ne peut réparer un autre crime. Pire, le déluge de fer et de feu, et les flots de sang qui coulent dans les rues, les quartiers, les camps de réfugiés à Gaza finissent par former les couveuses d’intégristes et de terroristes de demain, les incubateurs des tueurs d’après-demain.

Alors que les familles et la société israéliennes enterrent les morts résultant des horribles crimes du Hamas, et attendent dans une indescriptible angoisse des nouvelles des 242 otages détenus par les terroristes, le pouvoir de Tel-Aviv sème à son tour la terreur, la mort, la désolation et le chaos à Gaza. Dans le même temps, cette même armée israélienne protège les colons de Cisjordanie qui, par la force, grignotent hectare après hectare les terres des Palestiniens, accaparent une à une les maisons à Jérusalem-Est. Les paysans et les travailleurs qui s’y opposent sont tués, emprisonnés, déplacés manu militari.

Ce n’est pas un « choc de civilisation », mais, à coup sûr, le choc des barbaries.

C’est l’humanité qui s’étiole. C’est l’humanité qui se fracasse contre les murs de l’intolérance, du viol de plus de quatre cents résolutions des Nations unies. Ce droit qui doit servir à régir les rapports sociaux, à favoriser une vie harmonieuse entre tous les êtres humains au sein des sociétés et du monde, à protéger notre commune humanité. Ce droit international, matrice de la paix.

Il est urgent que toutes les chancelleries du monde, à l’unisson du secrétaire général de l’ONU et du pape François, le rappellent, s’y appuient et le fassent appliquer. Faute de le faire, c’est le droit à l’humanité pour les Palestiniens et les citoyens israéliens qui continuera d’être nié. Cette négation, grosse de tensions, d’embrasements et de guerres, nous touchera forcément toutes et tous.

Ce n’est pas le « soutien inconditionnel » au pouvoir d’extrême droite israélien qu’il faut promouvoir, mais la défense inconditionnelle de la vie de chaque côté du mur, la défense inconditionnelle de chaque enfant qu’il soit palestinien ou israélien et quelle que soit l’arme pointée sur sa poitrine.

Mesure-t-on la hauteur de la douleur des mamans de Gaza, inscrivant au marqueur les noms de leurs enfants sur leur peau afin qu’ils puissent être identifiés au cas où ils seraient déchiquetés par les bombes israéliennes qui tuent, toutes les dix minutes, un enfant de Gaza.

Mesure-t-on l’ampleur de la douleur d’une future maman accouchant par césarienne dans l’inconfort doublé d’aucun produit anesthésient et de protection, les cris de l’adolescent amputé d’une jambe sans endormissement et désinfectée au vinaigre ?

Mesure-t-on, l’effroyable nouveau drame que vit le réfugié palestinien, repoussé vers le sud de l’enclave, entassé avec ses frères et sœurs d’infortune dans de nouveaux « camps » en toile, alors qu’il ne reverra plus la maison qu’il avait construite de ses mains.

Rendons-nous bien compte ! L’armée israélienne a larguée depuis le 7 octobre, 25 000 tonnes d’explosifs sur la bande de Gaza. La propagande répète à l’envi qu’il s’agit « d’éradiquer le Hamas ». Cette même propagande se vante de l’élimination de 15 commandants du groupe fondamentaliste islamiste depuis le début de cette nouvelle guerre. Or, il y a, à l’heure où ces lignes sont écrites, au moins 9 000 morts à Gaza. Autrement dit : le gouvernement d’extrême droite colonial et militaire israélien dirigé par Benjamin Netanyahu tue 600 Palestiniens pour un chef du Hamas.

Pour la propagande, le Palestinien n’a pas de visage, pas de larme, pas d’émotions. Il est un vulgaire chiffre brandi dans de froids communiqués comme une victoire sur le « mal ». Et le monde entier serait prié de féliciter le colonisateur au risque de se faire qualifier « d’antisémite ». Rien de plus commode pour empêcher tout débat public sensé ! Comme en miroir de l’anti-humanisme du Hamas qui déclare qu’« Israël est un pays qui n’a pas sa place sur notre terre », répond cet autre anti-humanisme du pouvoir israélien dont le ministre de la Défense Yoav Gallant déclare qu’il « combat des animaux humains » et qu’en conséquence, il faut « tout éliminer à Gaza » ; ou encore ces mots d’un haut commandant de son armée expliquant que Gaza « sera une zone de mort ».

Pour parvenir à commettre ces crimes, les dirigeants israéliens plongent Gaza dans le noir absolu, coupent les réseaux de communication et empêchent les journalistes de travailler ou les tuent. Tout comme les crimes du Hamas, tout ceci relève de poursuites devant la Cour pénale internationale. Qui va enfin le dire ?

De fait, Gaza prison à ciel ouvert se transforme en cimetière pour des milliers d’enfants, de femmes et d’hommes qui n’ont rien à voir avec les crimes de guerre du Hamas. Un cimetière sans sépulture. Des morts palestiniennes transformées en chiffres auxquels ne s’ajoutent que des zéros. Enfermées dans cet enclos, sans possibilité d’en sortir, entassées désormais, dans la partie sud, menacées d’être déplacées vers le désert, des milliers de familles entières sont punies de mort. Celles qui survivent manquent du minimum vital : de nourriture, d’eau, de médicament, d’électricité. Quand l’agence onusienne pour les réfugiés (l’UNRWA) tente de les protéger, ses bâtiments sont détruits comme déjà cinquante d’entre eux. Et, voici que depuis quelques jours, Netanyahu avoue que le but final est un « contrôle –accaparement » total de Gaza.

Les gouvernements du monde, notamment celui des États-Unis, et les institutions européennes ont le devoir de sauver Gaza et d’être aussi fermes dans la dénonciation des crimes de guerre du pouvoir israélien qu’ils le sont à propos de ceux commis par le Hamas. À chaque moment, à chaque déclaration, à chaque initiative, ils devraient avoir à l’esprit qu’il y a là-bas un occupant et un occupé, un colonisateur et un colonisé. Ils ne peuvent sans cesse parler de crimes de guerre en Ukraine et ne pas voir ceux commis par l’armée israélienne. Ils devraient lire les rapports des experts indépendants et les avertissements qualifiant cette insupportable réalité de « génocide ».

Ils ont le pouvoir de faire cesser ce massacre, en cessant de financer les efforts de guerre et les technologies israéliennes. L’Union européenne peut immédiatement rompre l’accord d’association qui l’unit à Tel-Aviv. Avec le secrétaire général de l’ONU et le pape qui multiplient les appels à la paix, ils peuvent activer la résolution 377 de l’ONU, votée le 3 novembre 1950, donnant pouvoir à l’Assemblée générale pour la résolution des conflits et la résolution du Sommet mondial des chefs d’État votée en 2005 invoquant la « responsabilité de protéger »1. La Chine vient de faire savoir sa disponibilité pour coopérer à une issue de paix.

Ce n’est pas seulement de « trêve humanitaire » ou de « conférence humanitaire », sorte de morphine injectée à un agonisant dont la Palestine a besoin, mais d’un cessez-le-feu combiné à l’envoi d’une mission de Casques bleus pour protéger les Palestiniens, étant entendu qu’Israël dispose d’une armée pour protéger sa population. Ces efforts diplomatiques doivent aussi engager les pays arabes, notamment l’Égypte et le Qatar, pour la libération des otages israéliens dont on doit souligner que nombre d’entre eux sont des militants de la paix et de la coexistence entre deux États.

La mobilisation populaire mondiale commence à faire bouger certaines lignes aux États-Unis et en France où on arrive désormais à prononcer les mots de « cessez-le-feu » et de « solutions à deux États ».

Raison de plus pour amplifier les prises de position et actions en faveur de la paix et pour la reconnaissance d’un État palestinien viable dans les frontières de 1967, aux côtés de l’État d’Israël.

Loin des éructations des philosophes de plateaux, des commentateurs professionnels aussi creux que confusionnistes et que la pensée complexe a quittés pour la propagande « inconditionnelle » à l’inexistant « droit de se venger », le mouvement mondial en cours peut aider les peuples palestinien et israélien à dégager l’issue positive consacrée par le droit international : vivre côte à côte en sécurité et en paix, en rejetant l’un et l’autre tout projet de pouvoir théocratique. Le chemin pour les deux peuples est d’impulser un processus démocratique et progressiste.

Quand les travailleurs israéliens doivent payer un lourd tribut à l’effort de guerre alors que les travailleurs et les femmes de Palestine ont besoin de devenirs souverains sur leur terre, leurs intérêts peuvent converger.

Pour les deux peuples, pour l’ensemble du Proche-Orient, il est temps d’assécher les rivières de sang et de haine, et d’ouvrir de nouveaux chemins d’humanité.

La libération des prisonniers politiques palestiniens, la libération de Marwan Barghouti constituerait un pas décisif vers la liberté de toutes et de tous, vers l’harmonie, une nouvelle vie démocratique tout en marchant sur les sentiers de la paix. Moyen décisif aussi pour empêcher l’embrasement général.

N’en déplaise aux faux spécialistes en commerce extérieur : le conflit ne s’importe pas ! Nous sommes toutes et tous concernés par la paix mondiale et « l’inconditionnelle » humanité.

Écrit le 6 novembre 2023


  1. La responsabilité de protéger vise à mettre fin aux pires formes de violence et de persécution. Elle a pour objet d’en finir avec le décalage existant entre les obligations des États membres, en vertu du droit international humanitaire et des droits humains, et la réalité vécue par des populations victimes de risques de génocide, de crimes de guerre, de nettoyage ethnique et de crimes contre l’humanité. ↩︎

Image d’illustration : Gaza City le 9 octobre 2023, par Palestinian News & Information Agency (Wafa), (CC BY-SA 3.0)


Share via
Copy link
Powered by Social Snap