Par Patrick Le Hyaric.
Cet article du 13 octobre 2023 est extrait de la lettre hebdomadaire de Patrick Le Hyaric. Cliquez ici pour lire la lettre de cette semaine en intégralité et ici pour vous y abonner.
La question palestinienne saute au visage du monde de la pire des manières. L’inexcusable, l’intolérable attaque de populations civiles, de villages israéliens par l’organisation terroriste Hamas, dont Israël a tout fait pour qu’il contrôle – contre l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) – le territoire de Gaza, bouleverse le monde entier. Elle est condamnée par la quasi-totalité des chancelleries. Il s’agit de crimes de guerre selon les normes internationales. Les qualifier ainsi permet de poursuivre les dirigeants du Hamas devant la cour pénale internationale. Personne n’accepte, que des populations civiles, des jeunes, des filles soient ainsi blessées, violentées, tuées, prises en otage ou leurs corps profanés. Cela ravive en nous les pires souvenirs des années noires dont l’Europe fut le théâtre au siècle précédent. Et c’est pourquoi, on ne peut pas plus accepter que des innocents à Gaza subissent en punition collective un ouragan de fer et de feu, comme le leur promet maintenant B. Netanyahu.
Celui-là même qui, chaque jour, des semaines durant, a fermé les yeux devant les appels de « mort aux Arabes » et les ratonnades qui montaient dans les rues d’Israël en 2022. Contrairement à ce qui se débite dans nos studios de télévision et sur des bancs gouvernementaux, il n’existe pas de « droit à la vengeance » qui conduit à bombarder, détruire un territoire, tuer d’autres enfants, des femmes, des travailleurs en commettant d’autres crimes de guerre. La politique de la force est la mère de tous les chaos.
Lorsqu’on est un-e sincère militante de la paix et des droits humains, on ne confond jamais les peuples avec les forces politiques qui prétendent, à tort ou à raison, les représenter.
Si l’opération terroriste inédite du Hamas a pu être ainsi exécutée sans que la sécurité israélienne soit en mesure ni de la prévenir, ni d’en protéger les populations, c’est parce que l’armée, comme les services de sécurité, est depuis des mois à la tâche pour appuyer et sécuriser l’installation de milliers de colons en Cisjordanie. C’est que l’armée israélienne était entièrement mobilisée pour amplifier l’annexion de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est. N’en déplaise aux contempteurs qui occupent les plateaux de télévision et les ministères, ce fait politico-militaire est partie intégrante du contexte. Tenter de comprendre, n’est pas justifier l’horreur. Oui, c’est le peuple palestinien qui est victime de l’annexion, de la colonisation, des violences, des bombardements réguliers de Gaza, des humiliations aux check-points, des perquisitions de nuit, de l’interdiction d’utiliser certaines routes réservées aux colons israéliens. Aussi, ce sont des millions de Palestiniens qui sont enfermés depuis tant d’années dans des camps de réfugiés. Depuis 75 ans, ils sont victimes du non-respect du droit international. C’est ce déni de l’existence et des droits du peuple palestinien qui place les populations israéliennes dans l’insécurité. Les humiliations quotidiennes subies par les Palestiniens et la violence de la domination font prospérer le Hamas sur les ruines de l’Autorité palestinienne provoquées par le monde occidental qui n’a rien fait pour faire appliquer les accords d’Oslo avec le soutien actif de ce même Hamas. Cette stratégie était et reste partie intégrante des gouvernements successifs à Tel-Aviv pour empêcher la construction de l’État palestinien.
Les ministres israéliens d’extrême droite de la Défense et de la Sécurité nationale ne cachaient pas, il y a quelques semaines, vouloir la chute de l’Autorité palestinienne. Ce souhait signifie que la domination du Hamas sur toute la Palestine, au-delà de Gaza, serait pour eux d’un grand renfort dans la perspective d’éliminer définitivement le projet de deux États vivant côte à côte et en sécurité. D’ailleurs, le journal israélien Haaretz rappelait ces jours derniers cette déclaration de l’actuel premier ministre en mars 2019 devant les députés de son parti. « Quiconque veut contrecarrer l’établissement d’un État palestinien doit soutenir le renforcement du Hamas et le transfert d’argent au Hamas. Cela fait partie de notre stratégie. » Ceux qui mardi, depuis Paris, à l’Assemblée nationale ont proclamé leur « soutien inconditionnel » au gouvernement israélien sont plus proches de Tartuffe que de femmes et hommes d’État.
Un gouvernement du Hamas est le contraire de la démocratie, de la transparence et de l’émancipation des femmes. En face, le sinistre ministre B. Smotrich – qui se définit lui-même comme « un fasciste homophobe* » – a été très clair en déclarant à la radio que « l’Autorité palestinienne est un fardeau, et le Hamas notre chance ». Les crimes de guerre du Hamas de ces derniers jours, auxquels répondent ceux de l’armée israélienne, constituent maintenant les arguments justifiant de rayer le peuple palestinien de la carte, en affublant par extension tout le peuple palestinien du qualificatif de terroriste. En réalité, la population de Gaza est l’otage à la fois des pouvoirs successifs de Tel-Aviv et du Hamas. Otage de deux nuances d’intégrisme.
L’organisation islamiste qui était devenue impopulaire dans la bande de Gaza, risque de retrouver des couleurs dans toute la Palestine et au-delà, parmi toutes les populations arabes. Le pouvoir israélien d’extrême droite qui, cyniquement, voit là une opportunité d’en finir avec la question palestinienne, a décidé d’amplifier encore ses représailles contre les Palestiniens et construit une coalition internationale pour le soutenir alors qu’il est discrédité aux yeux même du peuple israélien. Aux rondes des violences du pouvoir israélien succèdent d’autres violences qui versent le sang d’enfants israéliens et palestiniens, de citoyens israéliens et palestiniens. À défaut donc de les laisser vivre ensemble, en paix, côte à côte, l’extrême droite colonialiste israélienne et les islamistes palestiniens leur « offrent » une mort commune. C’est insupportable. C’est odieux. C’est révoltant. Il n’aurait pas fallu laisser faire. Pour l’empêcher une puissante mobilisation pour la justice et la paix, pour faire respecter le droit international qui prévoit pour deux peuples, deux États vivants – côte à côte – est indispensable.
Aux responsables politiques français, européens, nord-américains dont l’agitation est, actuellement, inversement proportionnelle à leur silence face à l’épuration ethnique au Haut-Karabakh ou aux bombardements turcs sur des équipements civils kurdes du Rojava, on voudrait poser cette simple question : « Qu’avez-vous fait pour éviter cela ? »
Rien. Le pouvoir israélien bafoue toutes les règles internationales depuis des décennies, se moque littéralement des 400 résolutions votées à l’ONU contre la colonisation, le mur de séparation ou le blocus de Gaza, et les pays occidentaux ont laissé et laissent faire.
On peut d’ailleurs malheureusement penser que les attaques du Hamas vont servir à l’application d’un régime encore plus dur envers les populations colonisées. Avant ces insupportables attaques, le journal The Times of Israël avait révélé que le pouvoir israélien préparait une féroce répression en Cisjordanie contre les Palestiniens.
Le monde occidental doit aujourd’hui, devant les peuples, répondre sérieusement de son haut degré d’hypocrisie consistant à terminer chacun de ses communiqués, résolutions et discours, par une formule selon laquelle il souhaite « une solution à deux États » sans jamais ne rien faire pour l’obtenir. Il est donc complice de crimes qui se commettent chaque jour, d’emprisonnements de militants, de vols de terres, de maisons, de sources d’eau. Leur attachement à l’auto-détermination, à la souveraineté des peuples est à géométrie variable selon qu’il s’agisse de la Libye, de l’Irak ou de l’Ukraine ! Ce « deux poids, deux mesures » ne peut plus être accepté par la rue arabe et bien au-delà.
Le déferlement médiatique depuis samedi dernier tend à faire croire que Gaza serait une sorte de « république autonome » sans passé, sans visage, sans paysage, sans enfant. Or, il s’agit d’un morceau de la Palestine, coupé de la Cisjordanie, subissant une occupation militaire depuis un demi-siècle. Ce territoire, devenu une enclave, de 362 km2, long de 41 km, large de 6 km à 12 km, abrite 2,2 millions d’habitants, les plus pauvres au monde. Les Gazaouis ne demandent qu’à vivre normalement, mais ils ne peuvent sortir qu’au compte-goutte, et leur approvisionnement en nourriture, en eau, en électricité et médicaments dépend du bon vouloir des autorités israéliennes. Les trois quarts des citoyens de Gaza sont des réfugiés ou des descendants de réfugiés, c’est-à-dire des Palestiniens, chassés de leur maison et de leurs terres par l’expansion de la colonisation israélienne en 1948.
Après 75 ans d’occupation, 75 ans de déni de leurs droits fondamentaux à vivre dans leur patrie, qu’ont à perdre les Palestiniens sinon leurs chaînes et l’insupportable domination d’un occupant arrogant qui bénéficie de la complicité des puissances occidentales ? C’est ce désespoir et cette colère que le Hamas capte en l’absence de toute alternative démocratique, et de toute perspective de règlement politique et de justice. Les armes qui servent à bombarder les populations de Gaza sont financées par les dirigeants nord-américains qui, après avoir signé leur chèque, ânonnent les mêmes phrases creuses sur les droits des Palestiniens après avoir fermement rappelé « le droit des Israéliens à se défendre » comme si celui-ci devait être supérieur au droit de vivre des Palestiniens. Instaurer une telle disparité n’est en aucun cas vouloir la paix.
Nous en sommes aujourd’hui au point où le peuple palestinien se pose légitimement la question de savoir quel espace il lui restera pour bâtir un État viable à force de voir ses terres colonisées, ses villes et villages annexés sous les yeux des autorités internationales. Il se demande où est la justice internationale quand la Cour de justice de La Haye, multiplie colloques, conférences, réunions et rapports depuis dix ans pour savoir s’il s’agit bien d’une « colonisation ». De qui se moque-t-on ? Si les instances censées représenter le droit et la justice ne le font pas, c’est la rue, ce sont les citoyens qui prendront la main et, en l’absence de perspective politique, ce sera souvent de la pire des façons.
La belle mobilisation populaire israélienne de ces derniers mois contre la tentative de soumettre la Cour suprême à la volonté du pouvoir politique est restée aveugle à la question de l’illégale occupation de la Palestine. Elle est pourtant l’occasion de fédérer les peuples israéliens et palestiniens sur le respect du droit international, pour un projet commun de paix et de sécurité, d’harmonie et de coopération.
Il apparaît nettement aujourd’hui que, décidément, la question palestinienne ne peut être enterrée. Elle ressurgit de la pire des manières sur le devant de la scène internationale, et ce n’est pas faute d’avoir alerté ici à maintes reprises sur les conséquences de la colonisation et de l’occupation. La question palestinienne ne peut laisser indifférent. Il s’agit ici d’un enjeu central pour l’avenir de toute la Méditerranée. Ce serait une raison supplémentaire pour que la France s’y implique afin de faire respecter le droit international. Notre pays, membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU devrait prendre une initiative politique pour une médiation d’abord pour sauver tous les otages et pour la paix dans la perspective de deux États. C’est le moment où l’Organisation des Nations Unies doit se mobiliser pour permettre la désescalade, pour trouver le chemin de la reprise de discussions, pour la protection des populations, pour la levée du blocus de Gaza et de la reconnaissance officielle de l’État de Palestine dans les frontières décidées par le droit international.
Pour la paix et la sécurité, dans l’intérêt des citoyens israéliens et palestiniens comme de ceux de toute la région, il est impératif d’y parvenir.
On nous dit maintenant qu’il n’y aurait pas d’interlocuteur pour le faire. C’est faux ! Que sous la supervision de l’ONU et de l’Union européenne on permette aux Palestiniens de choisir leur parlement et leurs dirigeants après avoir libéré les prisonniers politiques. Marwan Barghouti est une solution. C’est parce qu’il est cette solution que le pouvoir israélien le maintien en prison. Le combat pour sa libération est bien partie intégrante du combat pour la justice et la paix.
Au lieu de cela, alors que la guerre gronde chaque jour au cœur de l’Europe, les dirigeants nord-américains déplacent un navire de guerre dans la région, augmentent leur fourniture d’armes à l’État israélien, alors que Gaza va être placé en état de siège par le pouvoir de Tel-Aviv et bombardée sans ménagement, sans aucun sentiment pour les enfants nés dans cette « prison à ciel ouvert ». L’Occident capitaliste va-t-il décidé d’étouffer les familles palestiniennes, de renforcer l’islamisme politique dans toute la région, et d’attiser une guerre régionale aux terribles implications ?
La situation devient très dangereuse dans une région qui est déjà une poudrière, qui, à tout moment, peut s’enflammer. Il est donc urgent d’attiser la paix, pas la guerre généralisée.
Écrit le 12 octobre 2023
Image d’illustration : CC0 1.0 Deed