Par Nicolas Haincourt.
Alors que les Restos du Cœur viennent d’annoncer, faute de bénévoles et de moyens, la mise en place de listes d’attentes pour l’hiver 2023-2024, la Préfecture de Police de Paris vient d’interdire l’aide alimentaire locale.
Ce lundi 9 octobre le préfet de Police de Paris Laurent Nuñez a signé un arrêté prévoyant l’interdiction des distributions alimentaires du 10 octobre au 10 novembre dans un secteur délimité des xxe et xixe arrondissements, un quartier populaire situé métros Stalingrad et Jaurès. La Préfecture de Police de Paris n’invente rien, ces arrêtés étaient déjà monnaies courantes à Calais et se sont intensifiés à partir de 2020.
Cette nouvelle interdiction va priver de repas de 200 à 500 bénéficiaires des distributions quotidiennes.
Des mesures pour marginaliser les plus précaires
Les distributions alimentaires créeraient « des nuisances » pour les riverain·es. La préfecture pointe que le « caractère récurrent » des distributions engendrerait une « augmentation de la population venant à ces distributions alimentaires » et qu’elles stimuleraient « la formation de campements dans le secteur ». Les « rassemblements d’individus marginalisés » favoriseraient « les trafics divers, notamment de drogues ».
Les principales associations présentes sur place comme Utopia 56 ou France Solidarité Wilson ne relèvent pas d’incidents lors des distributions, mais se disent déjà harcelées par la police qui vient perturber les distributions. L’arrêté précise enfin que les points de distributions sont déjà assez nombreux dans le xixe arrondissement et que les sans-abris peuvent en trouver facilement en se rendant sur internet. Outre la précarité numérique et la barrière de la langue, la connaissance des points de distribution alimentaire se fait souvent par le bouche-à-oreille.
Dans un contexte d’inflation portant particulièrement sur les denrées alimentaires, ce ne sont pas les associations et les points de distribution, mais bien les politiques sociales et économiques du gouvernement qui sont responsables de la multiplication du nombre de bénéficiaires, ainsi que les politiques toujours plus répressives vis-à-vis des migrant·es.
Les populations sont opposées les unes autres : d’un côté, les riverain·es, les catégories sociales qui doivent pouvoir vivre sans heurts dans leurs quartiers, et de l’autre, les bénéficiaires de la distribution, perturbateurs/trices, nuisibles à marginaliser. La Préfecture reproche finalement aux associations d’aide alimentaire de troubler l’ordre public et assume son rôle de défense de la tranquillité, qui impliquerait de cacher la misère aux yeux de la « bonne société ».
La rhétorique du point de fixation et de la création de campements est utilisée à l’identique à Calais. Il ne faut pas que les sans-abris soient visibles, se posent, se rassemblent ou se solidarisent. Aucun répit n’est accepté dans le parcours d’errance. L’amalgame avec les trafiquant·es stigmatise les bénéficiaires et contribue à leur marginalisation. Il permet de donner une légitimité à cet arrêté, en plaçant le sécuritaire avant le solidaire.
Objectif 2024
Les associations alertent depuis de nombreux mois sur la destruction de tous les camps de réfugié·es à Paris et le déplacement toujours plus loin du centre-ville. A l’approche des JO de Paris 2O24, la stratégie d’invisibilisation des populations les plus précaires de la capitale est plus offensive.
L’ouverture de centres d’accueil en région « pour mieux répartir les sans-abris et demandeurs d’asile sur le territoire, en provenance de Paris » lancé en avril 2023, favorise le déplacement des personnes en province et les ruptures de convention d’agrément entre les hôteliers et l’État se multiplient au bénéfice des touristes et au détriment des bénéficiaires de l’hébergement d’urgence en Île-de-France. Même si ces décisions ne sont jamais présentées comme telles, l’augmentation des actions en défaveur des sans-abris parisiens ces derniers temps porte un projet politique : celui de Macron qui avait promis en 2017 qu’il n’y aurait « plus un seul SDF à la rue », mais sans préciser par quels moyens…
Le gouvernement, non seulement ne fait rien pour combattre la misère sociale et la faim, mais ne prend même plus la peine de se décharger sur les associations comme il l’a fait pendant des décennies, et préfère empêcher un travail social et humanitaire. Or les associations de distribution alimentaire ne font pas de la charité mais remplissent une mission d’intérêt public qui devrait être du ressort des services de l’État.
La Préfecture de Police de Paris, en bonne défenseure des intérêts de la bourgeoisie, arme juridiquement ses agent·es alors qu’ils et elles harcèlent déjà les populations précaires. Toute personne dite délinquante s’expose à une amende de 135 euros pour distribution de nourriture, un nouvel un élargissement du « délit de solidarité ».
Indécent.
Image d’illustration : « Un camp de migrants réfugiés à Paris (pont de la Chapelle) », photographie du 26 mars 2015 par Jeanne Menjoulet (CC BY 2.0 Deed)