Gwenn Thomas-Alves (FIDL) : « Après la Covid, le mouvement des retraites a redonné force et unité aux syndicats lycéens ! »


Interview avec Gwenn Thomas-Alves, président de la FIDL (Fédération Indépendante et Démocratique Lycéenne), réalisée le 1er octobre 2023.

Nos Révolutions (NRs) : Bonjour Gwenn et merci de nous accorder cet entretien, consacré à l’actualité des luttes lycéennes. Tout d’abord, peux-tu te présenter ? Quel a été ton parcours de lycéen, de militant ? Comment en es-tu venu à l’engagement ?

Gwenn Thomas-Alves (GT) : J’ai toujours eu un esprit un peu militant, qui s’est ensuite développé pendant le lycée. Ma prise de conscience a commencé par quelque chose de très simple : l’état des toilettes de mon lycée. Pas de portes, jamais de papier… Ça peut paraître anodin, mais pour un élève qui ne peut pas aller aux toilettes, c’est difficile d’apprendre correctement ! En fin de seconde, j’ai voulu changer ça. Je me suis engagé au CVL (Conseil de la Vie Lycéenne) pendant un an, mais ça n’a pas eu d’utilité. Nos interpellations en direction de Pécresse, la présidente de région, n’ont eu aucun effet.

À la fin de l’année de première, j’ai voulu m’engager dans un syndicat lycéen et j’ai choisi la FIDL. À ce moment-là il n’y avait aucun syndicat lycéen dans mon département, le Val-de-Marne. Très vite j’ai été promu délégué national de la FIDL à la vie lycéenne ; mon rôle était de faire de la défense individuelle pour les lycéen·nes confronté·es à des problèmes dans leur établissement.

Puis à la rentrée 2022 les lycéen·nes ont organisé de gros blocus contre Parcoursup, dans mon lycée Jean-Macé, et aussi au lycée Chérioux (tous deux à Vitry-sur-Seine). Or à Chérioux, des gens avaient amené des bombes artisanales et ont pris pour cible des personnels grévistes du lycée. Autant dire, un acte incompréhensible et indéfendable. Le lendemain, Le Parisien avait accusé la FIDL d’être à l’origine de cette action, ce qui n’était pas le cas. On s’est dit qu’on ne pouvait pas accepter des actes individuels dangereux comme celui-là, on a donc créé la fédération 94 de la FIDL. On s’est développés dans de nombreux lycées, à Fresnes, Ivry, Vitry, Champigny… À partir de là on a pu bloquer plusieurs lycées simultanément, et aller ensemble en manifestation.

Le Val-de-Marne est rapidement devenu un des plus gros comités locaux de la FIDL. En avril dernier, il y avait le renouvellement des instances de la FIDL, je me suis présenté et j’ai été élu président du syndicat à cette occasion.

NRs : Tu es donc dirigeant syndical lycéen depuis le printemps. Comment s’est passée cette rentrée scolaire de septembre 2023 ?

GT : On pensait que la rentrée allait être marquée par les projets du gouvernement : le Service National Universel (SNU), la réforme du bac pro… Là-dessus la polémique autour de l’abaya est arrivée sans prévenir, lancée par Gabriel Attal. On ne voulait pas trop en parler pour ne pas alimenter la machine médiatique, mais nous avons dû quand même réagir.

D’abord, on considère que l’interdiction de « l’abaya » par le Ministère de l’Éducation a été une décision sexiste (ils ont aussi embêté les lycéennes portant des crop tops avec la fameuse « tenue républicaine »), et évidemment une décision de harcèlement islamophobe, où l’on discrimine en fonction de la tête de la personne. On continue en tant que syndicat à contester cette décision auprès de l’institution, sans le faire médiatiquement pour ne pas relancer cette polémique stigmatisante. Dans les lycées on constate une tolérance zéro depuis la rentrée, comme on l’a vu avec les histoires de kimonos par exemple.

Surtout, cette polémique a permis au gouvernement d’évacuer complètement le problème du manque de professeurs. Le ministre Attal s’en est bien tiré. Il prétend qu’il y a 0,01% de postes vacants cette année. Nous à partir des chiffres du Snes-FSU, nous calculons plus de 5 500 professeurs manquants. Ce syndicat enseignant compte en effet au moins 48% d’établissements où il manque au moins un professeur !

NRs : Tu viens d’évoquer le Service National Universel (SNU), la réforme du bac professionnel. Comment les syndicats lycéens comptent-ils lutter contre ces deux projets que le gouvernement Macron veut imposer au pays ?

GT : Concernant le SNU, n’oublions pas que nous avons réussi à faire reculer le gouvernement ! C’était pendant la réforme des retraites. Tout le projet a été stoppé car après le 49-3, le mouvement lycéen était massif. La secrétaire d’État Prisca Thévenot a depuis repris le projet en main, et en tant que syndicat lycéen nous continuons à nous y opposer.

Le SNU, c’est délocaliser l’école publique dans des camps militaires. On nous dit que c’est pour apprendre la citoyenneté, mais il y a des cours pour ça, l’éducation morale et civique (EMC) ! Ces heures de cours sont souvent utilisées par les profs d’histoire pour boucler le programme en fin d’année. Nous revendiquons donc des temps d’enseignement spécifiques pour apprendre les institutions, la démocratie… Ça irait dans le sens du droit de vote à 16 ans, une autre de nos revendications. Thévenot a déclaré vouloir « coconstruire avec les acteurs du SNU », mais nous n’avons pas encore été reçus pour faire part de nos propositions.

En effet au-delà de l’annulation du SNU, nous proposons son remplacement par des séjours dans d’autres régions françaises que celle du lycée d’origine, pour créer de la cohésion de groupe, autour d’activités autres que militaires. Le service volontaire s’adresse déjà aux jeunes qui veulent aller dans les forces armées ! À la fin de la deuxième guerre mondiale, le service militaire universel avait une utilité pour refaire nation, mais aujourd’hui l’enjeu n’est plus le même, nous faisons déjà nation ! Le SNU c’est aussi la volonté du gouvernement de réarmer, et de « reciviliser » comme l’a dit Macron, après les émeutes. Pour nous l’urgence n’est pas de « reciviliser » la population, mais de l’émanciper.

Sur la réforme du bac professionnel ensuite, nous considérons qu’il y a besoin d’une réforme – cette filière est trop méprisée – mais pas la réforme libérale du gouvernement. Celle-ci prévoit de réduire les cours fondamentaux et d’augmenter le temps en entreprise, où l’on est payé 2,80€ de l’heure ! Les lycéen·nes sont des mineur·es, pas de la chair à pâté pour le patronat. Le rôle de l’école publique est d’instruire, pas de nous faire travailler presque gratuitement.

NRs : La rentrée est aussi marquée par la crise sociale. L’inflation, la hausse du coût de la vie, a-t-elle aussi touché les lycéen·nes ?

GT : Les lycéen·nes ne sont pas forcément les premier·es touché·es par l’inflation, car pour la plupart on ne paie pas de loyer, on ne fait pas nos courses etc… Mais l’inflation touche aussi les lycéen·nes, au moment de la rentrée ! L’achat des fournitures scolaires fait mal, leur prix a bondi de 11% selon UFC-Que Choisir ! L’Allocation de Rentrée Scolaire a été augmentée de 5% cette année, certes c’est un record, mais comment fait-on avec les 6% d’inflation restant à notre charge ? Les lycéen·nes qui n’ont pas les moyens de se payer les fournitures scolaires peuvent être sanctionné·es. Des élèves ont été expulsés de leur établissement pour cette raison, alors qu’ils vivent dans une voiture !

Face à cette crise sociale, des collectes solidaires ont été organisées, mais c’est à très petite échelle. Plutôt que de prendre ses responsabilités, le Ministère a proposé d’organiser des « journées de la précarité » pilotées par les CVL, ce qui n’est pas du tout leur rôle ! De manière générale, le gouvernement valorise à fond toutes les associations caritatives. Celles-ci peuvent soulager les personnes qui bénéficient de l’aide, mais elles ne permettent pas de changer réellement les choses. Ça permet surtout de nous faire accepter la situatio

NRs : Revenons quelques mois en arrière, au moment de la lutte contre la réforme des retraites. La réforme a finalement été adoptée. Quel bilan tires-tu de cette lutte, et comment éviter de nouvelles défaites à l’occasion du prochain affrontement social ?

GT : Le constat qu’on peut faire, c’est qu’en tant que syndicat lycéen on a été partie prenante de la mobilisation, qu’on a codirigé d’un point de vue médiatique et militant. Après le 49-3 déclenché par Borne, il y a eu plus de jeunes dans les rues, et moins de travailleurs. La réaction au 49-3 a montré que les jeunes sont politisé·es. L’abrogation de cette mesure est devenue une des revendications de la jeunesse, pour en finir avec le pouvoir monarchique présidentiel.

On a eu du mal à anticiper la mobilisation lycéenne juste après le 49-3. Le tempo est compliqué à gérer, parce qu’il y a un effet « boule de neige ». Un premier lycée va bloquer, puis un suivant, puis ceux autour etc… Et le temps que le dernier lycée se mette à bloquer, le premier est souvent sorti du mouvement. Mais on a quand même réussi à avoir entre 400 et 500 lycées bloqués, le 23 mars. En banlieue parisienne par contre, on a eu beaucoup de mal à amener les lycéen·nes jusqu’au lieu de manifestation, car il faut tenir toute la matinée dehors, puis prendre les transports… Ça ne veut pas dire que la banlieue ne s’est pas mobilisée : dans mon lycée, on a été jusqu’à 300 en Assemblée générale par exemple.

Le blocus du lycée est important, car il permet de politiser massivement et très rapidement, en intervenant devant des centaines de jeunes. En quelques minutes, ce sont 200, 300 lycéen·nes supplémentaires qui vont comprendre l’enjeu de la réforme des retraites. Devant certains lycées bloqués, on a pu organiser des concerts, les gens se mettent à danser, d’autres prennent des snaps. Les vidéos vont être vues par des élèves d’autres lycées, qui eux aussi vont se mettre à bloquer, etc…

Le problème principal qu’on a rencontré pour étendre le mouvement, ça a été les vacances scolaires. Concrètement avec les zones, on a dû s’interrompre deux fois pendant presque un mois, en février puis en avril. Pour la FIDL c’était aussi le moment du renouvellement des directions, ce qui n’a pas facilité les choses. Au prochain mouvement, on espère pouvoir contourner le problème des vacances, pour que des lycéen·nes d’une zone en vacances, par exemple en Île-de-France, puissent aller mobiliser des lycées à Marseille, et qu’on fasse une rotation comme ça.

Enfin, une leçon qu’on tire de ce mouvement c’est qu’au niveau local, l’intersyndicale a marché très différemment suivant les territoires. Et on n’a pas réussi à converger avec les syndicats étudiants et les travailleurs, alors que ça aurait pu nous aider. Dans ma ville de Vitry, les actions qu’on a mené avec des travailleurs, comme les éboueurs de Pizzorno en grève, ont été très bénéfiques.

NRs : Cet été, il y a eu les révoltes urbaines suite au meurtre de Nahel. Quelle a été la réaction des syndicalistes lycéens ?

GT : En tant que lycéen·nes et militant·es syndicaux, on s’est posé la question : doit-on ou pas les soutenir ? C’est compliqué, parce que des écoles ont été saccagées : évidemment, on ne peut pas soutenir ça. On soutient par contre la colère enfouie des quartiers populaires, qui ne s’est pas exprimée pendant la réforme des retraites. La création de la FIDL 94 répond d’ailleurs aussi à cet enjeu-là : proposer des moyens de s’organiser en banlieue. Dans notre département, les raisons pour lesquelles les lycéen·nes s’engagent sont les violences policières, les conditions sociales de leurs familles.

NRs : Peux-tu nous renseigner sur le paysage du syndicalisme, et plus globalement de l’engagement lycéen en 2023 ?

GT : Il y a aujourd’hui trois syndicats lycéens, qui se revendiquent du syndicalisme et sont de fait plutôt portés à gauche : la FIDL, la VL (Voix Lycéenne) qui s’appelait avant l’Union Nationale Lycéenne (UNL), et le MNL (Mouvement National Lycéen), issu d’une scission de l’UNL.

Pour parler de mon syndicat, la FIDL, il a été créé au départ par l’association SOS Racisme. Nous avons toujours mené des luttes sociales, aux côtés des travailleurs et des étudiant·es. Lors de la réforme des retraites, nous avons multiplié par cinq notre nombre de comités locaux, qui se sont tous mobilisés avec le même entrain. Depuis mon élection, nous cherchons à être plus indépendants vis-à-vis des organisations extérieures, nous sommes persuadés que c’est la recette d’un mouvement lycéen fort. Après tout, nous avons tout de même des adhérents parmi la plupart des partis de gauche et leurs mouvements de jeunesse : EELV, NPA, FI, PS, PCF…

Concernant les autres syndicats, nous avons de très bons liens avec la Voix Lycéenne qui, elle, a été historiquement plus proche de l’UNSA au sein de l’intersyndicale, et de bons liens avec le MNL, qui avait été créé au départ par des lycéen·nes proches du Parti de Gauche (PG). Il faut savoir qu’avant le mouvement des retraites, les différents syndicats lycéens ne se parlaient pas. On avait fait une liste pour les élections au CSE (Conseil Supérieur de l’Éducation), mais c’est tout. Depuis les retraites, nous avons fait beaucoup d’actions communes depuis les retraites. Nous considérons à la FIDL que la compétition pour se proclamer « premier syndicat » n’a pas beaucoup de sens, alors que toutes organisations confondues, on organise encore très peu de lycéen·nes.

On pourrait donc dire que si le Covid nous a tué – avec les confinements à répétition –, le mouvement social nous a permis de revivre, avec une dimension unitaire. Cette unité est plus facile à construire que pour le mouvement syndicat professionnel, car d’un point de vue idéologique nous pensons à peu près la même chose. Par exemple, le MNL se considère comme un « syndicat de lutte révolutionnaire ». Mais nous et la VL sommes anticapitalistes donc cela revient au même : on ne peut pas sortir du capitalisme sans révolution. Pour résumer, je pense que nos trois syndicats ne se retrouvent pas dans l’idéologie du réformisme.

Pour finir de brosser ce paysage, à droite il n’y a pas d’organisation se revendiquant « syndicat lycéen ». Les macronistes sont regroupés dans deux organisations. On pourrait dire que « Renouveau lycéen » rassemble les ex-LR devenus macronistes, et « Les Lycéens » les ex-PS. « Renouveau lycéen » a en fait pris la suite de « Avenir lycéen », cette organisation créée par Blanquer qui avait fait scandale. Toutes ces organisations servent essentiellement à faire adhérer les élu·es au sein des instances lycéennes. C’est comme cela qu’ils ont pu truster 4 sièges lycéens sur 4 au CSE. Et puis plus à droite, il y a l’UNI. Cette organisation, qui n’arrive pas à se développer sur les lycées, a quitté la droite traditionnelle pour se rapprocher davantage de Zemmour. Ils peuvent organiser des actions violentes : à Lyon ou Versailles, des blocus ont été attaqués.

NRs : Pour finir, selon toi quelles sont les attentes des lycéen·nes envers la gauche, dès aujourd’hui et en vue de 2027 ?

GT : Il faut avoir conscience qu’il y a deux types de lycéen·nes : une petite partie qui est politisée, souvent engagée, et une majorité qui ne l’est pas. Un des gros problèmes du syndicalisme lycéen, c’est donc la conscientisation des masses. C’est avant tout un problème de ressources humaines : plus on est nombreux, plus on peut parler autour de nous. Or nous manquons d’adhérent·es. D’où la nécessité d’un mouvement lycéen unitaire, dont je parlais tout à l’heure.

Les sujets qui provoquent l’éveil politique chez les lycéen·nes sont de deux ordres : un problème local (manque de profs, insalubrité…), ou une cause sociétale, pour un public plus politisé (racisme systémique dans la police, écologie, autoritarisme du gouvernement…). Mais quel que soit le déclic qui provoque l’engagement, toutes les luttes convergent au final.

Dans ce contexte nos attentes vis-à-vis de la gauche, c’est l’écoute de toutes les jeunesses : des métropoles, des banlieues, des campagnes – sans oublier les outre-mer, à qui nous avons beaucoup de mal à nous adresser en tant que syndicats lycéens, pour des raisons logistiques. Les lycéen·nes peuvent rencontrer des problèmes différents en fonction des territoires. Il faut arriver à les faire converger tous ensemble sur une même lutte, qui remet en question le monde actuel.

En 2012 avec la gauche Hollande, nous n’avons pas vu du tout de changement. Beaucoup de lycéen·nes d’aujourd’hui ne croient donc pas en la gauche, qu’ils soient politisé·es ou non. C’est pour ça que la NUPES est très utile : elle permet de montrer qu’il existe une vraie gauche, celle qui incarne le changement. Avant l’arrivée de la NUPES, nous les lycéen·nes on ne comprenait pas forcément qui était qui, au sein des quatre partis. Depuis la réforme des retraites, la question de l’après-Macron est venue dans les esprits. Pour 2027, la gauche au pouvoir est réclamée par les lycéen·nes. Et on peut aider à ça : entre aujourd’hui et 2027, les syndicats lycéens peuvent contribuer à politiser toute une génération, qui ira voter le moment venu. Mais évidemment pour gagner, une candidature unique de la gauche sera nécessaire.


Image d’illustration : Gwenn Thomas-Alves en septembre 2023, à Créteil. Reproduite avec l’aimable autorisation de l’auteur, M. Sacha Lintignat.


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