En débat. Débattre avec Édouard Philippe ?

Par Hugo P.

Que penser de l’irruption de Ritchy Thibault, « militant gilet jaune », lors du débat entre Fabien Roussel et Édouard Philippe à la Fête de l’Humanité 2023¹ ? A-t-il eu raison d’affirmer qu’Édouard Philippe n’a « rien à faire ici » car « c’est un éborgneur » ? La question n’est pas simple.

D’un côté, Édouard Philippe est effectivement le responsable politique qui, avec Macron et Castaner, a maté violemment la révolte des Gilets Jaunes. Ce n’est pas rien : il a alors saccagé des dizaines de vies (sans même parler des conséquences humaines de ses réformes) et a normalisé le traitement des mouvements sociaux par la terreur. Entre lui et nous, il y a du sang. Ainsi, le débat ne peut plus être « cordial, respectueux » comme le voudrait Fabien Roussel. Il peut encore moins aboutir à des convergences du type « ce ne serait pas responsable de dire que la dette n’est pas un problème et qu’on ne va pas la payer » (voir la transcription du débat).

La tribune « transpartisane » sur les régularisations dans les métiers en tension publiée le 11 septembre dans Libération² et l’unanimisme entre les classes et les partis qu’elle promeut posent les mêmes problèmes. Je pense donc que la sénatrice Éliane Assassi a raison de la critiquer dans son entretien au Point du 16 septembre³ (bien que je ne pense pas, contrairement à elle, qu’il soit pertinent d’appeler à des rapports apaisés entre les partis représentés au Sénat : le pavé de la lutte contre la réforme des retraites est encore chaud !).

Ces interventions n’ont qu’une conséquence : elles abaissent le niveau de conscience de celles et ceux qui les écoutent, en déguisant nos ennemis mortels en interlocuteurs respectables, sinon même en partenaires éventuels. Ces gens ne sont pas respectables. Ils sont les fondés de pouvoir du patronat et il n’y aura pas d’espoir pour les classes populaires tant qu’ils exerceront une once de pouvoir. Cela doit être dit et répété.

Pas de cordialité, pas d’apaisement et pas de convergences donc. Mais bien qu’on puisse comprendre sa réaction, ce Gilet Jaune se trompe également. Nous sommes à un moment de l’histoire de notre pays où le vaste front populaire qui s’est levé contre la réforme des retraites a été vaincu à la fin du printemps, puis s’est désagrégé tout au long de l’été. L’état d’esprit des populations, en cette rentrée, n’est plus au combat : comme l’attestent les enquêtes d’opinion, la résignation l’a (momentanément) emporté. Dans un tel contexte, elles tolèrent à nouveau le joug de la bourgeoisie, et ne comprennent pas qu’on refuse de l’entendre, contrairement à la période du mois de mai, où des concerts de casseroles recouvraient toutes les prises de parole des ministres.

L’heure est donc à reconstituer méthodiquement les convictions que la défaite a cassées. La polémique, avec Édouard Philippe ou un autre, peut le permettre. Mais il faut que cet effort sorte du terrain de l’émotion ou des « valeurs » choisi par Ritchy Thibault, pour se placer sur celui de la raison et de la politique, car seules les idées acquises de cette manière sont suffisamment solides pour faire face à une période de régression du rapport de forces. Cet objectif plus important que tous les autres, à savoir l’élévation du niveau de conscience, requiert avant tout des arguments précis et irréfutables, de la détermination à combattre, de la lucidité et de l’organisation. Dans les prochaines semaines, l’examen du projet de loi Immigration de Gérald Darmanin doit permettre d’avancer dans ce sens.

Image d’illustration issue du compte Facebook de L’Humanité.