Le parti pris de Nos Révolutions (discuté le 2 septembre 2023).
Après un été marqué, une fois de plus, par les impacts du changement climatique, le gouvernement fait à nouveau le choix des coupes budgétaires, de la violence sociale, du mépris de classe ; et c’est une rentrée tendue qui s’annonce, « à droite toute », avec les débats autour de la loi Immigration et la mise en œuvre de nouvelles politiques d’austérité.
Le président de la République a récemment détaillé, dans une interview accordée au Point, les initiatives politiques d’ampleur qu’il souhaite porter en cette rentrée 2023, avec son gouvernement remanié au cœur de l’été. Des annonces et une méthode aux antipodes des attentes et réponses aux besoins réels de l’humanité et de la planète.
Cent jours qui n’ont rien eu d’apaisant
Malgré les proclamations, le 17 avril, de « 100 jours d’apaisement » pour tenter de clôturer la séquence sur la réforme des retraites, la macronie méprisante et provocatrice a été rattrapée par le mouvement social, puis par les émeutes provoquées par la mort de Nahel, tué à bout portant par un policier.
Dans une opération séduction, le président de la République devait « réaffirmer le cap qui est le [sien] » et « tracer des perspectives pour les semaines à venir ». Les annonces avaient été faites sous des concerts de casseroles organisés un peu partout en France à l’appel d’associations. Comme nous l’analysions dans notre parti-pris du 12 juin, le gouvernement a consacré l’hiver et le printemps à montrer qu’il cherche à obtenir l’obéissance, et non le consentement, de la population.
L’été a ainsi débuté dans la colère, la violence.
Un remaniement ministériel pour se renforcer à droite
Face à une crise politique qui n’en finissait plus, la réponse du chef de l’État a été un remaniement ministériel à la marge, qui lui permet tout à la fois de remercier ses proches et de renforcer l’axe libéral de son gouvernement. Le choix de nombre de ministres, comme les missions qui leur ont été confiées, est un moyen de donner des gages à la droite, qu’il devient difficile de qualifier « d’opposition ». On pourrait se pencher longuement sur quelques exemples très symboliques de cette démarche :
- Gabriel Attal, à l’Éducation nationale, a ainsi été missionné pour « rétablir l’autorité à l’école ». Ses premières annonces se portent immédiatement très à droite avec l’interdiction du port de l’abaya. Précédemment chargé de la mise en place du service national universel (SNU), il cherche à incarner une vision macroniste de l’ordre social. Issu des rangs traditionnels de la gauche, il a fait partie des premiers soutiens d’Emmanuel Macron dès 2017 et, aujourd’hui, comme Bruno Le Maire, il parle aux électeurs historiques de la macronie, cherchant à faire vivre le credo du « ni de droite, ni de gauche », dans la perspective de la présidentielle de 2027.
- Gérald Darmanin reste à l’Intérieur alors qu’il rêvait de Matignon. Il est déjà candidat à l’élection présidentielle de 2027, se présentant comme le barrage au Rassemblement national (RN) alors qu’il personnifie une politique de violence policière et de dérives extrêmes d’une droite de moins en moins républicaine. On peut sans difficulté faire un parallèle entre sa situation et celle de Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur durant le dernier mandat de Jacques Chirac. Il mise, lui, sur le retour d’un clivage droite / gauche qui lui serait davantage favorable.
- Aurore Bergé, nommée ministre des Solidarités, vient des LR et a été présidente du groupe Renaissance à l’Assemblée nationale. Comme Gabriel Attal, ses premières annonces sont des gages donnés à la droite avec, par exemple, la réduction de la durée du congé parental. Des annonces qui coïncident avec les déclarations de la Première ministre Élisabeth Borne sur la réduction à venir des dépenses de santé.
- Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’État chargée de la Ville, est une proche du président et de son épouse. Les politiques de la Ville, lancées durant le premier mandat de François Mitterrand, sont, depuis sa nomination, rattachées pour la première fois de leur histoire au ministère de l’Intérieur. S. Agresti-Roubache n’a d’ailleurs pas hésité très rapidement à faire des raccourcis entre trafics et consommation de cannabis, ou à affirmer sa volonté de voir l’uniforme porté dans les écoles des quartiers cibles des politiques de la Ville.
Si ce remaniement renforce le gouvernement sur sa droite, il permet aussi aux candidats et futurs candidats à l’élection présidentielle de se positionner dès à présent. La course pour 2027 est donc ouverte.
Une majorité gouvernementale qui se fracture sur un fond de recomposition politique
C’est dans cette course, qui voit déjà se lancer plusieurs « poids lourds » de la majorité, que se dessinent les premières fissures de la macronie.
D’abord sur le retour du clivage traditionnel droite / gauche à l’horizon 2027, marqué par l’attaque de Gérald Darmanin, qui organise sa propre « rentrée politique », entouré de ses amis historiques issus des rangs de la droite. Il choisit de s’intéresser pour ces rencontres à des thématiques qu’il veut sociales, en s’autoproclamant meilleur rempart face au RN.
Ce « retour aux sources » à droite avait commencé avec Édouard Philippe qui, quand il quitte Matignon, crée un nouveau parti, Horizons, où l’on retrouve tous les classiques de la droite : « rigueur budgétaire », « baisse des impôts », vision conservatrice de l’éducation et fermée de l’immigration, absence d’ambitions sociales et écologiques, etc. avec pour prétention assumée de rassembler son camp, la droite. Dans la course à l’Élysée, É. Philippe sera donc très certainement opposé à ses anciens ministres.
La perte de la majorité absolue à l’Assemblée nationale et l’absence, au Sénat, des partis de la majorité présidentielle mettent en difficulté le gouvernement qui se tourne à droite pour faire passer ses politiques de casse sociale, sécuritaires ou d’austérité.
On comprend mieux le sens de « l’initiative politique d’ampleur » qui s’est résumée à une rencontre, le 30 août, avec « toutes les forces politiques représentée au Parlement ». Le programme annonçait des discussions « sur la situation internationale et ses conséquences sur la France » et « sur les nuits d’émeutes que nous avons vécues, avec pour objectif de prendre des décisions pour renforcer l’indépendance de notre pays et rebâtir notre nation et tout ce qui la tient ». « Sortiront de ces travaux des décisions immédiates, des projets et propositions de loi, mais aussi des projets de référendums », ajoutait E. Macron, dans son interview-fleuve au Point.
Tant le format de l’initiative élyséenne que les éléments de communication diffusés à l’issue de la rencontre sont à interroger. L’organisation par le président de la République d’une rencontre à l’abri des regards éloigne nos concitoyen·nes du débat politique qui se doit d’être public. La démocratie ne se construit pas, et ne se vit pas, en catimini. La « chose publique » n’est pas l’affaire de quelqu’un·e·s mais bien l’affaire de tou·te·s.
Il s’est alors agi d’une de ces opérations de communication dont la macronie s’est faite la spécialiste et qui visait à, tout à la fois, décrédibiliser et diviser les forces progressistes, qui s’opposent aux coalitions et aux concertations initiées par le chef de l’État et le gouvernement, et à affaiblir un peu plus la droite, en allant sur son terrain traditionnel. Le choix d’inviter le RN conforte aussi le parti d’extrême droite dans sa démarche de normalisation en en faisant un interlocuteur et, pourquoi pas, un partenaire politique sur certains sujets.
Depuis, Emmanuel Macron a écrit aux chef·fe·s de partis présents le 30 août pour leur faire un retour sur ce temps d’échange : l’opération de communication continue. Se positionnant comme central sur l’échiquier politique, il réduit de nouveau le rôle de la représentation nationale (à l’Assemblée nationale comme au Sénat) à la portion congrue d’une démocratie en crise. Loin des urgences écologiques et sociales qui frappent la France comme le reste du monde, le choix des sujets à traiter dans un calendrier dévoilé prochainement (toujours aux partis) est sans surprise : « immigration, intégration, déconcentration et décentralisation de l’État, responsabilité des mineurs et parentale, solidarité intergénérationnelle, vie démocratique »…
Alors qu’un Français·e sur deux n’est pas parti·e en vacances, que les prix ne cessent d’augmenter, que l’âge du départ à la retraite recule, que les crises écologique, sociale et démocratique que nous traversons se renforcent chaque jour, s’impriment toujours un peu plus dans nos quotidiens, la majorité présidentielle, sous la direction du gouvernement, met en œuvre la prédation capitaliste dans toute sa violence : neuf millions de nos concitoyen·nes continuent de vivre sous le seuil de pauvreté, quand une poignée de super riches étalent la croissance exponentielle de leurs fortunes.
E. Macron défend les entreprises prédatrices qui continuent d’investir dans les énergies carbonées au détriment de la planète et du vivant. La crise écologique n’est pas prise à sa juste mesure, mais le capital est défendu par ses meilleurs serviteurs.
Une rentrée sous le signe de la violence sociale
La séquence n’est malheureusement pas finie, sur le fond comme sur la forme, la rentrée s’annonce dure avec de nombreux débats à venir comme celui de l’immigration, voulu par le ministre de l’Intérieur, ou l’attaque de la protection sociale avec les annonces sur le déremboursement des soins. Après les retraites, il est cohérent pour ce gouvernement de s’attaquer aux autres conquis des travailleurs et travailleuses garantissant leur protection sociale. Après les retraites, il nous faudra rester mobilisés pour défendre le chômage, les allocations familiales ou encore l’accès aux soins.
C’est une guerre idéologique que mène le capital contre nous, et les violences policières jouent un rôle dans ce processus. Tétanisant les esprits des individus comme les dynamiques de contestation sociales, cette violence en grande partie institutionnalisée contribue au recul idéologique voulu par la bourgeoisie. Les images récentes des policiers « protégeant » le Conseil constitutionnel des manifestant·es sont de ce point vue édifiantes : le peuple est considéré comme dangereux par la bourgeoisie et le gouvernement à son service.
En détournant le débat de ces sujets de fond, en créant de fausses polémiques, la macronie cherche à diaboliser et diviser les forces de gauche en instaurant une crise politique permanente dont nous serions les responsables.
On peut aussi s’attendre à ce que le débat sur l’immigration au Parlement soit l’occasion pour la droite et l’extrême droite de multiplier les provocations racistes ; la gauche devra affronter ce débat sans tabou et sans verser dans la punchline à tendance populiste. Nous devrons, sans doute, le réaffirmer : il n’y a pas de « problème d’immigration », il y a un « problème de l’accueil des populations migrantes ». Le débat et nos concitoyen·nes concerné·es par celui-ci méritent mieux qu’un échange de messages sur un réseau social, propriété d’un multi-milliardaire mégalomane.
Face aux convulsions d’un monde toujours plus en crise, nous avons le devoir de construire un projet politique révolutionnaire, porteur de transformation sociale, écologique et démocratique ancré dans le réel, c’est cette visée communiste qui reste intacte et porteuse d’espoir pour l’avenir.
Dans un tel contexte, il est vital de diffuser un esprit combatif dans le pays, et non d’appeler à la passivité, à la complaisance, au « consensus » ou à une « réconciliation ». Nous sommes au cœur d’une grande bataille. Nous avons perdu une manche lors du mouvement des retraites, mais ce n’est certainement pas le moment de désarmer, de communier avec la bourgeoisie dans la célébration des « valeurs républicaines », de la « valeur travail », du ministère de l’Intérieur ou de l’Otan.
Après les multiples rendez-vous électoraux ratés, la responsabilité des militant·es de gauche est de construire le rassemblement des progressistes pour ouvrir le chemin d’une sortie du capitalisme, remettre en cause les rapports de domination. Il est urgent de concevoir des politiques publiques qui répondent à la colère et aux besoins qui ont été exprimés ces derniers mois et qui s’exprimeront sans doute encore dans les semaines et les mois à venir.
Les prochaines élections seront cruciales tant pour défendre l’idée communiste que pour faire vivre, dans tous les hémicycles, les combats de la transformation sociale.
Après la vague des municipales, la droite sera certainement renforcée au Sénat. Et, si de nombreuses politiques publiques doivent être menées à l’échelle nationale, le rôle du Parlement européen (PE), aussi imparfait et, aujourd’hui dominé par les forces les plus à droite de l’Union européenne (UE), soit-il, ne doit pas être négligé. La présence de député.es européen.ne.s progressistes et communistes au PE permet de porter les enjeux de solidarité entre les peuples européens, les combats et la parole des travailleurs, créateurs et producteurs dans une institution qui leur est défavorable. La position des partis de la Nupes qui font le choix de se présenter seuls à ces élections est à tout le moins irresponsable et laisse le champ libre aux forces d’extrême droite et de la droite la plus dure.
Les élections sénatoriales et européennes auraient pu être l’occasion de se rassembler pour agir ensemble à la construction de réponses attendues et espérées. Pas un lieu de batailles politiques ne doit être laissé pour compte. Mais nous savons déjà qu’il s’agit, encore une fois, de rendez-vous manqués. Il faut en revanche poursuivre le combat en s’appuyant sur les forces en présence pour construire ce projet politique et le rassemblement pour le porter.
Les sujets de mobilisation ne manquent pas en cette rentrée : révolution féministe, justice sociale et fiscale, éducation, écologie, logement, inflation et pouvoir d’achat, démocratie, VIe République, protection sociale, service public… Autant de thèmes de prédilection que les partis de la Nupes doivent imposer dans le débat public.
LES SIGNATAIRES
Josselin Aubry
Chloé Beignon
Aurélie Biancarelli-Lopes
Hugo Blossier
Hadrien Bortot
Sophie Bournot
Marie-Pierre Boursier
Juan Francisco Cohu
Nicolas Defoor
Emmanuel Deleplace
Manel D.
Rosa Drif
Anaïs Fley
Théo Froger
Nadine Garcia
Laureen Genthon
Nina Goualier
Antoine Guerreiro
Marie Jay
Noâm Korchi
Carmen Mallejac
Colette Mô
Nuria Moraga
Frank Mouly
Basile Noël
Philippe Pellegrini
Hugo Pompougnac
Katia Ruiz-Berrocal
Lydia Samarbakhsh
Lola Sudreau
Bradley Smith
Clément Vignoles
Armeline Videcoq-Bard
Alix Vinçont
Image par la Cour des comptes sous licence CC BY-NC-SA 2.0.