Immigration : combattre le projet de loi de G. Darmanin


Par Pascal Torre.

Alors que l’inflation, la hausse du coût de la vie, le dérèglement climatique ou la guerre en Ukraine ont occupé le devant de la scène ces derniers mois, l’obsession migratoire, un temps éclipsée, polarise à nouveau le débat avec le dépôt du projet de loi Darmanin relatif à l’immigration et à l’asile.

La droite et l’extrême droite, désormais alignées, multiplient les déclarations pour imposer la réduction de l’immigration et la hausse des expulsions, pour agiter le spectre du « grand remplacement » menaçant une immuable identité nationale, tout en établissant un lien avec la délinquance et l’islam radical. Des éléments de ce langage se retrouvent dans une partie de la gauche, semant la confusion et dessinant une possible cohérence politique très inquiétante.

La profusion de formules haineuses, voire racistes dans le débat public, laisse à penser qu’il suffirait de fermeté et de courage pour modifier le cours des migrations et sortir de l’actuelle impuissance supposée. Cela témoigne de toute évidence d’une incapacité à penser les évolutions du monde, et notamment l’inéluctable montée de ce phénomène. La migration fait partie du monde où nous vivons, devenant un fait banal que rien n’arrête à ce jour. Elle résulte des conflits armés, des inégalités mondiales et du développement économique. Par conséquent, l’Europe et la France ne sauraient y échapper.

« Non, la France ne fait pas preuve d’une excessive générosité et elle n’est pas le pays le plus attractif d’Europe, ce qui devrait plutôt nous inquiéter.« 

Historiquement, la France est une terre d’immigration marquée par des ruptures permanentes, qui invalident toute idée de continuité historique de la population. À 10,2%, les immigrés représentent une part croissante de la population, en progression continue depuis le début du XXIe siècle. Pour autant, cette croissance s’opère à un rythme nettement plus faible que dans la plupart des pays occidentaux. Paris est loin d’avoir pris sa part dans l’accueil des Syriens, des Irakiens ou des Afghans et autres demandeurs d’asile, même si l’accueil chaleureux des Ukrainiens a montré que l’on peut agir différemment. Quant à la délivrance des permis de séjour, en augmentation également, elle est le fait pour moitié d’étudiants et, dans une moindre mesure, de travailleurs qualifiés. Non, la France ne fait pas preuve d’une excessive générosité et elle n’est pas le pays le plus attractif d’Europe, ce qui devrait plutôt nous inquiéter.

Pour autant la fermeture des frontières, la surveillance et la répression demeurent l’alpha et l’oméga des politiques migratoires de notre pays depuis quelques décennies. Les dispositifs anti-migrants se sont multipliés avec la restriction des visas, les murailles de barbelés et la maltraitance, sans aucun résultat. Certains appellent à fermer ou à toujours mieux contrôler les frontières « passoires », entretenant l’illusion de barrières protectrices. Or le besoin de migrer est si pressant que rien ne l’empêche. Depuis 2014, près de 53 000 migrants ont perdu la vie en Méditerranée. Ces choix rendent les migrations plus coûteuses, plus dangereuses, prisonnières des réseaux mafieux de passeurs. L’externalisation du traitement des demandes d’asile et des migrants conduit les pays européens, et notamment la France, à pactiser avec les pires régimes de Turquie, de Tunisie ou de Libye avec son cortège d’horreurs, acculant ces exilés à chercher des voies alternatives toujours plus périlleuses.

Dans le même registre pourtant, il faudrait être « plus ferme » à l’égard des migrants irréguliers ou des déboutés du droit d’asile « qui n’auraient pas vocation à rester sur le territoire national ». Évidemment, nul ne songe à plaider pour la transgression, l’abolition des frontières ou le non-respect de la loi, mais chacun sait que la ligne qui sépare la procédure régulière de la filière illégale est étroite. De nombreux immigrés réguliers sont passés par l’irrégularité ! Que veut-on ? Chasser comme dans les années 1930 des milliers d’immigrés sur simple décision de l’État, sans aucun recours possible ? Il y a des règles de droit et des conventions internationales que la France se doit de respecter. Nul besoin non plus de gloser sur l’inefficacité des OQTF1. En effet, expulser les clandestins est plus facile à dire qu’à faire d’autant qu’ils sont particulièrement actifs dans les secteurs clefs de l’économie comme le nettoyage, la restauration, l’hôtellerie, les travaux publics ou les transports.

Enfin, la maîtrise de l’immigration constituerait un gage de « sécurité pour les Français ». Cette assertion est particulièrement odieuse car les migrants ne sont en rien responsables des insécurités multiples qui pèsent sur notre population. Les attentats revendiqués par l’islam radical sont ici instrumentalisés. S’il faut combattre sans faille cet obscurantisme mortifère, il ne faudrait surtout pas creuser l’écart avec les musulmans de France au sein de la société française. L’objectif des groupes islamistes est précisément de produire une scission.

On le voit, la fuite en avant sécuritaire est sans issue. Il s’agit d’une politique qui va dans le mur.

Et pourtant, le projet de loi Immigration déposé par le gouvernement d’E. Macron va dans ce sens afin de rallier l’électorat de l’extrême droite. Expulsions, limitation des recours, externalisation du contrôle des frontières, durcissement des prérequis pour le séjour, entraves administratives, harcèlement et criminalisation des organisations humanitaires… Tout est fait pour enrayer et contrecarrer les processus d’intégration, déstabilisant ces familles et leurs enfants.

Quand on est de gauche, il n’y a rien à discuter avec une orientation toujours plus à droite.

Quand on est de gauche, il faut mener la bataille idéologique pour imposer d’autres solutions. Certes, il existe un débat sur le droit universel à la mobilité, mais défendre l’idée qu’il faut faire avec l’immigration est incontournable. Cela passe par une politique d’accueil, d’intégration et l’application du droit international. Le respect des idéaux démocratiques et humanitaires n’est en rien attentatoire à notre souveraineté. Cela passe aussi par la prise en compte des urgences engendrées par les conflits internationaux, et la nécessité de prendre sa part dans l’accueil solidaire. Il faut également doter les administrations, notamment préfectorales, de moyens nécessaires pour mettre fin à des procédures qui plongent les immigrés dans l’incertitude tout en favorisant les passerelles entre l’illégalité et la légalité. Supprimer le règlement de Dublin, faciliter l’accès aux visas, généraliser les titres de séjour de dix ans, régulariser tous les travailleurs constituent des gages de stabilité facilitant, dans la durée, l’intégration par l’apprentissage de la langue, la progression scolaire, la formation professionnelle et le travail.

Après la période de Covid, il serait de bon ton de saluer le rôle des immigrés dans le fonctionnement de notre pays et rappeler que leur présence rapporte plus qu’elle ne coûte. Enfin, la lutte contre toutes les discriminations est un puissant moyen de renouveler notre vision de ce qu’est être Français en intégrant les minorités. La question de l’identité n’appartient pas aux identitaires. S’il est vain de vouloir « résister à l’immigration », il est donc possible de l’organiser, et cela constitue une chance pour notre pays.


  1. Obligation de Quitter le Territoire Français – NDLR. ↩︎

Image par Julie Ricard sous Licence Unsplash.


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