Par Patrick Le Hyaric.
Cet article du 19 juiletlet 2023 est extrait de la lettre hebdomadaire de Patrick Le Hyaric. Cliquez ici pour lire la lettre de cette semaine en intégralité et ici pour vous y abonner.
La vraie nature des lourdes décisions de la dernière réunion de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) qui s’est tenue à Vilnius les 11 et 12 juillet est cachée aux citoyens européens. Elles ont en effet été présentées, à l’instar de l’éditorial de nos confrères du Monde daté du 13 juillet, comme une nouvelle « occasion historique manquée » de faire entrer l’Ukraine dans l’OTAN. C’est, en l’espèce, la communication de la ligne générale du bureau politique de l’influent parti de la guerre qu’est l’OTAN, qui n’a de cesse, à travers le monde, d’exciter les foules à l’acceptation de la guerre en Ukraine, voire à son élargissement et à la militarisation du monde.
Il s’agit de banaliser la guerre, de la rendre quasiment naturelle, découlant de l’ordre des choses. Peu importe les morts, les vies brisées, les populations déplacées, l’avenir amputé des enfants en Ukraine et partout où, aujourd’hui, une centaine de guerres et de conflits meurtriers ensanglantent le monde.
Nous manquerions à notre devoir en oubliant un seul instant la terrible responsabilité de M. Poutine et de son régime dans l’agression militaire du peuple ukrainien. Nous y manquerions tout autant en niant, sans excuser quiconque, le cheminement qui y a conduit, de même que le refus des États membres de l’OTAN de se saisir, ces derniers mois, des offres de pression sur V. Poutine formulées par de nombreux pays, dont la Chine, le Brésil et plusieurs pays africains, ou personnalités comme le pape François.
En vérité, le projet de l’OTAN n’est pas la paix. Cette organisation est le bras armé, combiné au bras monétaire que constitue le dollar, d’une reconfiguration du monde au service du capitalisme, particulièrement du capitalisme nord-américain.
Aucun citoyen du monde, sur quelque continent que ce soit, n’a le moindre intérêt à suivre ou à rester passif face à ces cracheurs de feu et de bombes. Seuls les conglomérats industriels ou numériques et les groupes de l’armement et de la finance y trouvent leur compte, sur le dos des travailleuses et travailleurs du monde entier.
Maintenir l’état de guerre, c’est maintenir la soumission, les dominations et l’exploitation capitalistes. La campagne idéologique et médiatique en faveur de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN camoufle le fond des inquiétantes décisions du sommet de Vilnius.
En effet, tout le monde sait, y compris à la rédaction du Monde, que le règlement de l’Alliance atlantique lui interdit d’accueillir un pays en guerre. Et une telle adhésion conduirait de facto à déclarer les pays de l’OTAN en guerre contre la Russie, par le truchement de l’article 5 de leur traité faisant obligation aux États membres de venir en aide à un pays agressé. Autant dire que cela déclencherait la Troisième Guerre mondiale.
En déclarant abruptement que l’Ukraine ne remplit pas les conditions de « démocratisation » pour être acceptée dans le seul bloc militaire au monde qui existe de nos jours, le président des États-Unis a dû lui-même calmer le jeu. L’expression qui figure dans le communiqué final du sommet évoque ainsi la nécessité de « réformes supplémentaires requises sur le plan démocratique ».
Mais cette décision est un trompe-l’œil. Elle constitue une ambiguïté juridique visant à empêcher le pouvoir russe de considérer l’OTAN en guerre contre son pays. Ce paravent n’enlève rien pourtant à la dangerosité de la situation. En effet, l’Ukraine bénéficie désormais du statut « d’invitée » dans l’Alliance, et un « conseil Otan-Ukraine » est créé. Autrement dit, un pas considérable vers le pire est franchi, masqué par la fable des regrets sur la non-adhésion.
L’Ukraine n’est certes pas entrée officiellement dans l’OTAN, mais l’OTAN est bien entrée en Ukraine. Ainsi, la porte est ouverte pour que la Pologne et d’autres assurent, avec l’accord tacite des États-Unis, la formation des soldats et pilotes des avions ou chars fournis par l’Alliance ainsi qu’à l’envoi de troupes sur le sol ukrainien sans engager formellement l’OTAN, car, selon le communiqué final, l’Ukraine est « devenue de plus en plus interopérable et politiquement intégrée à l’Alliance ».
Dans la foulée, la nouvelle aide militaire décidée est l’exact contraire d’un chemin de détente et de paix. À quoi vont servir les missiles Scalp d’une portée de 250 km dont la fourniture vient d’être actée, dans le secret de son château, par l’omniprésident E. Macron ? On a du mal à croire qu’il s’agit là d’engins « défensifs ». Quel objectif vise l’incroyable décision des États-Unis d’envoyer à l’Ukraine des armes à sous-munitions – de terrifiantes bombes qui libèrent de manière indiscriminée une multitude de petits explosifs pouvant causer de terribles dommages aux civils. Ces engins de mort sont strictement interdits, depuis 2008, selon les termes de la convention des Nations unies sur les armes à sous-munitions, dits Traité d’Oslo* dont plusieurs pays membres de l’OTAN, parmi lesquels la France, sont signataires. Et, Poutine répond qu’il en utilisera aussi ! La bêtise et les intérêts des marchands d’armes gouvernent ce monde sans considération pour la vie humaine et l’environnement.
La grande presse et les chancelleries ont banalisé l’adhésion de la Finlande à l’OTAN, et maintenant de la Suède. Or, désormais, la frontière de l’alliance militaire occidentale s’est rapprochée de moins de 150 km de Saint-Pétersbourg. Et la mer Baltique est devenue une mer de l’OTAN à laquelle la Russie n’aura plus qu’un accès limité.
Dans ce panorama, il faut se garder de méconnaître le rôle ambigu de la Turquie. L’autocrate d’Ankara n’a levé son veto à l’adhésion de la Suède à l’organisation nord-atlantique qu’au terme d’un marchandage de maquignons au détriment du peuple kurde et de ses forces démocratiques et du PKK**, de la livraison d’avions F-16 par les États-Unis, de la remise en liberté (contre l’avis de Moscou) des cinq militaires du sinistre bataillon Azov jusque-là retenus en Turquie. Prenant par surprise tout ce beau monde et ne reculant devant rien, R. T. Erdogan a même demandé la reprise des négociations pour l’adhésion de son pays à l’Union européenne (UE).
Cette réunion de l’OTAN montre une nouvelle fois le degré d’ébullition d’un capitalisme financier mondialisé, de plus en plus militarisé, au sein duquel l’occident capitaliste cherche à retrouver son hégémonie. La tectonique des plaques géopolitiques mondiales secoue violemment la planète.
C’est à la lumière de cette nouvelle « géopolitique » qu’il faut comprendre la loi française de programmation militaire consacrant une augmentation de 40 % des dépenses – conformément aux décisions de l’OTAN exigeant de chacun de ses États membres une majoration substantielle de son budget de la défense, bien au-delà des 2 % des richesses produites précédemment décrétés.
Pendant ce temps, les gouvernements ne cessent de faire croire que l’argent manque pour les services publics et la sécurité sociale, l’hôpital et l’école ou pour la transition environnementale et l’aide aux jeunes des quartiers populaires.
Les grands stratèges de l’occidentalisme capitaliste considèrent qu’il faut effacer le beau et puissant mot de « paix » des imaginaires. Aucune demande politique ou diplomatique n’a été adressée à la Russie en lien avec l’ONU ou en s’associant soit avec la Chine ou l’Inde, soit avec le pape François ou le Brésil, soit avec les présidents sud-africain et sénégalais ou le Mexique qui ont fait des offres de discussion en direction de V. Poutine. Au contraire, l’ONU est tenue à l’écart de toute médiation.
Il n’y a pourtant pas d’autres solutions pour gagner la paix que de préparer la paix.
Vouloir gagner la guerre, c’est contribuer à la généraliser et à la faire perdurer sur le dos du peuple ukrainien en premier lieu et au bout du compte, sur celui de tous les peuples du monde qui le paieront en sacrifices et restrictions des libertés, si ce n’est par une implication forcée dans une escalade immaîtrisable. En cela, l’inadmissible décision de V. Poutine de déclencher la guerre contre le peuple ukrainien donne de la force au parti de la guerre et au complexe militaro-industriel mondial contre les citoyens épris de paix, écrasés par une guerre idéologique pouvant mener au pire.
C’est ce chemin miné que propose le long document – caché aux peuples – adopté au sommet de Vilnius-. Son nom de baptême : « Approche à 360 degrés. » Il constitue un saut qualificatif dangereux de la stratégie « otanienne ».
Outre la décision d’augmenter le volume de la force de réaction rapide de l’OTAN, en passant de 40 000 à 300 000 soldats en Europe, le texte explicite des plans visant à « assurer le renforcement en temps voulu de tous les alliés ; conformément à l’approche à 360 degrés. » « Nous nous sommes engagés à fournir toutes les ressources nécessaires et à exercer régulièrement les plans afin d’être prêts à une défense collective de haute intensité et multi-domaine ». Il s’agit bien d’un projet global de guerre.
L’accent est mis sur la Chine, accusée de tenter de « contrôler des secteurs technologiques et industriels clés, des infrastructures essentielles, des matériaux stratégiques et des chaînes d’approvisionnement ». Cette phrase dit en vérité tout des buts de guerre réels de l’OTAN. Et lorsque, un peu plus loin, le document insiste sur le maintien d’un « ordre international fondé sur des règles », on comprend qu’il s’agit de celle du capitalisme et d’un « ordre » où chaque pays doit se soumettre à la puissance de l’impérium nord-américain.
C’est dans cet objectif que l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord s’est transformée en un puissant outil affirmant ses intérêts et ses « valeurs » sur toute l’étendue du monde.
L’« approche à 360 degrés » considère que « la région de la mer Noire revêt une importance stratégique pour l’Alliance » et poursuit ainsi : « Le Moyen-Orient et l’Afrique sont des régions d’intérêt stratégique… La région Inde-Pacifique est importante pour l’OTAN. »
On se demande par quelle lecture de cartes l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient, l’Inde et le Pacifique seraient partie intégrante de l’Atlantique Nord. Aucune ! Sauf celle de la volonté de l’occident capitaliste dans lequel vivra d’ici 10 ans une minorité de la population mondiale et qui produira à peine 20 % des richesses mondiales. Tel est l’enjeu. C’est un combat intra-capitaliste dans lequel les ouvrières et les ouvriers du monde entier sont pris pour des fantassins et de la chair à canon. Insupportable !
Les peuples doivent le savoir. Les peuples doivent prendre connaissance du point de dangerosité auquel poussent les penseurs et planificateurs de guerre impérialiste, dont les rédacteurs de ce récent document de Vilnius qui fait, sans équivoque, référence à la guerre nucléaire. « Nous fournirons individuellement et collectivement toute la gamme des forces, capacités, plans, ressources, moyens et infrastructures nécessaires à la dissuasion et à la défense, y compris pour une guerre de haute intensité et multi-domaine contre des concurrents dotés de l’arme nucléaire », y est-il écrit. « En conséquence, nous renforcerons la formation et les exercices qui simulent la dimension conventionnelle et, pour les alliés concernés [autrement dit, la France en Europe,], la dimension nucléaire d’une crise ou d’un conflit, facilitant une plus grande cohérence entre composantes conventionnelles et nucléaires du dispositif de dissuasion et de défense de l’OTAN dans tous les domaines et tout le spectre des conflits (1). » Ainsi les dirigeants de ce monde, de V. Poutine qui déploie des armes nucléaires en Biélorussie à J. Biden en passant par E. Macron, envisagent froidement l’utilisation de la bombe atomique pour régler les conflits.
À l’unisson, les peuples doivent se manifester : Halte là ! Halte aux projets d’un anéantissement en quelques minutes de l’humanité !
Ils doivent le faire en s’appuyant sur les articles 33 à 38 du chapitre 6, de la charte des Nations unies, indiquant que le Conseil de sécurité de l’ONU doit user de son autorité pour garantir un règlement politique des différends en particulier lorsqu’ils menacent la sécurité internationale.
Ils doivent le faire, car le règlement des grandes questions vitales comme la lutte contre le réchauffement climatique, la santé, le combat contre la misère et les inégalités appellent non pas les tensions, mais des coopérations renforcées et donc un monde paix et désarmé.
Ils doivent le faire d’autant plus que l’escalade militaire va de pair avec l’escalade des attaques contre les droits sociaux, les salaires, l’emploi et une hausse des prix asphyxiante pour les foyers populaires.
Ils doivent le faire avant qu’on veuille définitivement les faire taire. Les mandataires du capital international savent que les travailleuses et travailleurs ne supportent plus les sacrifices au nom du profit de quelques-uns et de la course aux armements.
Les dirigeants occidentaux ont donc tout prévu. Et, ils parlent clair ! Ils écrivent qu’il est indispensable de « renforcer notre capacité nationale et collective à assurer la continuité du gouvernement », de « permettre un soutien civil aux opérations militaires », et ils n’hésitent pas à évoquer une clause de l’article 5 du traité contre les opposants des gouvernements, tels que les « acteurs non étatiques » qui prendraient « pour cible nos institutions politiques, nos infrastructures essentielles, nos sociétés, nos systèmes démocratiques, nos économies et la sécurité des citoyens ».
MM. Darmanin et Macron ont déjà commencé en interdisant certaines manifestations, en utilisant la police (jusqu’au GIGN***) pour contrôler les quartiers populaires, en laissant se développer la répression syndicale ou associative comme celle qui touche les militants écologistes, en menaçant la Ligue des droits de l’homme (LDH), tout en tentant de diviser la gauche et les progressistes. Où est, d’ailleurs, la fameuse République de ces gens du pouvoir lorsque le président signe en catimini un tel texte de l’OTAN, sans en référer ni au peuple ni aux parlementaires ?
La peur et la folie des classes dirigeantes peuvent nous pousser dans l’abîme.
Il est urgent de les arrêter. Porter à la connaissance d’un maximum de citoyennes et de citoyens les affreuses conclusions du sommet de Vilnius serait déjà l’un des moyens d’une prise de conscience et d’actions pour la paix.
Notre choix n’est ni V. Poutine, responsable d’une tragédie au cœur de l’Europe, ni l’OTAN qui utilise l’opportunité, qui lui est ainsi offerte, pour tenter d’enrayer le déclin occidental. Contrairement aux commentaires légers de certains plateaux de télévision, nos applaudissements, ne vont ni à la fermeture du couloir céréalier par les autorités russes ni aux bombardements de pont par l’armée ukrainienne avec les armements fournis par les pays membres de l’OTAN. Ceux qui en paient le prix fort sont les citoyens, les travailleurs ukrainiens, comme les travailleurs russes, américains, européens et toutes celles et ceux qui, dans les pays en développement risque de mourir de faim.
Notre choix c’est de rechercher, par tous les moyens, le chemin qui mène à la paix.
Notre choix n’est pas réduit à celui de l’intensification de la guerre ou de la capitulation.
Notre choix c’est la recherche d’un cessez-le-feu, d’une négociation pour une paix durable accompagnée de la construction d’un mécanisme de sécurité collective et de coopération pour les peuples d’Europe et du monde. Notre choix est de cesser l’augmentation des dépenses d’armement afin de combattre la misère et la pauvreté qui se répandent, les inégalités et la destruction des sécurités sociale, alimentaire et humaine.
À la veille de la commémoration de l’assassinat de Jean Jaurès, le 31 juillet prochain, nous lui restons fidèles et, avec lui, nous redisons avec conviction que « l’affirmation de la paix est le plus grand des combats ».
Patrick Le Hyaric
19 juillet 2023
*Le Traité d’Oslo (Convention on Cluster Munitions, CCM) interdit toute production, tout usage, transfert et stockage de bombes à sous-munitions (BASM). Adopté le 30 mai 2008, il a été signé le 3 décembre 2008 d’abord par 107 pays et est entré en vigueur le 1er aout 2010. Il compte aujourd’hui 111 États parties et 12 signataires. La onzième réunion internationale des parties doit se tenir du 11 au 14 septembre prochain à Genève. Voir Clusterconvention.org.
**Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) fondé en 1978 en Turquie. Sur la lutte du peuple kurde pour ses droits, lire Sylvie Jan, Pascal Torre, La Réponse kurde, Éditions France-Kurdistan, 2014 [2e éd. 2015].
(1) Voir texte complet, en français, ici.
***Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale
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