Après le meurtre de Nahel, gagner la justice pour obtenir la paix


Par Manel Djadoun.

Dans la matinée du mardi 27 juin, un policier tire à bout portant sur un mineur, de sang froid, après avoir crié « Je vais te mettre une balle dans la tête ». Grâce à une vidéo prise par un passant, ce meurtre devient un symbole et déclenche une prise de conscience massive. Il révèle au monde entier, qu’en France, des jeunes sont tués par la police, comme si leur couleur de peau, leur quartier ou leur appartenance aux classes populaires les condamnait à ce destin. Sans les images diffusées sur les réseaux sociaux, la version mensongère des deux policiers, scandaleusement relayée par des médias comme BFM TV, aurait été une fois de plus tenue pour vraie.
Très vite, une autre question se pose : combien de faits similaires sont passés sous silence sans que jamais justice ne soit rendue ? Aujourd’hui, le nom et le visage de Nahel s’ajoutent à la trop longue liste des victimes de crimes policiers. Toutes nos pensées vont d’abord à sa famille et à ses proches qui s’engagent déjà dans le difficile combat pour la vérité et la justice.

Aujourd’hui comme hier, la justice et la vérité sont les conditions de la paix. En effet, ce crime a légitimement suscité l’indignation et la colère dans le peuple français, notamment dans les quartiers populaires. D’abord à Nanterre, puis dans plus d’une dizaine de villes, des émeutes1 ont éclaté. Ces formes de protestation ne sont pas nouvelles dans l’histoire des quartiers populaires. Comme souvent, elles sont le résultat de l’abandon des classes populaires par la République, de la dégradation des liens sociaux dans les quartiers, du climat de tension qui y règne entre forces de l’ordre et jeunes, du racisme grandissant dans notre pays. À cela s’ajoutent la discrimination sur le marché du travail, le cumul de problèmes comme le chômage, la drogue et la criminalité liés à la ségrégation territoriale.

Cette escalade de violence est aussi la conséquence de décennies de discours et de politiques dirigés contre les quartiers populaires et leurs populations. Théories fumeuses de l’« ensauvagement », de la « crise d’intégration », des « territoires perdus de la République », des « séparatismes »… Toute cette idéologie prétend qu’il s’agit d’espaces à conquérir pour y restaurer “l’ordre”. Cette doctrine a notamment conduit à la surveillance démesurée de ces territoires, à la création d’unités de police spécialisées telles que la Brigade anti-criminalité (BAC), à l’intensification des contrôles au faciès, à la militarisation de l’armement policier et à la banalisation des palpations et des humiliations quotidiennes. Ce sont ces logiques abusives qui ont troublé et fracturé la paix sociale en France.

Concernant le meurtre de Nahel, le simple fait qu’un policier se sente légitime à dégainer dans cette situation est une conséquence des politiques liberticides, adoptées notamment sous le quinquennat de F. Hollande. La loi Urvoas-Cazeneuve de 2017 sur le refus d’obtempérer floute les règles qui encadrent le port d’armes par la police et ouvre la voie à de tels drames. En effet, entre 2002 et 2017, c’est-à-dire en 15 ans, on dénombrait 17 personnes tuées par la police suite à un refus d’obtempérer. Entre 2017 et 2022, en seulement 5 ans donc, on en a relevé 30, presque le double. En 2022, 13 personnes ont été tuées par la police lors de contrôles routiers. C’est six fois plus que l’année précédente.

Certains politiciens, à l’image de Marine Le Pen, voudraient même aller plus loin, en créant dans la loi une « présomption de légitime défense » pour les policiers. On voit bien quel chaos une telle mesure d’impunité créerait dans le pays. Si demain une telle loi était votée, même avec une vidéo comme celle de Nanterre, le policier en bénéficierait dans le cadre de l’information judiciaire qui vient d’être ouverte ! Certains groupes structurés au sein de la police sont sur la même longueur d’onde et se font menaçants, appelant de manière à peine voilée à la sédition : « Demain nous serons en résistance et le gouvernement devra en prendre conscience. »

Plus largement, les violences policières et, en réaction, les affrontements avec les forces de l’ordre sont au cœur des derniers mouvements sociaux : les manifestations contre la loi Travail, le mouvement des Gilets jaunes, les marches pour Adama, la mobilisation contre la réforme des retraites, les mouvements écologiques comme Extinction Rebellion et, plus récemment, la manifestation de Sainte-Soline et la procédure engagée contre les Soulèvements de la Terre. Tous ces mouvements, qui ont fait l’expérience commune des violences policières, des humiliations, du matraquage, des mutilations par tirs de LBD soulignent la nécessité d’y mettre à présent un terme.

On constate aussi une extension des émeutes sur tout le territoire, avec des formes d’expressions communes à tous les quartiers (dégradation de lieux de symbole du pouvoir, destruction d’équipements publics, de voitures, poubelles brûlées, pillages…). Les limites de ces formes d’action nihilistes apparaissent clairement : les jeunes s’attaquent principalement aux quartiers où ils vivent, provoquant des destructions supplémentaires dans leurs lieux de vie déjà défavorisés. Comment ne pas y voir le rapport conflictuel de ces jeunes à leur quartier, qui représente toute leur vie mais aussi le seul horizon qui leur est promis ? Depuis hier, 29 juin, ces actions se sont étendues à Paris et aux centres des grandes villes, qui ne sont désormais pas épargnés par les incendies et les dégradations.

Dans ce climat de type insurrectionnel, le même jour, des milliers de personnes se sont rassemblées pour une marche blanche à Nanterre, démontrant qu’il existe une détermination dans la rue à ne rien céder face aux exigences de justice, de démocratie et d’égalité. Il est nécessaire que ces milliers de personnes prennent conscience de leur force politique légitime et en fassent l’expérience pour déjouer la répression policière. C’est au mouvement de choisir comment se confronter à la violence policière et sur quelles bases stratégiques. La pertinence de ces choix s’évalue en fonction des avancées ou des reculs qui en découlent pour le mouvement social et le peuple. Le seul impératif est d’affirmer notre solidarité avec toutes les composantes de notre camp social, et de ne rejeter que ce qui lui nuit.

Il est maintenant urgent de proposer des mots d’ordre à la révolte engendrée par le meurtre de Nahel, qui lui permettent de s’exprimer au nom du plus grand nombre et rallier le reste de la population. Sortir de l’isolement et du désespoir est essentiel. S’il est déjà possible d’exiger la justice pour toutes les victimes de la police, il faudra aussi que le peuple retire très vite le pouvoir des mains d’E. Macron et de G. Darmanin, afin d’en finir avec les logiques qui ont permis, puis couvert, les violences policières.

Tout en étant attentifs à l’évolution des revendications, nous pouvons avancer les mots d’ordre suivants :

  1. Dépayser l’enquête judiciaire sur le policier pour que des magistrats d’un autre tribunal puissent enquêter de manière objective, indépendante et impartiale.
  2. Annuler l’action judiciaire contre Nahel. 
  3. Convoquer une convention citoyenne sur la réforme de la police française dans les plus brefs délais, et rendre ses conclusions dans un délai de six mois, au terme d’un grand débat national.

1 MUCCHIELLI Laurent, « L’émeute, forme élémentaire de la protestation », Cités, 2012/2 (n° 50), p. 49-56. DOI : 10.3917/cite.050.0049. URL : https://www.cairn.info/revue-cites-2012-2-page-49.htm

Image par le Collectif Justice pour Nahel.


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