Premier anniversaire de la Nupes : retour sur les élections législatives qui l’ont vue naître

Les député-es de la Nupes le 8 juin 2022 devant l'Assemblée nationale

Par Clément Vignoles.

Alors que la Nupes souffle sa première bougie et que les discussions stratégiques à son sujet vont bon train, que ce soit sur un plan très large (« qu’en faire ? ») ou plus restreint et électoral (une liste unique pour les élections européennes de 2024 ou non ?), il peut être intéressant de revenir sur les résultats des législatives de 2022, notamment parce que certains s’en servent, d’une façon erronée, pour affirmer (en résumé) que la Nupes aurait été un pétard mouillé annoncé en fanfare mais dont le résultat immédiat n’aurait pas été à la hauteur, preuve de son inefficacité intrinsèque. Je prendrai pour exemples deux propos, présents dans le texte adopté au dernier congrès du PCF :

  • « La Nupes ne retrouve pas [aux législatives de 2022] les scores cumulés des quatre candidatures de gauche à la présidentielle. »
  • « Le total des voix recueillies [par la Nupes] ne progresse pas sur le total des suffrages de gauche de 2017. »

Je vais donc m’atteler ici à comparer les résultats des législatives de 2022 avec ceux de la présidentielle de la même année et avec ceux des législatives de 2017.

Le regroupement des résultats

Une première difficulté s’impose quand on veut comparer sérieusement législatives et présidentielles : il s’agit des différences d’étiquettes. En effet, si pour les présidentielles, on peut compter sur un panel de candidatures allant de 6 (1965) à 16 (2002), ce qui permet des regroupements aisés et concentre les votes, les législatives sont souvent un concours Lépine des étiquettes (attribuées par le ministère de l’intérieur). Je vous propose donc une classification, qui est sans doute critiquable, mais qui permet au moins de savoir de quoi il est question ici :

RegroupementsÉtiquettes
pour les législatives
2017
Candidatures
pour la présidentielle
2022
Étiquettes
pour les législatives
2022
Extrême-gaucheExtrême-gaucheN.Arthaud et P. PoutouDivers extrême-gauche
GaucheLFI, PS, Écologistes, PCF, Divers gauche, PRGF. Roussel, J.-L. Mélenchon, Y. Jadot et A. HidalgoNupes, Divers gauche, Écologistes, PRG
Majorité présidentielleLREM, ModemE. MacronEnsemble, Divers centre
Autres droitesLR, UDI, Divers droiteV. PécresseLR, Divers droite, UDI
Extrême-droiteFN, DLF, Extrême-droiteN. Dupont-Aignan, M. Le Pen et E. ZemmourRN, Reconquête, Droite souverainiste, Divers extrême-droite
InclassableDivers, RégionalisteJ. LassalleRégionaliste, Divers

On voit donc déjà ici que si l’on compare les « scores cumulés des quatre candidatures de gauche à la présidentielle » de 2022 avec le résultat de la Nupes aux législatives de la même année, on « oublie » des suffrages de gauche (Divers gauche, Écologistes, PRG). Idem si l’on compare « le total des suffrages de gauche en 2017 » et « le total des voix recueillies par la Nupes » en 2022.

Les résultats par regroupement

On s’attardera ici sur 4 regroupements : « Gauche », « Majorité présidentielle », « Autres droites » et « Extrême-droite », pour gagner en lisibilité et se concentrer sur les regroupements qui ont connu des évolutions notables entre les législatives de 2017 et celles de 2022.Les chiffres donnés ci-dessous ne concernent que les premiers tours des élections. En effet, il ne me semble pas intéressant de commenter les seconds tours pour discuter du sujet traité ici.

Législatives 2017GaucheMajorité présidentielleAutres droitesExtrême-droite
Voix recueillies6 240 9057 323 4964 885 9973 324 194
Voix recueillies en % des suffrages exprimés27,76 %32,58 %21,74 %14,79 %
Voix recueillies en % des inscrit·es13,12 %15,39 %10,27 %6,99 %
Législatives 2017
Présidentielle 2022GaucheMajorité présidentielleAutres droitesExtrême-droite
Voix recueillies10 759 2739 783 0581 679 00111 344 230
Voix recueillies en % des suffrages exprimés31,04 %28,22 %4,84 %32,72 %
Voix recueillies en % des inscrit·es21,98 %19,98 %3,43 %23,17 %
Présidentielle 2022
Législatives 2022GaucheMajorité présidentielleAutres droitesExtrême-droite
Voix recueillies7 284 6566 140 973 099 2845 469 372
Voix recueillies en % des suffrages exprimés32,41 %27,32 %13,79 %24,33 %
Voix recueillies en % des inscrit·es14,88 %12,54 %6,33 %11,17 %
Législatives 2022
Évolution des voix recueillies entre deux électionsGaucheMajorité présidentielleAutres droitesExtrême-droite
Présidentielle 2022 / Législatives 2022-32,29 %-37,23 %+84,59 %-51,79 %
Législatives 2017 /
Législatives 2022
+16,72 %-16,15 %-36,57 %+64,53 %
Évolution des voix recueillies entre deux élections

Une présentation des résultats

Si on en revient à la citation concernant la comparaison entre la présidentielle de 2022 et les législatives de la même année (« La Nupes ne retrouve pas [aux législatives de 2022] les scores cumulés des quatre candidatures de gauche à la présidentielle »), on note déjà une imprécision, puisqu’on ne sait pas s’il est question ici :

  • des voix recueillies dans l’absolu,
  • ou des voix recueillies en pourcentage des suffrages exprimés,
  • ou des voix recueillies en pourcentage des inscrit·es,

bien que spontanément, je pencherais pour les voix recueillies en pourcentage des suffrages exprimés.

Dans le premier cas (voix recueillies dans l’absolu), l’affirmation est vraie, sauf qu’il convient de rappeler que le taux de participation aux élections législatives a toujours été significativement plus faible qu’aux présidentielles, lorsque ces scrutins avaient lieu l’un après l’autre. Il est donc normal que l’on constate une décrue importante en termes de voix recueillies d’une élection à l’autre, et avancer que cela serait exceptionnel et lourd de sens est faux. On peut quand même relever que la décrue du regroupement « Gauche » est la plus faible (on constate certes une augmentation des suffrages du côté du regroupement « Autres droites », mais cela est davantage lié à un résultat catastrophique de V. Pécresse à la présidentielle qu’à un résultat héroïque dudit regroupement aux législatives).

Dans le second cas (voix obtenues en pourcentage des suffrages exprimés), l’affirmation est fausse : on constate une augmentation de 1,37 point de pourcentage.

Dans le troisième cas (voix obtenues en pourcentage des inscrit-e-s), l’affirmation est vraie, mais pour la même raison que dans le premier cas : la chute très importante de la participation en général.

On est donc ici dans le cas d’un propos vague, qui peut prendre plusieurs sens possibles, mais qui est faux dans celui auquel on (en tout cas pour ma part) pense spontanément (les voix obtenues en pourcentage des suffrages exprimés).

À propos de la citation concernant la comparaison entre législatives de 2017 et législatives de 2022 (« Le total des voix recueillies [par la Nupes] ne progresse pas sur le total des suffrages de gauche de 2017 »), c’est vrai, sauf que comme j’ai essayé de le montrer dans la partie « Le regroupement des résultats », comparer « Gauche » en 2017 et Nupes en 2022 n’est pas rigoureux. Il est plus sérieux de comparer l’évolution du regroupement « Gauche » entre 2017 et 2022, et il fait partie des deux regroupements à augmenter son nombre de voix recueillies, à hauteur de plus d’un million.

Que faire de ces résultats ?

Si on ne peut pas dire avec certitude que ces améliorations électorales soient strictement le fait de la constitution de la Nupes (elles pourraient être dues pour partie à un « retour à la maison » d’électeurs et électrices de gauche ayant voté LREM/Modem en 2017, des défaites comme celles de R. Ferrand ou C. Castaner en 2022 allant dans ce sens ; et/ou pour partie à la simple évolution du corps électoral), cette hypothèse reste toujours plus crédible que des propos au doigt mouillé avançant qu’elle n’a abouti à rien, alors que le résultat final est bien positif (augmentation significative des voix obtenues entre législatives de 2017 et de 2022, moindre perte que les autres regroupements entre présidentielle et législatives en 2022).

Il serait de meilleur ton d’avancer que le problème central d’un point de vue électoral reste l’abstention (si le regroupement « Gauche » maintenait son électorat de la présidentielle aux législatives, la victoire y serait acquise), et on ne peut pas sérieusement attendre d’un accord électoral conclu en quelques jours à une poignée de semaines de l’échéance qu’il règle ce problème. Que bien au-delà de l’aspect électoral, l’urgence d’un éventuel élargissement doit se faire en direction de forces qui sont à nos côtés dans le mouvement social en cours, comme le NPA, plutôt qu’en direction de personnes ayant participé au calamiteux quinquennat Hollande. Que les divergences programmatiques (pour rappel, apparemment indépassables quelques jours avant la constitution de la Nupes) peuvent se régler sans difficulté par un outil au programme de la Nupes (le RIC) une fois au pouvoir, même si en réalité, on constate une grande homogénéité de fait dans le travail parlementaire entre les groupes de la Nupes sur les questions essentielles (économiques, sociales et environnementales). Que le renforcement des partis composant la Nupes doit être un objectif essentiel dans les années à venir, pour qui est attaché à cette forme d’organisation, mais que ce renforcement ne pourra pas se faire au détriment de la Nupes, bien au contraire. Tout cela dans l’objectif de sortir de la crise démocratique, écologique et sociale dans laquelle nous nous trouvons, objectif qui a bien plus de valeur que les querelles de boutique alimentées par des arguments sans fondement.


Sources

Législatives 2017

Présidentielle 2022

Législatives 2022

Activité sur l’inter-groupe Nupes à l’Assemblée nationale

Image prise par le groupe parlementaire NUPES.


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