Soutien au peuple Kurde et à toutes les forces démocratiques de Turquie


Par Pascal Torre.

Jamais la Turquie, à l’issue de cette séquence électorale, n’a paru autant divisée. Une faible majorité a fait le choix du statu quo, voire d’une aggravation de l’autoritarisme plutôt que de miser sur une alternance démocratique, certes hypothétique. Cette polarisation extrême constitue l’un des fondements de la politique de R.T. Erdogan depuis son arrivée au pouvoir. D’un côté, une large base sociale et électorale, acquise à la syntaxe turco-islamiste, entend assigner à tous les conduites et les identités à adopter. Elle s’oppose à un immense bloc qui suffoque et subit l’absence de liberté, d’état de droit ainsi qu’une féroce répression.

Des élections placées sous le signe de la violence

Jamais la Turquie, à l’issue de cette séquence électorale, n’a paru autant divisée. Une faible majorité a fait le choix du statu quo, voire d’une aggravation de l’autoritarisme plutôt que de miser sur une alternance démocratique, certes hypothétique. Cette polarisation extrême constitue l’un des fondements de la politique de R.T. Erdogan depuis son arrivée au pouvoir. D’un côté, une large base sociale et électorale, acquise à la syntaxe turco-islamiste, entend assigner à tous les conduites et les identités à adopter. Elle s’oppose à un immense bloc qui suffoque et subit l’absence de liberté, d’état de droit ainsi qu’une féroce répression.

Pour la première fois depuis l’arrivée de R.T. Erdogan au pouvoir, la question de la survie du régime a été posée avec force expliquant l’extrême violence qui a prévalu durant la campagne électorale. Cette menace a été prise au sérieux par l’alliance au pouvoir, constituée des islamo-conservateurs (AKP) et de l’extrême droite (MHP), qui s’est, pour l’occasion, élargie à des organisations islamistes, au passé criminel, comme le Refah ou Hüda-Par. Par ailleurs, les débats qui ont traversé la société ont constamment mis en avant la crise économique, l’inflation, la pauvreté, les inégalités ainsi que les conséquences désastreuses du séisme. Un large consensus s’est dégagé pour considérer que la politique actuelle était un échec.

Pour autant, R.T. Erdogan a été réélu le 28 mai à la suite d’un second tour et son alliance a obtenu la majorité absolue à l’Assemblée de Turquie. En dépit d’un taux de participation très élevé, la volonté de changement n’est pas parvenue à faire tomber le régime. Plusieurs paramètres doivent être pris en compte pour comprendre cet apparent paradoxe qui ne constitue pas une exception à l’échelle planétaire. Les fraudes et les pressions, bien réelles, ne modifient qu’à la marge les enseignements qui peuvent être tirés.

Il n’est pas inutile de rappeler que cette consultation s’est déroulée dans des conditions particulièrement inéquitables. Depuis plusieurs années, une impitoyable terreur blanche frappe les forces démocratiques, notamment le Parti Démocratique des Peuples (HDP) sous le coup d’une procédure d’interdiction. Les arrestations massives ou les révocations d’élus ont affaibli, voire littéralement décapité la troisième force politique du pays. Cette politique qui a enraciné l’autoritarisme, les régressions démocratiques, la destruction de tous les mécanismes de contrôle et d’équilibre ainsi qu’une para-militarisation de l’Etat ne doit pas être sous-estimée. Elle a miné la démocratie et criminalisé les oppositions.

Cette violence s’exprime également par l’accaparement de tous les pouvoirs de l’appareil d’Etat, la privatisation des ressources emprisonnant les populations les plus vulnérables dans des logiques clientélaires de subordination qui étouffent la libre expression. A cela s’ajoute un maillage d’institutions religieuses, du Diyanet aux confréries, qui exerce un contrôle social sur les individus. Enfin, une chape de plomb médiatique a permis à R.T. Erdogan de monopoliser outrageusement cet espace.

R.T. Erdogan : le nationalisme ad nauseam

La réforme constitutionnelle de 2017 qui a permis au président de détenir seul le pouvoir en agissant par décrets a restructuré la vie politique à son avantage. La présidentialisation a favorisé la constitution d’une coalition permettant à l’AKP de gérer les déçus de sa politique en faisant glisser leurs voix vers l’extrême droite ou les islamistes. La colère sociale n’a pas été transférée vers l’opposition expliquant en partie les résultats très élevés des nationalistes dont le programme vise à déchaîner la haine contre les Kurdes et les migrants.

Le socle conservateur sur lequel surfe R.T. Erdogan n’a pas jugé le président sortant sur la base de ses actions récentes mais sur ses réalisations depuis vingt ans en matière d’infrastructures, d’aides sociales et de renforcement du complexe militaro-industriel. R.T. Erdogan a articulé son bilan à une projection, celle d’un pays qui s’est enrichi et a retrouvé sa fierté d’être turc et musulman sunnite. Tout ceci l’a emporté sur la crainte d’un avenir incertain. R.T. Erdogan a nourri sa campagne de ressorts religieux, de références identitaires, a exalté la nation comme seul horizon, faisant du souverainisme de repli et du rejet de l’autre le moteur du conservatisme social. Certes, ce poison nationaliste, exacerbé par une mentalité obsidionale, n’est pas une nouveauté mais il fait désormais consensus, rassure une frange de l’électorat alors que se multiplient les crises multiples et les désordres du monde. Il englobe désormais toutes les forces politiques à l’exception du HDP.

Sur ce terreau nauséeux, R.T. Erdogan et l’extrême droite sont parvenus partiellement à effacer leur bilan calamiteux en polarisant toujours plus la société et en y développant une violence structurelle asphyxiant les alternatives progressistes. La montée du nationalisme est un défi majeur ici comme ailleurs.

Cela n’a pas empêché des forces sociales considérables de se lever pour conjurer la tyrannie. Les combats engagés, avec un immense courage, par la jeunesse, les femmes, les défenseurs des droits humains, les forces progressistes et plus particulièrement les Kurdes sont pour beaucoup dans le refus de l’assujettissement. Partisans d’une mondialisation ouverte, ils et elles sont entrés en rébellion contre R.T. Erdogan exprimant tout à la fois un immense désir de libertés individuelles et de solidarité.

CHP et HDP, un espoir déçu

La défaite de K. Kiliçdaroglu (CHP) a créé de la déception, de la sidération chez ceux qui avaient espéré un retour à la démocratie et à l’état de droit. Ils ont repris le combat.

L’alliance, pour le moins hétéroclite, autour du leader du CHP avait suscité beaucoup d’espoir. Composée de six partis, allant des sociaux-démocrates kémalistes en passant par des figures dissidentes de l’AKP, d’islamistes et d’une formation d’extrême droite, elle n’a pas totalement convaincu d’autant que les alternatives progressistes étaient largement absentes de leur programme. La crainte d’une instabilité ultérieure et d’un saut dans le vide ont largement été instrumentalisés par R.T. Erdogan.

Si la campagne du premier tour de K. Kiliçdaroglu a marqué les esprits par une volonté d’apaisement et le rejet de la polarisation, celle du second tour, motivée par le parti pris de capter l’électorat ultra-nationaliste, a conduit à des inflexions pitoyables et condamnables. Adoptant le ton et les thèmes de l’extrême droite xénophobe, il s’en est pris aux migrants et aux négociations de paix initiées par le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK). Ces crispations inquiétantes ont de ce fait éclipsé la crise économique et les reculs démocratiques.

L’autre composante de l’opposition, le Parti Démocratique des Peuples (HDP) n’a pas été épargnée pendant ce scrutin. Les arrestations de dirigeants et de militants se sont amplifiées. Sous le coup d’une procédure d’interdiction, il a dû se présenter sous les couleurs du « Parti de la Gauche Verte » déboussolant ses électeurs tandis qu’à l’ouest il a subi la concurrence déloyale du Parti des Travailleurs de Turquie (TIP) lui faisant perdre douze sièges à l’Assemblée.

Avec un sens des responsabilités aigu, il a fait le choix de ne pas présenter de candidat à la présidentielle afin de battre R.T. Erdogan. Il avait cependant aussi conscience qu’un tel choix rétrécissait l’offre politique et donnait l’occasion à R.T. Erdogan de diaboliser ce soutien en accusant le candidat du CHP d’être celui du PKK. Les conséquences ne furent pas négligeables et chacun doit prendre la mesure des incidences désastreuses et contre-productives du maintien infondé du PKK sur la liste des organisations terroristes.

Si le HDP conserve un ancrage populaire et démocratique avec ses 61 députés sur lesquelles les forces démocratiques turques pourront s’appuyer, il subit un recul qui assombrit l’horizon. Ce revers ne manquera pas d’entraîner de lourdes conséquences. Pour les surmonter, le HDP a d’ores et déjà annoncé la tenue d’un congrès afin de se repenser et de se restructurer dans une unité consolidée.

Après la victoire, l’autocratie en marche

Pris dans l’hubris de sa victoire, l’alliance islamo-nationaliste a déjà repris l’offensive appelant à une reconquête des municipalités perdues dès 2024. R.T. Erdogan dispose d’atouts renforcés pour imposer une Turquie plus religieuse et plus nationaliste mais toujours plus opaque sur le plan économique.

L’institutionnalisation de l’autocratie est déjà en marche. Des procédures d’interdiction des derniers médias indépendants sont engagées comme le bâillonnement de l’opposition ou la destruction des ultimes digues de l’état de droit. Le sort de milliers de prisonniers politiques s’assombrit, soumis à l’arbitraire et sans espoir de sortie. Il en va de même pour les universitaires, les avocats ou les journalistes menacés en Turquie ou exilés.

Encouragé par les nombreux messages de félicitations de ses alliés, R.T. Erdogan ne va pas manquer d’accentuer sa politique étrangère agressive contre les Kurdes du Rojava et d’Irak mais aussi les Arméniens tout en déstabilisant la Méditerranée orientale et l’Europe par un odieux chantage renouvelé aux migrants.

Dans ce nouveau contexte marqué par le maintien au pouvoir des forces populistes, il y a besoin de construire des solidarités réciproques en renforçant notre soutien aux forces progressistes de Turquie et notamment aux Kurdes qui portent un projet pacifiste, progressiste, féministe et écologiste moderne et ouvert sur le monde.

Image par Jeanne Menjoulet sous licence CC BY-ND 2.0.


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