La fin du plastique, ce serait fantastique !


Par Hadrien Bortot.

La seconde réunion de négociation CIN-2 du traité sur la pollution plastique doit se clore le 2 juin à Paris au siège de l’Unesco. Trois autres réunions de négociation doivent avoir lieu d’ici à fin 2024 pour aboutir à un accord en 2025. Un accord a minima pourrait permettre de bannir les polymères et les additifs dangereux pour la santé, tout comme les microplastiques déjà interdits en Europe. Ce serait une avancée significative, mais loin d’être suffisante tant la pollution plastique est un danger pour les écosystèmes.

Deux visions s’affrontent lors de ces négociations : celle d’une « Coalition de haute ambition pour mettre fin à la pollution plastique » autour des pays européens, d’Afrique de l’Ouest, du Japon, du Canada, et d’Océanie, qui porte la limitation et la réduction de la production de plastique comme une nécessité pour lutter contre cette pollution. Un autre groupe de pays parmi lesquels l’Arabie Saoudite, la Chine, la Russie et les États-Unis défend le maintien de la production de plastique et une lutte uniquement contre la pollution. Ainsi par exemple le Sous-secrétaire d’État Américain pour la croissance économique, l’énergie et l’environnement, José W Fernandez a précisé à l’AFP en marge de ces négociations la position américaine, « nous préconisons une approche flexible, par opposition à une approche prescriptive qui dirait voilà ce qu’il faut faire ». « Les États-Unis veulent parvenir à un accord international ambitieux qui mette fin aux rejets dans l’environnement d’ici à 2040 ». Pas un mot sur la nécessaire réduction de la production de plastique par les américains. Il y a une convergence d’intérêt entre les pays producteurs de pétrole et les pays exportateurs de matière plastique.

Philippe Chalmin, économiste libéral spécialiste des matières premières affirme dans un dossier publié par l’Institut Véolia qu’en « 2016, la pétrochimie a utilisé l’équivalent de 17,4 millions de barils de pétrole par jour, soit un peu moins de 20 % de la consommation mondiale de pétrole ». Les lobbyistes du pétrole et de la pétrochimie ont des intérêts juteux à défendre. Le plastique est un marché d’avenir notamment du fait de la transition du marché automobile d’un modèle thermique à électrique. Côté négociation, à l’heure où sont écrites ces lignes les américains et leurs alliés de circonstances ont enlisé depuis deux jours les négociations dans des jeux de procédure. A l’Unesco les pays n’ont pas encore pu parler du fond, ils ne débattent pour l’instant que des règles du vote. L’enjeu est de taille, réduire le poids des pays de l’Union Européenne qui défendent une position commune sur le sujet. Le 27 pays de l’UE représentent numériquement 15 % des 175 participants.

L’Europe et la France font figures de bons élèves sur la question du plastique. En mars 2019, le parlement européen a voté l’interdiction des plastiques à usage unique. Les eurodéputé.es ont également arrêté leur position sur les transferts de déchets le 17 janvier 2023. Le nouveau règlement adopté et qui sera négocié avec les États membres propose ainsi que : « Compte tenu des problèmes que pose la gestion des déchets plastiques dans les pays tiers, l’Union devrait progressivement arrêter de les exporter en dehors de l’Union et des pays de l’AELE. »

Emmanuel Macron en marge des négociations qui ont actuellement lieu à Paris a emboité le pas à ces propositions du parlement européens. Dans une vidéo diffusé le 29 mai, il a appelé à mettre fin au « modèle globalisé et insoutenable » du plastique « qui consiste à produire le plastique en Chine ou dans les pays de l’OCDE, pour ensuite l’exporter sous forme de déchets vers les pays en développement, qui sont pourtant moins bien équipés en systèmes de traitements de déchets. »

Bien entendu, le Président Macron cherche ainsi à se construire une place dans la diplomatie climatique. Il prépare la troisième conférence des Nations unies sur les océans qui aura lieu à Nice en 2025. Ce nouveau sommet international ne pourra réussir sans un accord préalable extrêmement ambitieux sur la question du plastique. D’après l’ONG The Sea cleaners : 90% des espèces marines sont impactées par la pollution plastique : du plancton aux grands prédateurs (soit 3800 espèces au total). Les taux de mortalité causés par des débris plastiques peuvent aller jusqu’à 22 % pour les cétacés et presque 50 % pour les tortues marines.

Il y a urgence à ce qu’une législation contraignante voit le jour à ce sujet. Plus de la moitié des plastiques produits l’ont été depuis l’an 2000. La quantité de plastique produit devrait doubler d’ici à 2050 et tripler en 2060. D’après Greenpeace, l’équivalent d’un camion poubelle de plastique est déversé dans la mer chaque minute. Près de 180 millions de tonnes de plastique (50 % de la production annuelle mondiale), sont des produits à usages uniques. 40 % de la production plastique sert ainsi aux emballages alimentaires. Ces plastiques d’emballage souvent de très mauvaises qualités présentent des traces de PFAS ou substances poly ou perfluoroalkyle responsable de pollution persistante dans l’environnement et particulièrement toxique pour la santé humaine et animale.

Pour certains, cette nouvelle législation pourrait reposer sur l’extension du principe de pollueur payeur comme l’appelle de ses vœux l’ONG Tara Océan. Cette solution si elle apparait de bon sens, ne fait heureusement pas consensus. Dans une tribune récente publiée sur le média en ligne Vert, Flore Berlingen, Autrice et coordinatrice plaidoyer pour En Mode Climat et Charlotte Soubary, responsable du plaidoyer chez Zero Waste France, dénoncent la logique qui vise à faire de la « responsabilité élargie du producteur » une règle mondiale. Pour les signataires de cette tribune : « Ce mécanisme consiste à instaurer une éco-contribution sur chaque emballage ou produit mis sur le marché, qui servira à financer la prise en charge des déchets produits, ainsi que des actions permettant de les réduire. En théorie. »

C’est bien à la source qu’il faut stopper la production des plastiques, l’interdiction des emballages à usage unique, l’obligation de consigne seront bientôt incontournables. Il faut une prise de conscience mondiale que l’ère du jetable est terminée. Pour cela il est d’urgent d’imposer à l’échelle internationale un moratoire immédiat sur tous les plastiques à usage unique (matériel sanitaire exclu) interdisant leur production, leur importation et leur utilisation et d’établir une responsabilité pénale stricte pour les entreprises et les individus responsables de la pollution plastique.

Cette rupture ne doit pas signifier la fin de l’industrie plastique. Il est illusoire de considérer que nous n’en aurions pas besoin. La pandémie de COVID-19 nous a cruellement rappelé cette dépendance. La diplomatie des masques, le jeu des pénuries et des productions concentrées dans quelques États – doivent nous amener à réfléchir à la planification aux échelles régionales et internationales des productions qui sont essentielles et en même temps polluantes.

La question de la lutte contre la pollution plastique, comme celle de la lutte contre le réchauffement climatique, doit aussi nous inviter à penser une économie circulaire en rupture avec les logiques capitalistes. Elle pose au moins trois questions essentielles : Comment gérer ensemble les biens communs ? Comment construire un monde en paix et vivable par la coopération entre États ? Comment sortir de la logique du marché capitaliste pour construire une économie du partage ?

Image par Naja Bertolt Jensen sous Licence Unsplash


Share via
Copy link
Powered by Social Snap