Par Katia Ruiz Berrocal.
Alors que les températures ont battu tous les records de chaleur en Espagne pour un mois d’avril depuis qu’elles sont officiellement enregistrées, à savoir l’année 1961, et qu’il a plu 80 % de moins que d’habitude pour la même période, le problème de la sécheresse s’invite en force dans la campagne électorale débutée le 15 mai 2023, qui déboucheront sur des élections municipales et « autonomiques » (régionales) prévues pour le 28 mai prochain.
« Une menace structurelle »
Les conséquences d’une telle sécheresse, historique d’après tous les observateurs, se révèlent déjà catastrophiques. A titre d’exemples, après plusieurs années à faibles précipitations et températures très élevées, elle affecte dorénavant 60 % des champs espagnols, où des cultures comme le blé et l’orge sont en voie de disparition totale dans 4 régions. Mais il n’y a pas uniquement des pertes dans les récoltes. Dans les pâturages, elle touche de plein fouet les éleveurs qui peinent à nourrir leurs bêtes. Les abeilles manquent également de fleurs pour s’alimenter.
Tandis que la période des incendies est arrivée prématurément, les réserves d’eau sont à la moitié de leur capacité. Cette conjoncture génère une énorme préoccupation dans le débat public, avec une prise de conscience que, au-delà de l’aspect conjoncturel, « nous faisons face à une menace structurelle » (cf. Le bouclier climatique – Podemos).
Des mesures gouvernementales jugées insuffisantes
C’est dans ce contexte qu’un Conseil des Ministres extraordinaire s’est réuni le 11 mai pour traiter en urgence ce sujet. Un décret a été émis par lequel une enveloppe supplémentaire d’un montant de plus de 636 millions d’euros d’aides directes de l’Etat a été accordée afin de soutenir les agriculteurs et les éleveurs mais pas seulement, puisqu’elle intègre des mesures fiscales, financières, sociales et de règlementation du travail :
- Les conditions de travail à l’air libre lors des fortes chaleurs seront soumises à de nouvelles normes plus protectrices pour les travailleuses et travailleurs,
- Des réductions de tarifs de train en été, pour les jeunes, seront instaurées (montant des aides 170 millions d’euros),
- Accélération et flexibilisation des conditions de mise en marche de nouvelles infrastructures, avec caractère d’urgence, comme entre autres les dessalinisateurs, la modernisation de systèmes de forage pour obtenir de l’eau, etc.
A la gauche du PSOE (Parti Socialiste) qui est la formation majoritaire du Gouvernement de coalition progressiste, les ministres de UNIDAS-PODEMOS (Izquierda Unida et Podemos), Ione Belarra (Secrétaire Générale de PODEMOS et Ministre des Droits sociaux) et Yolanda Díaz (militante du PCE et Ministre du Travail) ont été les premières à réagir, estimant que ces mesures sont insuffisantes et manquent d’ambition, même si la seconde a reconnu qu’elles vont dans le bon sens.
Ione Belarra a proposé d’activer, à travers le Ministère des Droits Sociaux, un bouclier climatique : « Unidas-Podemos est la garantie dans le Gouvernement pour que les conséquences de la crise de la sécheresse et des vagues de chaleur ne soient pas « payées » par les personnes les plus vulnérables. Nous l’avons fait avec le « bouclier social » [lors du COVID] et cela peut se faire maintenant avec un « bouclier climatique ».
De son côté, sur des tweets du 11 mai, Yolanda Díaz appelle à « une modification de la loi sur les eaux pour réguler le processus de cession de droits et réviser le système de concession ». Elle propose également la création d’une « Banque Publique de l’eau » afin d’obtenir un partage plus juste et raisonnable de cette ressource.
Pour la gauche, des solutions existent
Les propositions des deux formations de UNIDAS-PODEMOS coïncident globalement et soulignent la nécessité d’agir, depuis les institutions, avec urgence et décision afin de protéger les citoyen.ne.s. des conséquences que le pays connaît déjà, considérant que les défis importants à relever résident dans la transition écologique et énergétique.
Pour PODEMOS, un plan de choc s’impose :
- Réduire la consommation d’eau dont l’Espagne ne dispose plus et le faire de façon juste (ex. moratoire pour l’ouverture d’arrosages hyper-intensifs aux mains des fonds vautours agressifs pour l’environnement et criminels pour l’agriculture traditionnelle),
- Renforcer l’efficacité et la durabilité des ressources hydriques,
- Soutenir les petites et moyennes exploitations agricoles ou d’élevage,
- Consolider immédiatement les ressources matérielles et humaines des services d’extinction des incendies et de la protection civile,
- Adapter les conditions de travail aux vagues de chaleur,
- Protéger les personnes les plus vulnérables face aux vagues de chaleur,
- Aménager des « refuges climatiques » (bibliothèques, centres civiques, locaux privés, à partir de conventions) et des villes sûres contre la chaleur,
Dans son programme pour les prochaines élections, IZQUIERDA UNIDA réserve une place spécifique à la gestion de l’eau. Sira Rego, députée européenne de cette formation politique et vice-présidente de la GUE/NGL au Parlement européen, qui a démarré son intervention en indiquant que les près de 400 terrains de golf du pays consomment autant d’eau que 4 millions de personnes, a récemment énoncé quelques propositions :
- Etablir une gestion publique, durable et directe de l’eau, en particulier par les municipalités, en créant/renforçant des gestionnaires publics de services d’approvisionnement et d’assainissement qui incluraient une gestion adéquate des eaux pluviales et le drainage de l’espace urbain,
- Planifier les ressources en fonction des besoins des personnes, afin de garantir les droits et la durabilité environnementale,
- Instaurer l’obligation de l’élaboration, l’implantation et le suivi de Plans de Gestion Durable de l’eau pour les grands consommateurs, dans tous les champs d’activité,
- Moderniser les infrastructures,
- Adapter les champs à la disponibilité des ressources hydriques.
Telle est la liste non exhaustive des propositions de UNIDAS-PODEMOS, malheureusement minoritaire tant au Gouvernement qu’au Parlement, mais qui entraîne néanmoins son partenaire socialiste vers des politiques de progrès résolument sociales, orientées vers plus de justice, de mise en commun, de respect de l’environnement, de liberté et de droits pour les travailleuses et les travailleurs et citoyen.ne.s en général, dans tous les domaines.
Face aux bouleversements, les climato-sceptiques font la sourde oreille
En parallèle à cette situation désastreuse, les réactionnaires climato-sceptiques sévissent, comme c’est le cas en Andalousie où le gouvernement autonome, avec à sa tête son Président Juan-Manuel Moreno Bonilla du PP (droite extrême) avec le soutien de Vox (extrême-droite) prétend faire passer une loi visant à régulariser des hectares de cultures agricoles illégales au nord du Parc National de Doñana, reconnu réserve de biosphère par l’UNESCO en 1980 et classé au Patrimoine Mondial de l’UNESCO en 1994.
Doñana se trouve dans un état critique, déjà durement détérioré par le tourisme, la chasse et l’urbanisation tout d’abord, puis par la multiplication de terres cultivées illégalement. La norme du gouvernement du Parti Populaire d’Andalousie prévoit aussi de réguler les zones d’irrigation des environs du Parc, ce qui supposerait d’amnistier des centaines de puits illégaux qui boivent littéralement les eaux qui constituent la réserve naturelle.
Dès lors, l’activisme pour protéger Doñana se réactive, et les mesures annoncées ont poussé habitant.e.s, associations, organisations écologistes, politiques et féministes dans les rues de Séville le 14 mai au sein de la Plateforme « Salvemos Doñana » (Sauvons Doñana). Les mobilisations se poursuivront pour protester contre cette nouvelle menace qui pèse sur « le joyau des zones humides ».
Face à la levée de boucliers qu’une telle décision a suscitée, Juanma Moreno a reporté sa proposition à une date ultérieure, évidemment après les prochaines élections du 28 mai
Malgré des menaces de mort annoncée, pendant des décennies, sur tout un écosystème et sa biodiversité, les mesures en matière d’écologie ont été reléguées au second plan des préoccupations politiques, économiques et sociales des gouvernements successifs, notamment au niveau de la planification (très sectorielle et souvent inexistante) et de la prévention.
Ainsi, la côte méditerranéenne (en particulier), soumise à une spéculation immobilière brutale, a vu exploser un type d’urbanisation aléatoire et toujours plus proche des plages. Les écosystèmes forestiers ont été abandonnés à leur sort alors que les incendies continuaient de dévaster le territoire. En ce qui concerne le changement climatique, en 2014 le pays occupait encore la dernière place de l’UE quant à la réduction d’émissions de gaz à effet de serre ; la qualité de l’air a été méprisée par les gouvernants, en dépit des effets constatés sur la santé d’une grande partie de la population ; la biodiversité a poursuivi son déclin, menaçant plusieurs espèces comme le lynx, le loup, l’ours et amphibiens, reptiles, etc. à leur disparition ; l’eau a trop longtemps été gérée comme une ressource productive plutôt que renouvelable ; les réseaux d’épuration de nombreuses villes étaient inexistants. Sans oublier l’élevage intensif, l’utilisation abusive d’OGM, le manque de cohérence environnementale dans les politiques publiques, entre autres.
Cet héritage, combiné avec l’accélération du dérèglement climatique démontre de manière criante la nécessité de planification, de prévision et d’anticipation pour affronter les défis d’une transition écologique réussie. Cette situation explique sans doute l’impréparation de l’exécutif lors de crises comme celle que connaît l’Espagne ces derniers temps et l’inéluctabilité de décider dans l’urgence.
Grâce à une prise de conscience écologique collective, le premier Gouvernement de Pedro Sánchez s’est vu contraint de créer, en 2018, un Ministère pour la Transition Ecologique et le Défi Démographique (MITECO) dont la profession de foi est de « proposer des mesures en matière d’énergie et d’environnement, en vue d’une transition vers un modèle productif et social plus écologique, et la gestion de l’eau comme un bien public essentiel ». Le retard est conséquent, mais espérons que cette nouvelle orientation placera l’écologie au centre des décisions afin de combattre les conséquences sociales et environnementales déjà lourdes, et permettra d’affronter les défis écologiques actuels et à venir.
Image par Le Centre d’Information sur l’Eau sous licence CC BY-ND 2.0 sans modification.