Par Anaïs Fley.
Le Conseil constitutionnel vient de rejeter la proposition de référendum d’initiative partagée, dernier levier démocratique jusque-là inépuisé de la Ve République. Cette décision est rendue deux jours après un 1er mai marqué par des manifestations massives et dans lesquelles la violence prend toujours plus de place.
Face à l’explosivité de la mobilisation, de plus en plus de personnalités s’inquiètent de la crise démocratique qui s’approfondit à chaque nouvelle prise de parole du président de la République. Celui-ci assume désormais qu’il ne représente pas les Français·es : « c’est le président qui décide », pas le peuple. Le contrat représentatif fondant l’hégémonie de la bourgeoisie par l’onction présidentielle est rompu. Le fondement du pouvoir de la bourgeoisie, celui de prétendre qu’elle représente toutes les classes, est brisé : ces dernières n’acceptent plus d’obéir. Ainsi Macron ne peut plus aller nulle part sans être accueilli par des appels à sa démission et des concerts de casserole, des lieux de pouvoir de l’État sont incendiés, les manifestations sont le théâtre d’affrontements violents avec les CRS.
Dans pareil contexte de révolte, la question du rapport du mouvement social à la violence interroge tout le monde : de la droite qui s’inquiète du maintien de l’ordre bourgeois, à la gauche pour qui le rapport à la violence comme outil militant est un débat historique. Plus largement, selon un sondage, 45 % des français souhaiteraient que le mouvement se durcisse.
Nous ne sommes pas les gardiens de la Ve République
Dans ce contexte, à chaque nouvelle décision du président et de son gouvernement, certains responsables politiques expriment leurs craintes : Macron aurait tort de mettre de l’huile sur le feu car cela rendrait le climat social encore plus explosif et mènerait à des débordements dangereux.
Une telle attitude peut s’expliquer pour qui exerce un mandat dans les instances de l’État et que l’on s’est engagé toute sa vie dans un parti de gouvernement. En ce sens, cette position peut s’entendre de la part de dirigeant·es réformistes. Mais l’absence de réflexions plus poussées sur cette question, de la part de partis révolutionnaires, a de quoi rendre perplexe. Pour un parti révolutionnaire, même lorsqu’il est aussi parti de gouvernement, l’enjeu cardinal est de permettre aux milieux populaires de prendre le pouvoir, par de préserver par principe les institutions de l’État.
Face aux violences, on entend aussi que l’extrême-droite se nourrit de la colère des milieux populaires en la dévoyant. Ce n’est pas tout à fait exact. Tout le monde sait qui appelle à aller en manifestation et qui ne s’y trouve pas. Ce que l’on voit dans cette mobilisation, c’est que la colère contre Macron nourrit et élargit le mouvement social, et renforce les revendications pour un renouveau démocratique. La colère face aux injustices pave le chemin des révolutions sociales. À ce titre, cette colère est un danger pour l’ordre établi, pour la bourgeoisie et son État dont tous les masques pseudo-démocratiques tombent les uns après les autres.
Ce qui nourrit l’extrême-droite, c’est la défaite
Ce qui nourrit l’extrême-droite, ce qui est un danger pour le camp de la transformation sociale, ce n’est pas la colère ; c’est la défaite. Historiquement, chaque triomphe du Front national a lieu après une défaite écrasante de la classe ouvrière et une capitulation de la gauche. Aujourd’hui, c’est dans les territoires où la classe ouvrière est à genoux que le RN fait ses meilleurs scores.
L’échec du programme commun en 1981 et le début de la liquidation des conquis sociaux par le néolibéralisme coïncident avec les premiers scores du Front national dépassant 1 %.
Avec la désindustrialisation, la classe ouvrière a essuyé de lourdes défaites qui lui ont arraché son travail, son statut social, et l’ont profondément désorganisée. C’est dans ce contexte et après l’échec de la gauche plurielle, que Le Pen atteint pour la première fois le second tour de l’élection présidentielle en 2002, face à la droite.
En 2016, les socialistes brisent définitivement la confiance du mouvement social avec la Loi travail. Pour faire passer leurs réformes antisociales, Hollande et ses ministres Valls, El Khomri et Cazeneuve ont écrasé la mobilisation massive de leurs électeurs à grands coups de 49-3 et de répression policière. Cette défaite écrasante du mouvement social est un retour de flamme cuisant après le triomphe de la gauche en 2012 et 2014. Consécutivement, les scores du RN dépassent pour la première fois les 20 % en 2017.
Aujourd’hui, la bourgeoisie subissant une crise d’hégémonie historique, toute défaite du mouvement social serait synonyme de victoire de l’extrême-droite. Faute d’alternative politique qui permette de renverser la situation, et dans un contexte où la résistance face à l’autorité bourgeoise est la seule solution pour maintenir la pression, la colère sociale est donc très positive. Cependant, cette situation ne peut pas durer et il s’agit d’y trouver des débouchés.
Pour que la violence cesse, il faut qu’elle débouche politiquement
Tant que Macron ne sera pas chassé du pouvoir, la paix civile sera instable. Pour notre camp, la seule issue à cette crise est donc de remettre le pouvoir au peuple. Or, la confiance que porte le mouvement social envers son état-major, la gauche, est profondément abîmée. Seule une alternative politique radicale et crédible serait en mesure de construire une majorité politique dans le pays et de l’emporter.
Face à une telle responsabilité, toute tentative de désunion de la gauche, toute suggestion d’alliance avec les opportunistes qui ont déjà trahi la confiance du mouvement social, tout pas de côté vis-à-vis de la classe des travailleur·ses empêche l’alternative et tire le mouvement social vers la défaite. Au contraire, la gauche doit immédiatement se mettre en ordre de bataille pour proposer une stratégie victorieuse au mouvement social.
Premièrement, le rejet du référendum d’initiative partagée démontre que le président a fini d’emporter toutes les institutions dans son naufrage : le gouvernement, puis le Sénat, l’Assemblée nationale, et enfin le Conseil constitutionnel. La solution ne peut plus venir de l’une de ces institutions, comme c’était le cas du RIP, issu de l’Assemblée nationale. Elle doit donc venir de l’action démocratique du peuple lui-même. Or, le référendum est une forme très étriquée de démocratie populaire, contrairement à l’assemblée où chacun·e peut délibérer, décider, agir. Un défi majeur du mouvement social est donc de se réunir partout et de coordonner les capacités d’action et les intelligences, afin de substituer au RIP rejeté une nouvelle phase d’élaboration démocratique.
Deuxièmement, le pays étant soumis à l’instabilité tant que le pouvoir n’aura pas été retiré des mains de Macron, il faut appeler à ce que le pays retourne aux urnes. Il ne s’agit pas de changer de personnel politique : la question est de savoir quelle classe est au pouvoir.
Ainsi, troisièmement, aucun des problèmes auxquels nous sommes confrontés ne peut être résolus sans VIe république, c’est-à-dire sans changement de logique total des institutions.
Seule la constitution d’une nouvelle majorité politique, reflétant les intérêts du peuple et de la classe des travailleur·ses, permettra de mettre fin à la domination de la bourgeoisie et aux affrontements de plus en plus violents qu’elle génère. En France comme dans le reste du monde, la clé de la paix, c’est la victoire populaire !
Image par Patrice Leclerc.