Une entretien avec les Vulves Assassines (voir leur dernier clip Das Kapital).
NRs : Merci de nous accorder cet entretien autour de votre nouvel album, Das Kapital, sorti le 21 octobre 2022. Sur sa pochette, un Karl Marx aux dents pointues et prêt à engloutir un yacht ressemble beaucoup à votre vulve assassine signature. Quel parallèle avez-vous voulu construire avec cette imagerie ?
C’est une image qui s’inscrit dans le mouvement romantique. On y voit très clairement le rapport de force capital – travail et la victoire imminente de la classe prolétarienne. Nous faisons en sorte d’être le plus pédagogues possible, en utilisant des allégories : d’un côté un Karl Marx titanesque, qui représente une part écrasante de l’image, et en face, ce ridicule yacht de luxe, à bord duquel des rois minables avec des couronnes en papier dégustent une dernière tartoche de caviar avant la chute inévitable du capitalisme. Nous, nous avons une conscience de classe évidente qui nous place quelque part dans ce Karl ; on a choisi d’habiter au niveau de la barbe, un endroit pileux qui nous ressemble et nous rassure.
En bref, dans cette image, on a voulu synthétiser le gros de l’œuvre de Karl Marx : les 2270 pages du bouquin Das Kapital, mais aussi le Manifeste du Parti communiste et l’ensemble des Manuscrits de 1844, tout simplement. Synthétiser, c’est prendre le risque de faire quelques approximations, mais on est pas là pour faire dans la dentelle.
En parlant de dentelle, on se permet de te reprendre sur cette histoire de dents pointues. Notre Karl a une dentition tout ce qu’il y a de plus saine, ce n’est pas du tout un monstre – bien qu’il soit plus grand que la moyenne – mais un monsieur-madame-tout-le-monde qui, une fois son repas terminé, ira rire, danser et chanter à la vie.
NRS : Les Vulves Assassines sont fortement identifiées dans les luttes féministes. Et dans vos morceaux, de l’émancipation des femmes au communisme, en passant par les débats écologiques, la réforme de la retraite et le complotisme, tout passe dans votre moulinette. Pour vous, quel rôle jouent les femmes dans les luttes pour la transformation sociale ?
On n’a pas une approche essentialiste du féminisme, on estime donc que les femmes devraient tenir la moitié de la couverture dans les luttes, quels que soient les sujets. Après, évidemment, vu qu’on nous a fait fermer nos gueules depuis la nuit des temps, c’est un exercice à apprendre : tant mieux, l’époque y est favorable. Après, évidemment, vu qu’on nous a dit de fermer nos gueules depuis la nuits des temps, on est un poil plus en colère que nos camarades masculins : tant mieux, ça sera sûrement très efficace.
Ah, on oubliait, y’a un sujet où on a notre mot à dire un peu plus fort que les bonhommes, c’est les questions de genre. Parce que ça fait un bail qu’on leur a laissé le dossier, et on peut pas dire qu’ils aient fait du beau boulot. Mais tout ira mieux, pour nous comme pour eux, bientôt : nous, les femmes, sommes très sérieuses et avons de bons résultats scolaires selon l’INSEE, on devrait travailler vite et bien.
NRs : Un débat grandit autour de la censure dans les luttes politiques. C’était d’abord un argument utilisé contre les femmes qui osaient prendre la parole contre des violences : « on ne peut plus rien dire ». C’est aussi devenu une pratique militante : si tes propos sont réactionnaires et violents, tu ne doit pas pouvoir les exprimer dans l’espace public. En ce qui vous concerne, on ne peut pas dire que vous manquez d’audace dans vos textes et votre univers artistique. Comment abordez-vous ce débat ?
Eh bien on se prend sérieusement la tête. Enfin, surtout pour ce deuxième album (pour le premier album, on n’imaginait pas que des gens allaient vraiment l’écouter, donc on a moins fait gaffe). On passe du temps à vraiment bien définir le message qu’on veut faire passer, à bien mesurer les mots qu’on utilise. Ça passe généralement par des heures de débats enflammés, des digressions en tous genres, mais nous on préfère refaire le monde plutôt que de faire de la musique, alors ça ne nous gêne pas de perdre un peu de temps là-dessus. Des fois on décide de faire passer à la trappe des calembours à pisser de rire mais un peu trop cons, et en vrai c’est pas si grave, et on s’en remet très bien de peser nos mots. Bon, des fois, malgré nos efforts grammaticaux et lexicaux, des personnes se vexent. Dans ces moments on prend toujours le temps d’expliquer nos positions et on s’excuse platement de la gêne occasionnée. Mais ça nous paraît important d’être encore capables d’être en désaccord dans l’espace militant.
Et sinon on remarque que notre public de droite-centre-mou a beaucoup d’autodérision, ce sont des gens charmants et très joyeux qui ne connaissent pas la susceptibilité. C’est sûrement parce qu’ils savent qu’ils ont tort et que nous avons raison. D’ailleurs, dans Das Kapital, on leur propose toujours une alternative à la mise à mort car nous sommes profondément pacifistes.
NRs : En plus d’être profondément politique, votre musique électro-punk-rap est éclatante et rafraîchissante. Aimeriez-vous nous dire quelque chose de plus sur votre album pour les curieux·ses qui voudraient le découvrir ?
Merci pour les qualificatifs « éclatante et rafraîchissante », c’est exactement ce qu’on essaye de mettre en place, une musique conviviale pour aborder dans la joie ce vilain monde ultra-libéral. D’ailleurs un superbe livret avec les paroles accompagne l’album, ainsi on peut chanter entre ami.e.s et en claquant des mains le monde de demain. L’album s’écoute en version numérique, cédé, vinyle, ou directement sur les sonos des camions en manifs.
Image promotionnelle de l’artiste.