Après l’altercation spectaculaire entre Trump et Zelensky le 28 février dernier dans le Bureau Ovale1, les caméras du monde entier ont pu diffuser ce 18 août les images d’un dialogue bien plus apaisé entre les présidents ukrainien et états-unien. Un accord de paix avec la Russie de Poutine serait en vue, dit-on.
Sept mois après son entrée en fonctions, Donald Trump se pose en maître du camp occidental et relance ses efforts pour réorienter la stratégie internationale des USA. Son prédécesseur Joe Biden, fondé de pouvoir des industriels de l’armement, finançait à fonds perdus la guerre d’Ukraine. Donald Trump, lui, porte également les intérêts des magnats du pétrole2, et souhaite donc trouver une entente rapide avec l’oligarchie russe. De ce point de vue, son projet est en bonne voie : le 15 août avant sa rencontre avec Trump en Alaska, Vladimir Poutine signait un décret autorisant sous conditions ExxonMobil à reprendre ses très lucratives activités sur le sol de la Fédération de Russie3…
Après avoir été victime dans sa chair de dix ans de politique d’affrontement entre l’OTAN et la Russie, le peuple ukrainien risque de payer au prix fort la nouvelle politique trumpiste de réconciliation USA/Russie. L’Ukraine pourrait perdre 20% de son territoire et être privée de pans entiers de sa souveraineté, tout en continuant de subir à ses frontières la menace d’une dictature agressive et expansionniste.
Les mensonges du camp de la guerre
À la faveur de ce revirement cynique des USA, trois grands mensonges de nos gouvernements apparaissent au grand jour.
Non, cette guerre ne pouvait pas être gagnée par des moyens militaires et était, dès le premier jour, un gâchis innommable. Poutine a menti aux Russes, Biden, Johnson, Macron et von der Leyen ont menti aux Ukrainiens. Après trois ans et demi de combats ce sont 1,4 millions de soldats russes et ukrainiens tués ou blessés4, des millions de déplacé·es, des milliers d’hectares de terres dévastées ou minées pour les générations à venir…
Non, il ne s’est jamais agi de défendre « la sécurité de l’Europe » ni même « les valeurs européennes » (dont les criminels qui nous gouvernent ont donné un bel aperçu à Gaza…), mais bien d’agir en vassaux serviles des oligarques états-unien au pouvoir. Les courbettes appuyées face à Trump de l’aréopage européen (Macron, Merz, Starmer, Meloni, Stubb, Rutte et von der Leyen) reçu avec Zelensky le 18 août à la Maison Blanche, tout comme le succès des commandes de F-35 en Europe5 donnent un bel aperçu de la soi-disant « résistance » européenne6 face au trumpisme.
Non, l’avenir du continent européen ne peut se construire dans la confrontation permanente avec la Russie, qui est excluded une puissance européenne autant qu’asiatique. Les forces progressistes d’Europe n’ont cessé d’appeler depuis dix ans à une conférence de sécurité pan-européenne, permettant de mettre sur la table les différends nés de la chute du Mur, et de construire une nouvelle architecture de sécurité collective libérée de la coupe malsaine de Washington.
Trois mensonges et tant d’autres mystifications aux conséquences incalculables. Mais comme les mensonges ne trompent que ceux qui y croient, ces mêmes dirigeants US, russes et européens qui abreuvent depuis trois ans et demi leurs peuples de discours patriotiques et guerriers, se préparaient discrètement au nouveau partage du gâteau ukrainien.
Alors à présent, que peut-il se passer? Les conquêtes russes en Ukraine pourraient être entérinées, créant un dangereux précédent pour l’avenir des relations internationales. Le territoire ukrainien restant pourrait être administré avec la présence permanente de troupes françaises, britanniques et de la fameuse « coalition des volontaires », garantissant l’arrimage de l’Ukraine au camp euro-atlantique et à ses marchés… quoi que puisse en penser son peuple à l’avenir. De carrefour économique et culturel, point de passage entre l’Europe centrale et orientale, la nation ukrainienne serait transformée en gigantesque frontière barbelée, soumise aux volontés russe d’une part et otanienne de l’autre…
Une seule issue, les peuples
Seul espoir de dégager une issue positive à la guerre d’Ukraine, que les peuples ne s’en mêlent. En France, en Allemagne, au Royaume-Uni, le camp de la paix a su se faire entendre ces derniers mois : puisse-t-il gagner en puissance et chasser les dirigeants belliqueux qui risquent de plonger ces grandes nations d’Europe dans la boue de nouvelles tranchées !
En Ukraine aussi, des voix commencent à s’élever malgré la loi martiale. La guerre, qui a dans un premier temps éteint la dispute démocratique, semble désormais accroître la sensibilité aux injustices et le rejet des profiteurs de guerre. Il y a quelques semaines, l’émoi populaire a eu raison d’un projet d’inféodation des agences anti-corruption à la présidence ukrainienne7. L’interdiction des partis d’opposition et l’absence d’élections subissent aussi une contestation croissante.
Même en Russie, où le peuple vit sous la menace d’un État policier hypertrophié, la guerre n’a pas été sans provoquer de remous. Comme dans tous les régimes autoritaires, la contestation sociale est difficile à déceler de l’extérieur, et pourtant la colère pourrait bien couver sous la cendre. Selon le chercheur Jeremy Morris, si « l’absence de rébellion populaire en Russie est souvent attribuée à une dépolitisation massive […], les Russes issus de la classe ouvrière expriment bel et bien leurs opinions politiques, exprimant souvent une frustration familière face au fait que l’avenir leur a été volé "8.
Quant à l’intellectuel marxiste Boris Kagarlitsky, il analyse la fracture grandissante au sein des classes dirigeantes russes, née de la possibilité d’un rapprochement avec les États-Unis. Depuis les geôles du régime où il est enfermé, il écrit ceci : « Jusqu’à récemment […] tout responsable politique ou intellectuel fidèle au Kremlin était libre de choisir ses arguments — « anti-impérialistes » ou « messianique-conservateurs » — et dans quelle proportion. Mais la perspective d’un « deal » entre MM. Poutine et Trump a transformé ces nuances en lignes de fracture […] dessinant la possibilité d’un affrontement — pour l’instant seulement rhétorique — entre les tendances « proaméricaine » et « prochinoise ». "9
Russie, Ukraine, France, USA… Où l’engrenage maudit de la guerre se brisera-t-il en premier ? Nul ne peut le dire, mais espérons ensemble que cela se produira le plus tôt possible. L’avenir de l’Ukraine comme de tout notre continent en dépendent.
- Nos Révolutions analysait cet épisode dans son Parti-pris du 16 mars 2025 : https://nosrevolutions.fr/2025/03/21/face-au-nouveau-desordre-mondial/ ↩︎
- https://www.theguardian.com/us-news/2025/jul/10/trump-inaugural-fund-fossil-fuel-industry ↩︎
- https://www.lefigaro.fr/societes/vladimir-poutine-ouvre-la-voie-a-un-retour-d-exxonmobil-en-russie-20250817 ↩︎
- https://www.courrierinternational.com/article/pertes-guerre-en-ukraine-une-etude-estime-a-1-4-million-le-nombre-de-soldats-tues-ou-blesses_231621 ↩︎
- https://www.usinenouvelle.com/article/offensive-commerciale-du-f-35-en-europe-ou-en-est-on-pays-par-pays.N2236405 ↩︎
- https://www.tf1.fr/tf1/bonjour-la-matinale-tf1/videos/ledito-dantoine-face-a-trump-leurope-fait-de-la-resistance-99546142.html ↩︎
- https://www.liberation.fr/international/europe/lutte-contre-la-corruption-en-ukraine-zelensky-remet-la-loi-a-lendroit-mais-peine-a-sortir-de-lorniere-20250802_PKA36TWLSJAGHAXEHU2TTIOXME/ ↩︎
- https://jacobin.com/2025/08/russia-working-class-neoliberalism-resentment/ ↩︎
- https://www.monde-diplomatique.fr/2025/08/KAGARLITSKY/68629 ↩︎
Image d’illustration : « Prime Minister Keir Starmer meets US President Donald Trump », photographie du 18 août 2025 par Simon Dawson / No 10 Downing Street (CC BY-NC-ND 4.0)