ÉDITO. Aides publiques aux entreprises : qui veut vraiment moins d’État ?


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Les sénateurs Olivier Rietmann (LR) et Fabien Gay (PCF) ont présenté mardi 8 juillet les conclusions du rapport de la commission d’enquête « Transparence et évaluation des aides publiques aux entreprises : une attente démocratique, un gage d’efficacité économique ». Cette commission s’était donnée pour missions d’établir le coût des aides publiques octroyées aux grandes entreprises1 et à leurs sous-traitants, déterminer si ces aides sont correctement évaluées et réfléchir aux contreparties possibles.

Le rapport recense plus de 2 200 dispositifs relevant de l’État, de la Sécurité sociale, des collectivités territoriales et de l’Union européenne : crédit impôt recherche, prêt garanti par l’État, exonérations de cotisations sociales, aide à l’apprentissage… Une galaxie complexe.

Première difficulté : il n’existe aucune définition juridique transversale des aides publiques aux entreprises. L’INSEE ne dispose pas de données ventilées sur l’ensemble de ces aides. En clair : personne ne sait vraiment combien d’argent public est versé chaque année aux entreprises.

211 milliards d’euros par an pour dégager des dividendes

Aussi, les sénateurs ont dû réaliser leur propre chiffrage. Ils l’ont comparé avec le rapport2 de 2020 de France Stratégie (139 à 223 milliards d’euros pour 2019), chiffrage qui correspond à peu près à celui réalisé en mai 2022 par le Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques, à hauteur de 205 milliards d’euros. Le ministre de l’Économie, auditionné par la commission, a refusé d’actualiser l’évaluation de France Stratégie, consentant uniquement à donner une estimation de 150 milliards d’euros.

Chiffrage du rapport : 211 milliards d’euros en 2023, en prenant en compte les aides versées par Bpifrance, les dépenses fiscales, les allègements de cotisations sociales et les subventions de l’État. Les deux tiers seraient des subventions. Ce total n’inclut même pas les aides versées par les régions (environ 2 milliards d’euros annuels3), les aides versées par les communes (non chiffrées), et les aides de l’Union européenne (9 à 10 milliards d’euros selon l’inspection générale des finances).

Ce sont des montants colossaux. Et que font les entreprises ? Le rapport cite Auchan, qui a bénéficié de 636 millions d’euros d’aides fiscales et de 1,3 milliard d’euros d’allègements de cotisations sociales entre 2013 et 2023… et qui a licencié 2 384 employés sur 54 000 en 2024. Ou encore Michelin, qui a bénéficié de 32,4 millions d’exonérations de cotisations sociales en 2023 et de 40,4 millions d’euros de crédit d’impôt recherche en 2024… tout en supprimant 1 254 postes en 2024 et en versant 1,4 milliards d’euros de dividendes la même année.

Quand les organisations patronales se plaignent de la taxation des entreprises et de l’impact sur l’emploi, comment ne pas voir l’hypocrisie de leurs affirmations !

Quand il s’agit d’aider les entreprises, les néolibéraux veulent plus d’État

Fait intéressant, le rapport souligne aussi qu’en 2017, la Chine soutiendrait via des fonds publics ou quasi-gouvernementaux ses entreprises à hauteur de 330 milliards de dollars4. La Chine, pointée comme une économie étatiste par-dessus tout, l’est-elle alors plus que la France ?

En 2023, le PIB de la France s’établissait à environ 3211 milliards de dollars. En 2017, celui de la Chine avoisinait 12 310 milliards. Les aides publiques aux entreprises représentent ainsi respectivement 7,2% et 2,7% du PIB : plus de 2 fois plus en France qu’en Chine ! Si on compare au nombre d’habitants (65,3 millions en France, 1 396 million en Chine), cela équivaut à une dépense 14 fois plus élevée par citoyen en France qu’en Chine.

Et pourtant, c’est en France que l’on parle de “ras-le-bol fiscal”, de “sur-réglementation”, de “lourdeur de l’État”. Le Medef, dans sa contribution au grand débat national de 2019, dénonçait un “État obèse”, victime d’une “pression fiscale insupportable” pour les entreprises5.

Mais qui profite vraiment de l’argent public ? Ceux qui crient au fardeau fiscal et professent la réduction de la dette réclament en réalité toujours plus d’aides publiques. Ce n’est pas de moins d’État qu’ils veulent, mais d’un État à leur service.


  1. Employant plus de 1000 salariés et réalisant un chiffre d’affaires net mondial supérieur à 450 millions d’euros par an. ↩︎
  2. « Les politiques industrielles en France. Évolutions et comparaisons internationales » ↩︎
  3. Régions de France. ↩︎
  4. Selon la chambre du commerce américaine. ↩︎
  5. " La crise des Gilets jaunes résulte essentiellement d’un « ras-le-bol » fiscal et réglementaire, reflet de la situation de sur-fiscalité et de sur-réglementation qui touche tout le monde, ménages et entreprises. Les ressentis d’inéquité, malgré la redistribution, sont forts : ceux qui perçoivent les aides ne sont pas les mêmes que ceux qui subissent la pression d’un État obèse " ↩︎

Image d’illustration : « Bercy Ministère des finances sur la Seine », photographie du 5 avril 2011 par Dinkum (CC0 1.0)

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