Le fascisme revient au Chili par les urnes


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Ce dimanche 14 décembre, une large majorité de Chiliennes et de Chiliens a permis à un candidat d’extrême-droite fasciste, José Antonio Kast, de devenir dès mars prochain, président de la République. Ce dernier bénéficie également d’une majorité législative des forces conservatrices et réactionnaires acquise lors d’élections couplées au premier tour de la présidentielle.

Un pays fortement clivé

Ce premier tour de la présidentielle avait pourtant dans le même temps vu Jeannette Jara arriver en tête du scrutin avec près de 26% des voix. Si Jeannette Jara est membre du Parti Communiste du Chili, elle représentait l’ensemble de la coalition de gauche jusqu’à présent au pouvoir, « Unité pour le Chili », après sa victoire nette aux primaires de cette coalition où elle avait recueilli plus de 60% des voix.

Ce second tour de l’élection présidentielle a donc vu s’affronter deux personnalités et deux projets politiques que tout opposait.

Membre de longue date du Parti communiste du Chili, pionnière des mesures sociales importantes du gouvernement Boric et issue d’une famille ouvrière qui a protesté contre la dictature militaire de 1973-1990, Jeannette Jara, avocate diplômée de l’Université de Santiago, a mis en avant son parcours populaire durant la campagne. Elle est la première de sa famille à accéder aux études supérieures. Dès l’âge de 13 ans, elle est employée dans la cueillette, puis, pour financer ses études, comme ouvrière agricole saisonnière et vendeuse de rue.

Jara commence à militer au sein des Jeunesses Communistes Chiliennes à l’âge de 14 ans et devient, au cours des années 1990, une dirigeante étudiante de l’Université de Santiago aux côtés de la figure communiste Gladys Marín. Figure du mouvement étudiant des années 1990, elle devient présidente de la Fédération des étudiants de l’Université de Santiago en 1997. La même année, elle est arrêtée lors d’affrontements avec la police et passe plusieurs jours à la prison pour femmes de Santiago

M. Kast, en revanche, est un catholique bigot qui veut renforcer la place de la religion catholique dans l’enseignement public. Père de neuf enfants, dont le propre père, né en Allemagne, était membre du parti nazi d’Adolf Hitler et dont le frère, Miguel Kast, a été ministre et directeur de la Banque Centrale du Chili sous la dictature militaire.

José Antonio Kast avait auparavant eu du mal à convaincre les électeurs modérés lors de deux tentatives présidentielles infructueuses. Son conservatisme moral, notamment son opposition farouche au mariage homosexuel et à l’avortement sans exception, avait été rejeté par de nombreuses personnes dans un pays de plus en plus libéral sur le plan social.

S’engageant à révoquer la loi du gouvernement de Michelle Bachelet autorisant l’avortement en cas de viol ou de danger pour la vie de la mère, Kast s’est également fait remarquer en étant le seul député à voter contre une loi pénalisant la violence sur les animaux ! L’admiration qu’il a exprimée pour la dictature militaire sanglante du général Augusto Pinochet a également suscité une condamnation généralisée lors de sa campagne contre le président Boric il y a quatre ans.

Un bilant décevant de la gauche au pouvoir

La gauche détenait la présidence de la République depuis 4 ans en la personne de Gabriel Boric mais n’avait pas pu obtenir de majorité législative qui lui aurait permis une transformation sociale plus importante.

Investi le 11 mars 2022, le jeune président de gauche avait, de plus, subi un premier revers dès le 4 septembre de la même année quand les Chiliens rejetaient largement une Constitution progressiste destinée à mettre à bas l’héritage institutionnel de l’ère Pinochet. Rédigée par une majorité d’indépendants et des personnalités de gauche non partisane comme Elisa Loncón, première présidente élue de l’Assemblée constituante en juillet 2021, elle incarnait un horizon écologique, plurinational et d’État social.

Dans ce contexte, entre mars 2022 et avril 2025, Jeannette Jara est ministre du Travail et de la Protection sociale et pilote à ce titre plusieurs réformes majeures du gouvernement, notamment la réduction du temps de travail hebdomadaire à 40 heures, l’augmentation du salaire minimum et une réforme des retraites mettant fin au système de capitalisation individuelle hérité de la dictature de Pinochet en introduisant une contribution partagée des entreprises.

Elle est incontestablement la figure la plus à gauche du gouvernement Boric. Dans le même temps, les ministres de centre-gauche ont occupé les postes clés et eu une place disproportionnée par rapport à leur influence électorale en obtenant notamment le Ministères des Affaires Étrangères et celui de l’Économie. Comme partout, une gauche qui arrive au pouvoir et se révèle incapable de répondre aux attentes populaires engendre de la déception et permet à l’extrême droite de se présenter comme une alternative.

José Antonio Kast a utilisé tous les leviers traditionnels de la peur, celui des risques que ferait courir l’immigration, celui de la délinquance et de l’insécurité pour convaincre une partie de la population que la réponse serait une fermeté renouant avec celle des années de dictature militaire. Il faut noter que José Antonio Kast a fait tout ses meetings publics en parlant derrière une vitre blindée dans un pays figurant pourtant parmi les plus sûrs d’Amérique Latine. Alors que le vote obligatoire corrélé à une inscription automatique sur les listes électorales entrait en vigueur pour ce scrutin, on peut se demander si son discours a pu marquer des électeurs nouvellement inscrits et peu exposés à la pratique du débat politique.

Il est un peu trop tôt pour afficher des certitudes sur les causes de l’échec de la gauche à convaincre majoritairement, et sur celles du succès d’un homme se plaçant lui-même dans l’héritage de ce qu’à pu faire de pire l’extrême droite chilienne mais les données exposées ci-avant permettent tout de même d’esquisser quelques pistes.

Impact régional et international d’une élection

Si l’aggravation des conditions de vie de la plupart des Chiliennes et des Chiliens est clairement à prévoir à très court terme, l’autre impact de la victoire de Kast est le renforcement des forces réactionnaires dans la région. Avec la récente réélection de Daniel Noboa en Equateur, l’élection en 2023 de Javier Milei à la Présidence de l’Argentine et celle de Rodrigo Paz en Bolivie en novembre dernier, non seulement le continent rentre dans une nouvelle phase de réaction mais voit arriver à la tête de plusieurs états des politiciens clairement alignés politiquement sur Trump et favorables à une nouvelle tutelle des USA sur la région.

Si les pôles de résistance à cette influence persistent, notamment grâce au Brésil de Lula, au Mexique de Claudia Sheinbaum et à la Colombie de Gustavo Petro, on voit bien avec les manœuvres actuelles, les actions de pirateries et les menaces envers le Venezuela que les États-Unis affichent clairement leur volonté renouvelée de domination affichée sur l’ensemble des Amériques. Le spectacle lamentable de l’attribution du Prix Nobel de la Paix à María Corina Machado s’inscrit parfaitement dans ce récit alors que cette dernière s’est empressée de dédier son prix à Donald Trump avant de rappeler toutes les richesses que le Venezuela avait à offrir aux USA.

Une gauche au défi de la révolution

La gauche latino-américaine, à l’image de celle de notre continent doit, pour renouer avec l’espoir qu’elle avait fait naître dans les populations, retracer les chemins d’une alternative complète au libéralisme économique et renouer avec une lutte sans concession face à l’impérialisme. L’ambition révolutionnaire est à retrouver. Cette gauche ne peut se contenter d’être le porte-voix des opprimés s’efforçant de contrecarrer les plans les plus néfastes des bourgeoisies nationales et de la finance internationale. Elle doit permettre par l’intervention citoyenne directe du plus grand nombre de mettre en place une alternative palpable, enviable et efficace et globale. Jeannette Jara, malgré sa défaite, a su aussi tracer des pistes vers ce chemin mais il reste beaucoup à faire.

En France notamment, on voit bien que la gauche ne pourra l’emporter et endiguer l’accession au pouvoir du fascisme qu’en refusant de s’inscrire dans un projet considéré comme « raisonnable » ou « modéré ». Il faut poser la question de la propriété des outils de production et des décisions souveraines des travailleuses et des travailleurs sur la production. Cette gauche ne peut plus transiger avec le capital comme elle l’a trop fait et continue à le faire à l’image des votes favorables ou de l’abstention de certains parlementaires sur le PLFSS Macron/Lecornu qui ont permis son adoption.

Elle ne peut plus transiger non plus sur les questions de racisme et de xénophobie ou balbutier face aux dévoiements de la laïcité orchestrées notamment par le « Printemps Républicain » et l’extrême droite islamophobe. Elle ne peut plus se permettre d’être trop souvent trop faible et inaudible sur l’impérialisme de notre pays ou celui de l’Union Européenne, sur la complicité de ceux-ci avec les pires crimes du moment en Palestine comme au Soudan.

En 2021, lors de son élection, Gabriel Boric déclarait « Si le Chili est le berceau du néolibéralisme, il sera aussi son tombeau ». Force est de constater que quatre ans après il n’en est rien et que malheureusement, soit il n’était pas sincère à l’image de François Hollande faisant de la finance son ennemi, soit il n’a pas pu ou su se doter des moyens de son ambition. Le rapport de force avec le capital ne peut se contenter de paroles, il faut poser des actes qui l’engagent concrètement.


Image d’illustration : « José Antonio Kast tras inscribir al Partido Republicano de Chile en el Servicio Electoral (Servel) », photographie du 10 juin 2019 par Jorge Morales Piderit (CC0 1.0)

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