« Sommet des libertés » ou bien nommer le moment


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Cet article du 1er juillet 2025 is excerpted from Patrick Le Hyaric’s weekly letter. Click here to read the full letter for this week, and here to subscribe to it..

Ce qui s’est baptisé « Sommet des Libertés » au Casino de Paris le 24 juin dernier doit être nommé pour ce qu’il est : un Festival de paroles trumpiennes et fascisantes. Ce fut la soirée de la fusion entre milliardaires, Stérin et Bolloré, et entre une multitude de gens qui se tiennent bien à table pour mieux tout faire glisser vers le pire.

Il ne faut manquer ni d’audace, ni de culot pour ainsi dénommer une initiative « sommet des libertés ». Le sommet, c’est celui où sont parvenu les tenants du grand capital pour pousser l’aiguille de la bascule. Quant aux « libertés » ? Voici un mot de plus, tordu, lacéré, détourné, brûlé au fer rouge d’une internationale fasciste dont la mission est de sauver le grand capital. Quand ils disent « liberté », il faut bien entendre. Entendre la liberté d’entreprendre, liberté de tronçonner la puissance publique et l’État, partout, tout le temps, liberté de détruire le droit et la justice. Liberté aussi de mettre les « étrangers » dehors.

Et, pour accélérer le mouvement de bascule, derrière le pupitre, on retrouve des individus souvent présentés dans les grands médias comme des penseurs, des éclaireurs, des avant-gardes qui ne sont que les professeurs de la pédagogie de l’acceptation de son sort, de la haine de l’autre, et de la destruction de l’État social : Olivier Babeau (Institut Sapiens), Arnaud Rérolle (Périclès, la société « d’intelligence politique » de Stérin, pour « Patriotes, enracinés, résistants, identitaires, chrétiens, libéraux, européens, souverainistes »),  Nicolas Perruchot girouette qui aura fait tous les partis de droite et est mis en cause dans les Pandora Papers, Louis de Raguenel d’Europe1, journaliste chez JDNews, Stéphanie de Muru ancienne journaliste sur Russia Today, Benoît Perrin, Contribuables associés, Charlotte d’Ornellas Journal du dimanche et Cnews, et une ribambelle de personnages travaillant à « l’alliance des droites » Jordan Bardella, Éric Ciotti, Sarah Knafo, Marion Maréchal Le Pen, Nicolas Dupont-Aignan. Puis des instituts du petit milieu libertarien français, financés par le réseau états-unien et libertarien Atlas, aux côtés de la Heritage Foundation  celle-là même qui a préparé le « Project 2025 », le programme de Trump.

Un programme en cours de mise en œuvre : centralisation du pouvoir exécutif en vue des pleins pouvoirs, affaiblissement de la justice et des organismes de contrôle, purge de l’administration, mise en cause de la science afin de détruire tout projet écologique qui s’oppose aux magnats du pétrole et des ressources rares, chasse aux étrangers et construction d’une prison entourée d’alligators dans l’attente de leur expulsion, dénigrement de la presse y compris CNN, assèchement de l’aide internationale qui va mettre des millions de personnes supplémentaires en grave difficulté, militarisation de l’Occident capitaliste. 

Une réflexion poussée est nécessaire pour nommer les choses. Qu’a-t-on entendu au cours de la soirée ? 

Des éructations contre « l’impôt papier » – l’administration, le devoir de vigilance qui freine les entreprises, les réglementations et tout ce qui verrouille « la croissance, la croissance, la croissance ! ». « Faire confiance à nos entrepreneurs ». Un mot sur Gaza, demande-t-on : plus un sou pour les Palestiniens. « Une mesure pour la liberté ? » Fermer l’ARCOM, rouvrir C8.

Des charges contre l’État devenu obèse, les agences qui coûtent cher. Les pistes cyclables aussi. Et les syndicats ? – qu’ils se financent eux-mêmes, « s’il servent vraiment à quelque chose ». 

Des cris de haine, « On a accueilli chez nous des gens qui nous détestent, qui agissent contre nous, qui veulent nous conquérir. » On hésite entre l’ennemi intérieur et le choc des civilisations.

Des thèses sur la nécessité de reconstituer une « communauté imaginaire » – la « famille » occupe la soirée pour anéantir tous les conflits sociaux, l’appel à la  destruction des syndicats, des associations de défense des droits humains ou de l’environnement, en interdire  toutes les contestations, particulièrement le wokisme, substitut fonctionnel au marxisme culturel, exclure du paysage les communautés ethnico-raciales, ceux « qui nous détestent » comme ils disent, organisation de  la « remigration », mot neuf remplaçant déportation. Voici donc les principales caractéristiques du fascisme.

Il convient de sortir des vieilles images et des vieux habits. Ils sont souvent déguisés avec des vêtements neufs comme ceux d’anciens ministres tel que Luc Ferry et sa voix mielleuse pour faire avaler le venin, de députés, de start-uppers et de boursicoteurs, de l’invité permanent à la télévision, du cadre d’entreprise ou d’État. 

La recherche a bien documenté de quelle manière les partis d’extrême droite de longue date n’ont plus comme stratégie affirmée la violence politique. L’Islam est devenu le substitut fonctionnel à la haine des Juifs. Quant aux milices, elles commencent à parader dans les rues, mais dans leur masse le grand soir. Le parti du fascisme dira s’en passer dès lors que l’État acquiert tous les moyens, technologiques et juridiques, pour surveiller, réprimer, censurer, assécher l’opposition, les associations, les syndicats et la presse progressiste, à commencer par L’Humanité.

Je partage le travail du chercheur Ugo Palheta, qui explique « il y a dès lors quelque chose d’irresponsable à refuser de penser l’extrême droite contemporaine à la lumière du fascisme (…) on renonce ainsi à apprendre comment les mouvements de ce type, une fois créés, parviennent à s’enraciner, à obtenir le pouvoir et à l’exercer. »

Que dans ces conditions les responsables actuels de ce que l’on appelle « la gauche », c’est-à-dire les seuls partis politiques, se perdent en conjectures, en insultes, en croche-pied, en refusant de répondre à l’aspiration majoritaire de celles et ceux qui ont voulu le nouveau Front populaire est plus qu’inquiétant. Nous ne sommes plus face à une menace. La menace est là, elle a pignon sur rue, elle entre partout dans tous les interstices de la société. L’empêcher, c’est combattre ensemble. L’empêcher, c’est ensemble ouvrir d’autres fenêtres de réflexions ; d’autres angles de vue, d’autres lucarnes de visée transformatrice.


Image d’illustration : « Pierre-Edouard Stérin en 2018 », photographie du 13 novembre 2018 par OtiumCapital (CC BY-SA 4.0) – cropped image

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