L’intervention de Manel Djadoun – Le communisme partout


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Reproduction de l’intervention de Manel Djadoun lors du meeting Le communisme partout, le 2 décembre 2025 à Ivry-sur-Seine.

« Ce que je veux vous partager aujourd’hui, c’est une conviction simple : les luttes internationales sont le moteur central de la lutte des classes.

Pour parler des questions internationales je vais commencer par dire d’où je parle.

Pour moi, ces questions n’ont jamais été abstraites. Elles n’ont jamais été d’abord théoriques. Je suis arrivée à elles par mon histoire, par mon vécu, par l’histoire de ma famille.

Comme beaucoup de familles françaises, la mienne s’est construite sur les routes de l’exil.
Mes parents ont migré dans les années 90, pendant la décennie noire.

Et les personnes migrantes n’arrivent jamais seules : elles portent avec elles une histoire, une mémoire, un héritage.

L’héritage que mes parents m’ont transmis, le plus précieux peut-être, c’est l’histoire de la guerre d’Algérie et de la colonisation française.

Chez moi, on parlait de la bataille d’Alger, des maquis de Kabylie et des atrocités commises par l’armée française sur leur peuple algérien.

On parlait de Mostapha Ben Boulaïd, de Krim Belkacem, de Gisèle Halimi, de Maurice Audin, d’Ali la Pointe, de Djamila Bouhired…

J’ai grandi avec cette idée que lutte contre le colonialisme,  révolution, le socialisme, la solidarité internationale, ça voulait dire quelque chose de concret : c’était le combat et le sacrifice d’un peuple pour sa liberté.

Mais cette histoire nous est transmise avec son lot de contradictions.

Parce que mes parents, profondément attachés à cette Algérie indépendante, ont fini par vivre en France : dans le pays qui avait colonisé le leur. Et je me demandais :  « Comment est-ce possible ? Comment peut-on aimer si fort un pays, en porter la fierté, mais devoir vivre ailleurs, dans l’ancien pays colon ? "

Comme beaucoup, c’était  mon paradoxe fondateur : être à la fois  française, et issue de l’immigration algérienne.

C’est comme ça que j’ai commencé à m’intéresser à l’histoire coloniale de la France.  À comprendre que nos histoires familiales, nos migrations, ne sont pas des hasards, mais les conséquences directes de rapports économiques, politiques, historiques entre les pays du Nord et du Sud.

C’est de là qu’est né mon engagement : dans cette intuition profonde que les guerres, le racisme, les migrations, l’exploitation, tout cela ne forme pas une succession de tragédies isolées, mais d’un même système d’organisation du monde.

On m’a proposé d’intervenir sur la solidarité et les luttes internationales. Pour en parler, il faut d’abord parler du système et du contexte mondial dans lequel elles émergent.

Nous avons été des milliers, des centaines de milliers, à ressentir dans nos tripes une colère immense.

Face aux Palestinien·nes massacré·es sous les bombes.
Face aux enfants du Congo mourant dans les mines.
Face aux Soudanais abattus par des puissances étrangères.
Face aux manifestants marocains, Malgache, népalais  dont les révoltes ont été  réprimées.
Face aux travailleur·ses du Bangladesh exploités jusqu’à l’os.
Face aux luttes des peuples indigènes contre l’exploitation de leurs terres.

Je pense que nous faisons partie de celles et ceux qui refusent d’être indifférents.
car savons que notre destin est lié à celui des autres peuples du monde.

Je veux parler plus longuement de la Palestine. Tahia Falestine !

Ce qui se passe aujourd’hui en Palestine, notamment à Gaza mais aussi en Cisjordanie, ce n’est pas une « opération militaire ». C’est l’écrasement méthodique d’un peuple.

Des dizaines de milliers de Palestinien·nes tué·es. Des villes entières rasées. Les infrastructures de santé, d’éducation, d’eau, d’électricité systématiquement détruites. Ça n’a jamais été une guerre. Ça a toujours été la mise en place  un projet politique colonial. Et oser le dire, c’est regarder en face ce que beaucoup ont refusé de nommer : une politique génocidaire.

Netanyahou a toujours mené une politique d’annexion des terres palestiniennes. Son projet est méthodiquement pensé, planifié et assumé. Mais alors, malgré la réalité des faits, il reste encore impuni.

Et cette impunité n’est pas le fruit du hasard. Depuis sa création, Israël est un pilier stratégique pour les puissances occidentales : rempart militaire, allié sûr, outil de contrôle régional. Le soutien diplomatique, financier et militaire des gouvernements occidentaux lui garantissent une quasi‑totale impunité. Peu importent les résolutions de l’ONU, les crimes documentés, les appels internationaux. Les intérêts impérialistes priment, et tant que cela continuera, les Palestinien·nes ne seront jamais libres sur leurs terres.

Et c’est pour cette raison qu’ils refusent que cette question soit réglée, démocratiquement par le peuple palestinien.

Mais ce qui me révolte autant, c’est la manière dont ce génocide est légitimé ici, en France. Jamais le mouvement de solidarité avec la palestine n’a été autant réprimé. Manifestations interdites, militants arrêtés, associations menacées de dissolution. Des étudiants, des travailleuses, des élus criminalisés pour avoir osé dire « stop au génocide ».

Cette répression en France, en Allemagne, dans toute l’Europe, dit une chose très  simple : dès qu’une cause touche aux intérêts impérialistes, la contestation est  doit être muselée.

Et Pourtant, nous avons résisté. Collectivement, nous avons défié la machine médiatique qui voulait légitimer le génocide. Ces deux dernières années ont vu naître des mobilisations internationales historiques : de New York à Berlin, de Londres à Madrid, de l’Italie à Paris, des milliers de voix ont dit « pas en notre nom ».

Certain·es ont été arrêtés. D’autres poursuivis pour “apologie du terrorisme”.

Mais malgré tout ça, nous avons continué.
Nous avons marché.
Nous avons bloqué des usines d’armement.
Nous avons empêché des livraisons d’armes.
Nous avons envoyé des flotilles.
Nous avons créé des collectifs.
Nous avons informé, partagé, débattu, écris, polémiqué.
Nous nous sommes fâchés avec nos collègues, nos amis, nos familles.
Certains ont perdu leur travail.
Mais nous avons tenu.
C’est ça le courage des classes populaires.

Et pourquoi les classes populaires se sont-elles engagées dans ce combat ? Parce que les classes populaires sont marquées par l’exploitation et le racisme, elles sont héritières de générations de migrations et d’exodes. Elles savent ce qu’est la guerre, ce qu’est l’expropriation. Elles connaissent trop bien ces mécanismes.

Et malgré l’ampleur de nos mobilisations nous avons échouer à mettre un terme à l’occupation coloniale. nous avons découvert nos limites. Notre nombre n’était pas suffisant.

J’en parle parce que nous avons eu tendance à demander à Macron et à son gouvernement d’agir contre le génocide. Je me suis souvent posé cette question : qu’attendre de ceux qui, depuis deux ans, ont légitimé le droit d’Israël à commettre un génocide à Gaza ? Ceux qui ont criminalisé, pendant deux ans, le mouvement palestinien et poursuivi les mairies communistes qui avaient levé le drapeau palestinien sur le fronton de leur mairie.

On a vu Macron clamer de grands mots devant l’ONU pour la reconnaissance de l’État palestinien. Mais on l’a vu aussi baisser les yeux face aux attaques d’Israël contre ses propres citoyens dans les flottilles. Voilà une belle illustration de la lâcheté et de l’hypocrisie d’Emmanuel Macron.

Une fois ce constat posé, surgissent les vraies questions, celles qui touchent à la logique profonde du mode de production capitaliste :

D’où proviennent ces guerres, sinon des contradictions du capitalisme lui-même ?
Pourquoi ces destructions massives, sinon parce qu’un système en crise cherche de nouveaux espaces d’accumulation ?
Pourquoi ces migrations forcées, sinon parce que les populations sont déplacées au gré des besoins du capital mondial ?
Pourquoi ces pillages, sinon parce que l’extraction est redevenue la forme centrale de l’impérialisme contemporain ?

Ce que nous vivons aujourd’hui n’est pas un accident de l’histoire. C’est la conséquence logique et violente du  système impérialiste mondial. 

Marx l’affirmait déjà en son temps : le capitalisme n’est pas né dans la paix du commerce. Il est né dans le sang et la boue : la traite négrière, la colonisation, l’esclavage de millions d’Africains et le pillage des peuples. Dès ses fondations, le capitalisme est mondial, impérialiste et racial.

Aujourd’hui, nous faisons face à la réorganisation mondiale de l’impérialisme. l’impérialisme, c’est le capitalisme arrivé à un stade où il ne peut survivre qu’en s’étendant par la force et la guerre, la domination économique et la compétition mondiale entre États.

Très concrètement, c’est la course aux profits et la compétition violente entre puissances pour les ressources, les marchés et les zones d’influence.

C’est de contexte mondial que s’impose à nous une véritable économie de guerre. Le doublement du budget militaire français entre 2017 et 2030 n’est pas un simple choix politique, mais une nécessité pour un système en crise. La guerre leur permet d’ouvrir de nouveaux marchés , d’imposer l’austérité et partout,  briser  les forces de progrès et  toutes aspirations démocratiques.

Cet impérialisme se manifeste aussi dans l’organisation mondiale de la production : désindustrialisation au Nord et délocalisations vers le Sud.

Les pays du Nord ferment leurs usines, tandis que les multinationales  délocalisent dans des pays où les salaires sont bas, créant  ailleurs des « ateliers du monde » soumis à l’exploitation sans merci.

De Detroit à Roubaix, les emplois industriels disparaissent.  Le textile, l’électronique ou l’automobile sont produits au Bangladesh, en Inde ou en Chine. Les matières premières du Sud sont exploitées à bas prix et transformées ailleurs, renforçant la dépendance et l’exploitation des peuples du Sud.

Le résultat est le même partout : les classes populaires s’appauvrissent.

Certains voudraient nous faire croire que la classe ouvrière a disparu. C’est faux ! Elle n’a jamais été aussi nombreuse.Regardez les chiffres.

En 1950, seulement 34 % des ouvriers de l’industrie travaillaient dans les pays dits “de la périphérie”. En 1980 : 53 %. Et en 2010 : 79 % !

Et si on regarde spécifiquement la manufacture, l’un des secteurs les plus caractéristiques du travail ouvrier, c’est  83 % de la main-d’œuvre manufacturière mondiale vit et travaille aujourd’hui dans les pays du Sud.

Et ce basculement s’est fait dans un contexte où la main-d’œuvre mondiale elle-même explosait. Selon le FMI, la “main-d’œuvre mondiale effective” est passée de 1,9 milliard de personnes en 1980 à 3,1 milliards en 2006. Plus d’un milliard de nouveaux travailleurs dans le marché mondial du travail en une génération !

Et c’est justement cette prolétarisation à l’échelle de la planète qui alimente les colères, les révoltes, les soulèvements.

Des usines du Bangladesh aux rues d’Alger.
Des ateliers d’Inde aux ronds-points de France.
De Beyrouth au Sri Lanka.
Ces luttes ne sont pas séparées. C’est la même bataille, la même dignité qui se lève contre le même système.

En France, face aux enjeux internationaux, on ne doit faire aucune concession sur nos principes.

  1. Reconnaître l’échelle du combat : La lutte de classes ne se joue pas seulement dans nos usines ou contre un gouvernement : elle se joue, violemment, à l’échelle internationale.
  2. Dire la vérité aux travailleurs : notre confort au Nord repose sur la sueur et l’exploitation des peuples du Sud.
  3. L’économie de guerre n’est pas abstraite. Chaque euro dépensé dans un avion de combat c’est  un euro arraché aux hôpitaux, aux écoles, aux retraites. S’opposer à la guerre, ce n’est pas du pacifisme : c’est une lutte de classe concrète. On ne laissera nos enfants mourir nul part pour les intérêt des puissances. 
  4. Sur la question migratoire, nous devons briser les discours de « l’immigration choisie », qui trie les travailleurs selon le bon vouloir du marché capitaliste. L’action communiste exige la régularisation de tous les sans-papiers et l’égalité des droits pleine et entière, y compris le droit de vote.

C’est ces mot d’ordre qu’il faut porter partout, aux municipales, aux européennes, à la présidentielle et dans toutes nos batailles.

Pour conclure, J’aimerai dire que j’ai pleinement adhéré au communisme le jour où j’ai découvert Fatima Ahmed Ibrahim, dirigeante du Parti communiste soudanais, pionnière du féminisme africain et symbole de courage politique. C’est en découvrant cette femme que j’ai compris qu’on pouvait être féministe, musulmane et défendre et incarner les idées communistes. C’était important pour la jeune femme que j’étais.

Alors voilà l’essentiel : il est crucial de parler et de montrer à quoi ressemblent les luttes communistes dans le monde, parce que des millions de gens peuvent s’y reconnaître.

Enfin, les luttes isolées ne gagnent jamais. L’histoire retient celles qui ont su transformer la colère nationale en une vague de contestation internationale. Nelson Mandela n’aurait jamais brisé les chaînes de l’apartheid sans le boycott mondial, sans les mobilisations massives qui ont fait de sa libération une exigence planétaire. Salah Hamouri, Georges Ibrahim Abdallah et tant d’autres prisonniers politiques ont été libérés grâce à la pression continue de milliers de voix à travers le monde.

Aujourd’hui encore, la solidarité internationale fait trembler les puissants : le peuple kurde résiste grâce aux comités de solidarité et aux manifestations à  travers la planète. Macron a reconnu l’État de Palestine grâce à notre mobilisation massive.

Aujourd’hui comme hier, aucune lutte ne peut triompher seule. La victoire appartient à celles et ceux qui savent faire de leur combat le combat de l’humanité toute entière.

Pour cette raison, nous continuerons à chanter ici en France :

« Jin, Jiyan, Azadî » avec les femmes kurdes
« Ni una menos » avec les femmes mexicaines
« I can’t breathe » avec le peuple afro-américain
« Tahia Tahia Falestin » avec le peuple palestinien. »


Image d’illustration : Photographie par Nos Révolutions

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