ÉDITO. Sarkozy libéré, quelle justice dans la France de Macron ?


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Condamné à 5 ans de prison ferme pour association de malfaiteurs dans le cadre du financement de sa campagne de 20071, Nicolas Sarkozy n’a passé que 20 jours en prison, dans des conditions privilégiées par rapport au reste des détenu·es n’ayant pas la chance d’être des personnalités publiques. La Cour d’appel de Paris a finalement prononcé sa remise en liberté et l’a placé sous contrôle judiciaire. Selon l’enquête, est pourtant en jeu un « pacte de corruption » de 6 millions d’euros.

Sarkozy est un habitué des procédures judiciaires et des tribunaux, ayant déjà été condamné dans trois affaires différentes et cité dans bien d’autres. Affaire Bismuth, comptes de campagne de 2012, trafic d’influence, corruption… Comment un citoyen, qui ne devrait pas être au-dessus des lois, peut-il systématiquement échapper à la justice ?

En termes de condamnations, Sarkozy n’est pas une exception chez les présidents français. En 2011, Jacques Chirac avait été condamné à deux ans de prison avec sursis pour détournement de fonds publics, abus de confiance et prise illégale d’intérêts dans l’affaire des emplois fictifs de la ville de Paris. Dans la Ve République, la tendance à la corruption semble figurer sur la fiche de poste à l’Élysée.

Mais il n’y a pas que les présidents. Une partie importante des politiciens pro-système nage dans la corruption, les prises illégales d’intérêt, les détournements. Peut-être leurs salaires indécents ne leur suffisent-ils pas ? Les exemples s’entassent. Depuis l’élection de Macron en 2017, une vingtaine de membres du gouvernement ont été mis en cause dans des affaires judiciaires. Notre ministre de la Culture Rachida Dati, par exemple, accumule les dossiers. Elle est en procès pour corruption et trafic d’influence dans l’affaire Carlos Ghosn/Renault-Nissan, et soupçonnée d’avoir perçu environ 900 000 euros entre 2010 et 2012 pour des prestations de conseil considérées comme fictives. Pour elle, c’est une simple « instrumentalisation politique ». Ou encore Patrick et Isabelle Balkany, condamnés pour fraude fiscale et blanchiment ; François Fillon, impliqué dans l’affaire des emplois fictifs de son épouse et condamné en 2020 à cinq ans de prison dont une partie ferme (puis réduite à quatre ans dont trois avec sursis) ; Alain Juppé, mis en cause dans une affaire d’appartements parisiens loués à un loyer très avantageux, avec des travaux financés par la Ville…

Par ailleurs, comment ne pas évoquer le Rassemblement National, notamment l’affaire de détournement de fonds publics concernant les assistants parlementaires de députés européens, dont le préjudice est estimé à 2,9 millions d’euros ? Cette affaire a tout de même valu à Marine Le Pen une peine d’inéligibilité de cinq ans. En somme, à l’instar des capitalistes qu’ils représentent, les politiciens bourgeois ne s’enrichissent que sur de l’argent volé. Au-delà des gains financiers, la corruption permet aussi le maintien d’un système de classes inégalitaire.

Dans la France de Macron, la justice est un vain mot. On peut être condamné à de la prison ferme pour avoir volé une bouteille de Yop alors qu’on essaie de survivre au RSA2. Le macronisme, c’est le capitalisme à son extrême, qui permet aux ultra-riches de détourner des milliards tandis que près d’un·e Français·e sur dix est à découvert à la fin du mois. Les gouvernements de Macron n’ont cessé de s’attaquer aux plus pauvres, en votant des baisses d’aides sociales, en refusant d’augmenter le SMIC et d’indexer les salaires sur l’inflation, en s’obstinant sur une réforme des retraites qui a mis le pays dans la rue pendant des mois. Tout cela à grand renfort de 49-3.  Le nombre de femmes et d’enfants à la rue explose. Le prix de l’énergie et des loyers augmente. Et à quoi Macron se consacre-t-il ? A offrir des cadeaux aux riches : suppression de l’ISF, dépenses publiques de plus d’un milliard d’euros pour des cabinets de conseil tels de que McKinsey, flat tax sur les dividendes…

La remise en liberté de Sarkozy nous pose cette question : qui, en réalité, va en prison en France ? Ce ne sont pas les riches, nous l’avons vu. La justice rendue par l’État français est à l’image de sa politique : une justice de classe, aux logiques néocoloniales. Selon le sociologue Didier Fassin, « les hommes noirs et arabes représentaient les deux tiers de l’ensemble des détenus et même plus des trois quarts des moins de 30 ans ». Pour les mêmes faits, une personne racisée sera condamnée plus durement par la justice. Les discriminations de classe demeurent, et ainsi 60% des peines de prison ferme sont prononcées contre des personnes sans emploi. Les personnes sans domicile fixe et celles nées à l’étranger sont surreprésentées dans les prisons, elles ont 8 fois plus de risque d’être condamnées à de la prison ferme. Pour l’Observatoire international des prisons, « une large proportion de personnes détenues est issue d’un milieu défavorisé et connaît une situation de grande précarité ». La justice devient alors un outil de discrimination au service du pouvoir.

En France, la justice à deux vitesses ferme les yeux sur les infractions commises par les grands bourgeois, lesquelles revêtent pourtant pour la société une ampleur bien différente de celle d’un vol de nourriture dans un supermarché. L’impunité dont bénéficient les délinquants des classes bourgeoises autorise leurs délits et permet à un système d’exploitation bien rodé de prospérer. La fin de la Ve République que nous appelons de nos vœux doit signer, aussi, la fin de cette institution judiciaire de classe. Une justice véritablement rendue « au nom du peuple » ferait, à n’en pas douter, beaucoup mieux.


  1. Le procès porte sur les soupçons de financement de sa campagne de 2007 par le régime de l’ancien dictateur libyen Kadhafi. Il a aussi fait face à des chefs de recel de détournement de fonds publics et de corruption passive dont il a été relaxé. ↩︎
  2. https://www.ouest-france.fr/societe/justice/deux-mois-derriere-les-barreaux-apres-avoir-vole-une-bouteille-de-yop-dans-un-supermarche-a-nantes-e8497046-6c72-11f0-a697-d26efa6b0818 ↩︎

Image d’illustration : « Salle d’audience de la chambre criminelle de la Cour de cassation du premier étage de la Cour de cassation au palais de justice de Paris », photographie du 15 septembre 2018 par Tiraden (CC BY-SA 4.0)

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